Source, La Tribune, Romaric Godin, 19/01/2016
La démission du dirigeant de la Banque du Pirée a provoqué une offensive des créanciers contre la gestion “politisée” des banques. Son objet est cependant d’affaiblir encore le gouvernement grec, sur fond de discussions sur la réforme des retraites.
La lutte entre le gouvernement grec et ses créanciers est décidément rouverte. Alors qu’Athènes présente une réforme des retraites qui risque de fortement déplaire à ses bailleurs de fonds en ce qu’elle tente de protéger le montant actuel des pensions, un nouveau front vient de s’ouvrir. L’annonce du départ du patron de la Banque du Pirée, Anthimos Thomopoulos, a donné, en effet, un nouvel axe d’attaque de la part des créanciers.
Colère d’un fonds spéculatif
Le coup d’envoi de la polémique est donc la démission, le 14 janvier dernier, du patron de la Banque du Pirée. Cette démission a provoqué l’ire d’un des actionnaires de la banque, le fonds spéculatif étatsunien Paulson & Co. Ce dernier avait participé à l’automne dernier à la levée de fonds de la banque, prenant 9% du capital. Selon le fonds, il aurait été entendu, lors des négociations, qu’Anthimos Thomopoulos demeurerait président de l’établissement.
Paulson & Co crie alors aux « pressions politiques » qui auraient contraint le président à partir. Le premier actionnaire de la Banque du Pirée, avec 26% des droits de vote, est le Fonds de stabilité financière hellénique (HFSF), un fonds indépendant chargé de gérer l’argent de « l’aide internationale » destinée aux banques.
Les attaques de Jeroen Dijsselbloem
Pourtant, le président de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, a décidé vendredi, de relayer les plaintes de Paulson & Co. Lors de sa conférence de presse, il a dénoncé « l’influence de la politique dans les nominations des dirigeants de banques » – alors que la nomination du successeur d’Anthimos Thomopoulos n’est pas encore connue. Il s’est aussi dit « inquiet qu’il puisse y avoir une influence négative [de ces événements] dans les perceptions de marché et, ainsi, dans le retour de la Grèce sur les marchés, et donc aussi un impact sur la revue » du programme qui commence ce lundi 18 janvier. Pour enfoncer le clou, le quotidien conservateur Kathimerini publie ce même lundi, de la plume d’un des plus farouches adversaires de Syriza, le journaliste britannique Hugo Dixon, un article faisant le parallèle entre cette affaire en Grèce et la situation en Pologne en évoquant dans les deux cas une « atteinte à l’état de droit. » L’offensive est donc lancée.
Un problème d’état de droit ?
La comparaison avec la Pologne semble assez peu pertinente. Le gouvernement grec n’a pas – pour l’instant – manipulé les institutions. Certes, Higo Dixon évoque le renvoi par le gouvernement grec du patron de l’autorité fiscale indépendante. Mais la procédure était légale et, depuis, les rentrées fiscales se sont améliorées. En réalité, le gouvernement Tsipras est si scrupuleux qu’il a maintenu, à la tête de la banque centrale Yannis Stournaras, opposant ouvert au gouvernement actuel et ancien ministre des Finances du précédent gouvernement, nommé par son Premier ministre. D’autres gouvernements n’ont pas eu cette patience et ce respect. L‘actuel gouvernement conservateur chypriote, par exemple, a fini par chasser Panikos Demetriadis, le gouverneur de la banque centrale nommé par l’exécutif précédent en mars 2014, sans que cette décision ne provoque, étrangement, l’émotion des créanciers de Chypre et de la presse financière internationale (qui alors soutenait le limogeage du banquier central nommé par la gauche).
Un respect de l’état de droit en Grèce ?
Cette comparaison peut même apparaître étrange de la part de créanciers qui se sont donnés, dans le dernier mémorandum, la capacité d’approuver les projets de loi déposés par le gouvernement avant même l’approbation par le parlement. Elle l’est aussi de la part de créanciers qui ont refusé d’entendre le résultat du référendum du 5 juillet et qui ont clairement demandé au gouvernement de « contourner » la décision du Conseil d’État hellénique sur les retraites qui annulait les coupes décidées précédemment sous la pression de la troïka. Les créanciers de la Grèce n’ont, en réalité, pas eu beaucoup de respect au cours des six dernières années pour l’état de droit dans ce pays.
Le HFSF est-il indépendant ?
La question centrale est celle du HFSF. Ce Fonds est-il indépendant ou dépend-il du gouvernement grec ? En réalité, l’indépendance de ce fonds n’a pas vraiment été remise en question par les créanciers lorsque les gouvernements grecs leur « convenaient. » L’idée d’une pression politique est assez peu probable. Les trois membres du directoire du HFSF sont certes nommés par le ministère des Finances, mais son choix est examiné par un comité formé pour moitié de représentants de ce ministère et de celui de la Banque de Grèce. Le président du HFSF a été nommé le 16 juillet dernier, époque à laquelle le gouvernement ne cherchait pas réellement à irriter les créanciers.
Fable des “pressions politiques”
De plus, comme l’a prévu le mémorandum, le parlement a approuvé en octobre la constitution d’un « comité de sélection » chargé d’examiner les trois directeurs du fonds. Établi voici quelques jours, il devrait commencer ses travaux dans une semaine. Ce comité est constitué de trois représentants des institutions, de deux du ministère des Finances et d’un de la Banque de Grèce. Autrement dit, le gouvernement grec y est minoritaire ! La direction du HFSF, qui est constitué de banquiers et non de militants de Syriza, n’aurait donc eu aucun intérêt à céder à des pressions politiques d’un gouvernement qui, dans les prochains jours, ne pourra les sauver d’une éventuelle destitution. Du reste, la procédure de recrutement lancé par la Banque du Pirée a fait appel au cabinet de recrutement d’origine suisse EgonZehnder, une référence dans le domaine. Il y a donc volonté de trouver un dirigeant compétent et non un membre de Syriza pour remplacer Anthimos Thomopoulos. Il y a donc à parier que cette idée de « pressions politiques » relève de la fable.
Une affaire privée
En fait, la Banque du Pirée n’est pas une institution de l’État. Et du reste, si l’actionnaire principal de cette banque a souhaité faire partir le président de cette banque, selon la presse financière grecque pour des raisons de divergences sur les stratégies de recapitalisation, il n’y a là rien qui sorte de l’état de droit. N’en déplaise à Paulson & Co, on ne fait pas la loi au sein d’une entreprise privée avec 9% du capital, lorsqu’un actionnaire en détient 26%. Depuis quand, les intérêts ou plutôt les vœux d’un fonds spéculatif déterminent ou non le respect de l’état de droit dans un pays ?
Une entrave au retour sur les marchés ?
Quant au retour sur les marchés invoqué par Jeroen Dijsselbloem, c’est une raison qui n’est guère plus valable. Chacun sait que la Grèce aujourd’hui ne peut revenir sur les marchés, avec ou sans Anthimos Thomopoulos à la tête de la Banque du Pirée. Le dernier mémorandum est sans doute une raison beaucoup plus valable que la direction de cette banque pour détourner les investisseurs d’Athènes.
En comprimant encore la demande intérieure, en réduisant encore les perspectives de croissance, en rajoutant encore de la dette à la dette (l’endettement public pourrait atteindre 200% du PIB), c’est bien plutôt les choix de l’Eurogroupe qui détournent les investisseurs de la Grèce. Et seule une intégration de la Grèce dans le programme de rachat de la BCE serait capable de faire revenir les acheteurs, précisément parce que cet achat sera en quelque sorte « garanti » par l’action de Francfort.
L’idée d’un rétablissement de la confiance permettant le retour sur les marchés est parfaitement un mythe dans le cas grec. D’ailleurs, l’intervention de l’État dans une banque n’est pas synonyme de rejet pour les marchés. Lorsque Jeroen Dijsselbloem en février 2013 a nationalisé la banque en faillite SNS Reaal et a exproprié les actionnaires et les détenteurs de dette junior, il n’a pas contribué à faire des Pays-Bas un enfer pour les investisseurs…
Affaiblir le gouvernement grec
Cette polémique a donc été volontairement grossie pour affaiblir un peu plus le gouvernement grec. Le but est évident : montrer que le gouvernement actuel pratique le même clientélisme que ses prédécesseurs et qu’il en dispose pas de la confiance des créanciers. C’est donc un appel assez ouvert aux citoyens grecs à soutenir l’opposition conservatrice.
Il s’agit aussi d’exercer davantage de pression sur Alexis Tsipras, pour lui faire accepter une réforme des retraites qui engagerait des baisses de pension, ce qu’il continue de refuser. En agitant la menace de la « revue », Jeroen Dijsselbloem a touché le point sensible : sans une revue positive, Athènes ne perdrait pas seulement le déblocage de la seconde tranche de « l’aide », elle perdrait aussi la possibilité de voir la BCE accepter à nouveau la dette grecque comme collatéral (garantie) pour le refinancement des banques grecques. Autrement dit, le gouvernement grec pourrait ne pas voir la situation de son secteur bancaire se normaliser. De plus, sans une revue positive, il n’y aura pas de renégociation de la dette.
Alexis Tsipras de moins en moins soutenu
Le moment est bien choisi pour les créanciers. Car le gouvernement d’Alexis Tsipras commence à perdre le soutien populaire : la « narration » du gouvernement cherchant à atténuer les demandes de la troïka s’affaiblit au fur et à mesure que le mémorandum est déployé. Le parti de droite Nouvelle Démocratie (ND) est donc pas passé, dans un sondage publié par Alco le 15 janvier devant Syriza. Le Premier ministre ne peut donc pas réellement engager un bras de fer avec les créanciers, comme l’an dernier. Quant à sa majorité, elle risque de tout accepter pour éviter de nouvelles élections qui chasseraient Syriza du pouvoir. Les créanciers sont donc en situation de force. Et ils comptent en profiter pour réduire encore toute volonté de résistance en provenance d’Athènes.
Source, La Tribune, Romaric Godin, 19/01/2016