dimanche 24 janvier 2016

Le rêve de Pierre Gattaz (L'Humanité)

Le rêve de Pierre Gattaz

LA CHRONIQUE DE JEAN-CHRISTOPHE LE DUIGOU
VENDREDI, 22 JANVIER, 2016

Un « contrat de travail agile », pour une rupture plus facile, et dont les risques seraient tous transférés sur les salariés, sans toucher aux profits des actionnaires.

Le vaste plan de formation des chômeurs annoncé en ce début de semaine par le président de la République lui-même ne trompe personne. Largement irréalisable faute de moyens, il aura avant tout pour but de dissimuler en 2017 le nombre réel de chômeurs. Ce plan oublie surtout le fait que la formation, pour être vraiment utile, doit intervenir avant que le salarié ne perde son emploi.
L'échec de la politique gouvernementale en matière d'emploi laisse le champ libre au MEDEF, qui multiplie les exigences. Une demande a particulièrement attiré l'attention : l'appel à mettre en place un « contrat de travail agile ». Par ce terme, il faut bien sûr comprendre un contrat de travail flexible. Car, comme l'affirme Pierre Gattaz, le contrat de travail actuel est devenu aux yeux des employeurs un « problème structurel ». Certains de ses homologues des organisations patronales ayant signé avec lui la lettre ouverte au gouvernement sont encore plus clairs. Le CDI serait un « contrat du siècle précédent, structurellement inadapté à notre économie contemporaine ». À la place, les organisations patronales réclament un contrat de travail facile à rompre. Le licenciement serait de droit si l'entreprise va mal ou si le salarié n'atteint pas les objectifs assignés. Les conditions de rupture seraient fixées dès la signature du contrat par le salarié. Le licenciement de ce dernier ne pourrait pas donner lieu à une bataille d'interprétation ni à une procédure devant les prud'hommes, les indemnités étant calculées à l'avance en fonction de l'ancienneté.
Derrière ce projet se cache le rêve d'un volume d'emploi qui s'ajusterait le plus vite possible à toute évolution de la production, un « travail liquide », à l'image du capital sur les marchés financiers. Tous les risques seraient transférés sur les salariés, qui constitueraient en quelque sorte une « armée de réserve » dans laquelle les employeurs pourraient piocher à loisir.
C'est oublier que le travail est constitutif de l'entreprise, qu'il intègre une expérience accumulée et qu'il a besoin d'être appréhendé sur le long terme. Dans la vision de Pierre Gattaz, le travail devient une marchandise comme les autres. L'emploi n'est plus que le prétexte. L'objectif est clair : quelle que soit la conjoncture, le profit, le bénéfice et la rémunération des actionnaires demeureraient intouchables. C'est oublier que cette flexibilité à outrance a aussi des conséquences économiques. En faisant du salaire une variable d'ajustement rapide, elle accroîtrait les variations de la conjoncture au lieu de la stabiliser. Le mécanisme serait procyclique.
Il faut à l'inverse sécuriser le travail, ce qui ne veut pas dire figer les emplois. Les qualifications, les manières de produire sont en train de se transformer rapidement. Le développement de toutes les capacités humaines, celles de l'ouvrier comme celles de l'ingénieur, est un enjeu de premier ordre. Développer des ressources en emplois et en qualifications doit devenir la priorité. Il faut garantir à tous l'accès à la formation car l'hécatombe actuelle des suppressions d'emplois se conjugue avec un manque de qualifications reconnues. Mais il y a autre chose d'essentiel : si l'on veut créer « un choc » en faveur de l'emploi, il ne s'agit pas seulement de former les chômeurs mais d'éviter à tout prix que le salarié passe par la case chômage. C'est cela la « sécurité sociale professionnelle » !(*) Économiste et syndicaliste.