Brexit, médias et magouilles à venir
Philippe ARNAUD
Depuis
la victoire du Brexit, je constate, dans les médias, une volonté
systématique de dévaloriser, de déconsidérer, de ridiculiser le vote des
Britanniques en faveur de la sortie de leur pays de l’U.E. et
d’essayer de tourner, par tous les stratagèmes, la volonté populaire et
ce afin de garder le Royaume-Uni dans l’U.E.
1. L’évocation de la "gueule de bois" (L’Express, Le Huffington Post),
comme si les Britanniques avaient voté sous l’emprise d’une soûlerie
nationale, et qu’ils se rendaient compte, à l’instar de quelqu’un qui
est dessoûlé, que, durant cette période d’ébriété, ils ont commis
quelque chose d’irrémédiable, comme de pousser leur enfant par la
fenêtre ou de violer une femme. Il y a quelque chose de profondément
méprisant à assimiler les partisans du Brexit à des alcooliques, à des
ivrognes, incapables de se contrôler et qui font n’importe quoi...
1.1.
Une variante de cet état d’esprit est, comme je l’ai entendu au
journal de France 2 de 13 h de ce jour (lundi), rapportant le propos
d’un ministre de David Cameron favorable au Brexit, est de dire que les
partisans du Brexit "n’ont pas de plan B". Ou même, carrément, qu’ils
n’ont pas de plan tout court. Autrement dit, les partisans du Brexit
sont des gens qui ne se gouvernent que par instinct, par antipathie, et
qui sont incapables de mesurer les conséquences de leurs actes.
2.
L’évocation des "jeunes" qui ont voté Brexit, comme le fait Marie
Drucker, de France 2, à une jeune femme de 25 ans (qui parle
excellemment le français) et qui lui demande : "Comment peut-on avoir 25
ans, avoir vécu en Europe, et rejeter l’Europe ?". Question qui recèle
deux présupposés non avoués (ou non avouables) :
A.
Quand on est jeune (c’est-à-dire, implicitement, pour la modernité, le
progrès, l’intelligence, le dynamisme, les idées nouvelles), on ne peut
être que pour l’Europe. Sous-entendu : ceux qui sont contre l’Europe
sont donc réputés vieux, routiniers, peureux, inintelligents, peu
instruits, peu cultivés, conservateurs, ploucs...
B.
Quand on voit tout ce qu’a apporté l’Europe aux Européens, et
notamment aux jeunes, ce serait de la dernière ingratitude de la
rejeter.
2.1. A côté de ce ressort (qui dit :
"les partisans du Brexit sont des gens sans cervelle"), un autre
ressort est utilisé : celui de la peur. Ainsi, à 13 h, sur France 2, un
micro-trottoir était-il fait sur les salariés (petits, moyens ou
grands) de la City, grande place financière, qui s’inquiétaient de
perdre leur emploi, ou de voir leur banque d’affaire (HSBC par exemple),
délocaliser ses bureaux à Francfort, à Bruxelles, à Luxembourg ou à
Paris. Comme si ceux qui travaillent à la City étaient représentatifs
des salariés britanniques. Comme si les partisans du Brexit n’avaient
pas, eux aussi, des motivations honorables, et, surtout, des motivations
"positives"...
3. L’évocation des 3,8 millions
de signatures en faveur d’une pétition pour un nouveau référendum –
espéré, cette fois-ci en faveur de l’Europe. Cette demande d’un nouveau
référendum rappelle fâcheusement les précédents des Irlandais et des
Danois, qui avaient initialement voté non à l’adhésion européenne, et
qu’on a fait revoter jusqu’à ce que leur vote soit oui. Auquel cas, leur
décision a été réputée irrévocable.
4. Enfin, on
commence à voir poindre les divers stratagèmes par lesquels les milieux
pro-européens, les gouvernements, les institutions de Bruxelles vont
essayer d’ignorer, de tourner ou de rendre ineffective la décision
démocratique des Britanniques :
- D’abord la date de la démission
de David Cameron... annoncée en septembre ! C’est-à-dire dans un délai
de trois mois, suffisant pour "savonner la planche" à tout successeur
qui serait partisan du Brexit (comme Boris Johnson) et compliquer la
tâche de séparation. [Alors que, je le rappelle, le référendum sur la
réforme du Sénat et de la régionalisation, qu’avait lancé le général De
Gaulle, et auquel les Français répondirent non le 27 avril 1969,
entraîna la démission de ce même général De Gaulle le 28 avril 1969,
soit exactement 24 heures plus tard ! On ne saurait mieux dire que David
Cameron joue la montre, ou que, vis-à-vis de ses compatriotes, il
témoigne de la plus mauvaise volonté... ou de la plus grande mauvaise
foi !].
- Puis les diverses précisions sur le fait que la sortie
de l’Union demandera au minimum deux ans – et pourra traîner jusqu’à dix
ans, ainsi que les déclarations de la chancelière Merkel disant "que
rien n’était pressé" (autrement dit que les institutions européennes,
comme l’Allemagne, vont multiplier tant les obstacles juridiques – et on
peut faire confiance aux bureaucrates de Bruxelles pour les trouver) –
que les obstacles pratiques (changement de normes techniques, paiement
d’énormes indemnités) – pour empêcher effectivement les Britanniques de
concrétiser leur décision.
- Enfin l’évocation des parlementaires
britanniques qui, conservateurs et travaillistes confondus, étaient tous
pour le "Remain" (autrement dit le "Rester" dans l’Europe),
c’est-à-dire qui professent une opinion diamétralement opposée à celle
de la majorité de leurs compatriotes, et dont on sent qu’ils vont
freiner des quatre fers la sortie du Royaume-Uni de l’Union. [La
situation est d’ailleurs identique à celle de la France, où les
parlementaires étaient tous favorables au Oui au TCE, et l’ont montré
ultérieurement, en votant à la majorité le traité de Lisbonne en février
2008, en violation de la décision exprimée majoritairement par leurs
concitoyens le 29 mai 2005].
- Au cours du pouvoir personnel de
Louis-Napoléon Bonaparte (devenu, plus tard, Napoléon III), à savoir
entre le coup d’État du 2 décembre 1851 et le renversement de l’empire,
le 4 septembre 1870, le chef de l’État – président puis empereur –
organisa trois plébiscites, en 1851, 1852 et 1870, tous largement
remportés, quoique de façon moins forte pour le dernier, notamment,
grâce aux voix des communes rurales. Et Honoré Daumier a admirablement
décrit l’esprit des gouvernants (et des possédants) par un dessin paru
dans Le Charivari du 30 avril 1870, où l’on voit deux ouvriers
qui s’adressent à un bourgeois en lui demandant : "M’sieur l’Maire, quoi
donc que c’est qu’un bibiscite ?". Et le maire (costume, gilet et haut
de forme) de répondre : "C’est un mot latin qui veut dire oui"...
- Autrement
dit, on n’écoute la réponse du peuple que pour autant qu’elle
corresponde à celle de ses maîtres : la situation a-t-elle changé
beaucoup changé entre 1870 et 2016 ?
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