Procès LuxLeaks : les lanceurs d’alerte condamnés au nom du secret des affaires
Le
verdict de l’affaire LuxLeaks est tombé le 29 juin. D’un côté de la
barre, PricewaterhouseCoopers (PwC), un cabinet de conseil
luxembourgeois dont la spécialité est d’aider ses très gros clients à
éviter de payer des milliards d’euros d’impôts. De l’autre, deux anciens
salariés de ce cabinet et un journaliste, déterminés à dénoncer ces
pratiques à la limite de la légalité (notre précédent reportage).
La justice luxembourgeoise a tranché : ce sont les deux lanceurs
d’alerte, Antoine Deltour et Raphaël Halet, qui ont respectivement été
condamnés à une peine de 12 mois de prison avec sursis et 1500 euros
d’amende, et 9 mois de prison avec sursis et 1000 euros d’amende. Le
journaliste Edouard Perrin (France-Télévisions), qui a dévoilé dans un
documentaire les accords fiscaux secrets permettant aux multinationales
de réduire considérablement leurs taxes sur les bénéfices en
s’installant au Luxembourg, a été acquitté.
« C’est le monde à l’envers !, ont immédiatement réagi les organisations de la Plateforme Paradis Fiscaux et Judiciaires. Alors
que ceux qui agissent en citoyens pour la défense de l’intérêt général
sont condamnés, des multinationales, aidées par des cabinets comme PwC,
continuent en toute impunité, à contourner massivement l’impôt. Il est
intolérable que des lanceurs alertes soient traités en criminels, tout
comme il est inacceptable que l’opacité qui entoure les pratiques des
entreprises multinationales leur permette d’échapper à l’impôt. »
Une protection globale et efficace des lanceurs d’alerte est réclamée
par plusieurs organisations européennes et internationales, « y compris l’OCDE, le Conseil de l’Europe ou encore la Commission européenne », rappelle Transparency International. « Il est urgent de créer un statut pour protéger les lanceurs d’alerte », souhaite l’eurodéputée Eva Joly dans un récent entretien accordé à Basta !.
« Ce jugement revient à condamner les avancées réglementaires que
les révélations à l’origine de l’affaire Luxleaks ont impulsées, a déclaré Antoine Deltour à la sortie de l’audience. Si
vous voyez passer des milliards d’euros qui contournent les règles
fiscales de manière douteuse, le tribunal vous enjoint aujourd’hui de
fermer les yeux et de n’en parler à personne. Je pense qu’aucun citoyen
ne peut s’en satisfaire. C’est pour cela que je vais faire appel ».
Raphaël Halet a lui aussi annoncé faire appel de ce jugement. Les
organisations de la plateforme Paradis fiscaux et judiciaires
l’affirment : « Il faut changer la donne, notre mobilisation ne
faiblira pas : ce sont ceux qui pratiquent l’évasion fiscale qui
devraient être condamnés, pas ceux qui la dénoncent ! » Une illustration des conséquences possibles de la directive sur le secret des affaires, votée par le Parlement européen en avril, et sur laquelle s’est appuyé le Procureur luxembourgeois pour demander la condamnation des deux lanceurs d’alerte.
Sophie Chapelle
Photo : © Attac France
Pour aller plus loin :
Une pétition pour protéger les lanceurs d’alerte en France