UBERISATION : les prolétaires les plus exploités ne sont plus des salariés…
Posté par 2ccr le 8 octobre 2016
Si le capitalisme traverse une crise économique profonde, il ne manque pas d’imagination pour aggraver les conditions d’exploitation des travailleurs. Ses têtes pensantes sont capables d’utiliser à la fois les évolutions technologiques – comme toutes celles qui tournent autour de la « numérisation », de la « dématérialisation » de l’économie, de la production – et les aspirations à sortir de l’exploitation salariale qui peuvent s’exprimer dans diverses couches de la société. Les petits-enfants de Mai 68 pris dans la « macronisation » des rapports de production…
L’« ubérisation » concentre tous les avantages de l’individualisation et de la précarisation du travail : totale dépendance dans les charges et l’organisation du travail, tous les « risques » économiques à la charge du travailleur, avec des pressions individualisées et leurs conséquences en termes de risques dans le travail et de risques psycho-sociaux, des salaires misérables, des « charges » sociales allégées pour les employeurs, un camouflage du chômage…
Et l’extension de ces sous-statuts par-delà les frontières, dans leurs organisations comme dans leurs activités concrètes, ajoute aux difficultés de riposte.
Avec la loi travail, le gouvernement Hollande fournit aujourd’hui les moyens juridiques qui auraient pu faire défaut au patronat. De leur côté, les organisations syndicales ont bien du mal à construire un début de riposte. Traditionnellement, elles sont peu à l’aise hors de la défense des salariés « traditionnels ». Les luttes des femmes, des immigrés, des précaires, des saisonniers, des chômeurs ont toujours dû chercher d’autres voies que le syndicalisme organisé. Un nouveau défi au moment où l’empilage des contre-réformes, de la loi Macron à la loi travail, tend à siphonner l’ensemble des droits de toutes et tous.
Depuis le début des années 2000, le nombre d’actifs non salariés augmente. Ils sont désormais trois millions, soit environ un actif en emploi sur 10.
Assisterait-on à un retour en force de la petite-bourgeoisie traditionnelle, commerçants et artisans ? À un retour à la terre avec une augmentation du nombre de paysans ? Non. Cette hausse est due uniquement à l’essor du nombre d’auto-entrepreneurs, un régime créé en 2008, désormais rebaptisés « micro-entrepreneurs ». Ils sont aujourd’hui plus d’un million.
Beaucoup d’entre eux, souvent les moins qualifiés, sont des acteurs de l’économie « collaborative », mieux définie par les termes « économie du service à la demande ». Livreurs à vélo, chauffeurs, réparateurs, ils sont mis en relation avec des clients via des sites internet ou des applications mobiles. Ils sont indépendants juridiquement… mais subordonnés à des entreprises capitalistes.
En ayant recours à la sous-traitance, à des « prestataires de service » externes, ces entreprises s’affranchissent des coûts et des « rigidités » du salariat. Plus de cotisations sociales. Plus d’indemnités de licenciement. Plus de salaires à verser quand l’activité baisse. C’est le retour du travail à la tâche. Pas besoin d’attendre que le code du travail soit complètement détricoté, il suffit de le contourner !
Le travailleur auto-entrepreneur n’a pas grand-chose d’un « indépendant » ; s’il l’est, c’est par rapport à ses collègues : atomisé, il n’est pas intégré à un collectif de travail, ce qui le fragilise vis-à-vis du capitaliste qui l’exploite.
Beaucoup d’auto-entrepreneurs sont donc des prolétaires surexploités qui gagnent bien moins que le SMIC. Cela se reflète dans le taux de pauvreté des travailleurs indépendants (18,8 %) largement supérieur à celui des salariés (6,3 %). Ainsi, un tiers des auto-entrepreneurs exerce en parallèle une activité salariée pour tenter de sortir de la pauvreté. Le passage de salarié à indépendant est parfois organisé directement par l’entreprise : 8 % des auto-entrepreneurs déclarent avoir créé leur entreprise à la demande de leur ancien ou futur employeur. Difficile de nier le lien de subordination ! Et Pôle emploi d’encourager les chômeurs à « créer leur propre emploi » en devenant auto-entrepreneur.
Hervé Novelli, l’inventeur de ce dispositif alors qu’il était secrétaire d’État de Fillon, rêve à voix haute de la « fin du salariat » qui n’aurait pas vocation à rester la norme dans une « société moderne ». Le danger d’une précarisation généralisée avec une désalarisation des travailleurs est bien réel. C’est pourquoi la bataille pour requalifier le contrat de prestation de services qui lie l’auto-entrepreneur à l’entreprise en contrat de travail est décisive. Tous les travailleurs doivent bénéficier des institutions salariales, fruit des luttes ouvrières. Avec, au-delà, l’objectif d’émanciper le travail de l’emprise du capital.