Banques et biens communs !
Patrick Le Hyaric
Jeudi, 13 Octobre, 2016
Humanité Dimanche
Il
faut reprendre le pouvoir sur l'argent par des réappropriations
sociales et citoyennes des banques comme des assurances et la création
d'un pole financier national.
Il
y a quelque chose d’indécent à voir les banques ponctionner de plus en
plus d’argent sur nos comptes au prétexte de frais liés à leur tenue ou à
des retraits en dehors de leur réseau d’établissements. Ceci
s’apparente à un pillage en silence alors que boucler la fin du mois
devient toujours plus difficile pour des millions de nos concitoyens.
Leur salaire mensuel ou leur retraite déposé automatiquement à la banque
permet à cette dernière de dégager des profits grâce au placement au
jour le jour sur les marchés financiers. Cet argent « gagné en dormant »
est parfois déposé dans des paradis fiscaux pour échapper à l’impôt.
Aujourd’hui, les banques en sont au point de privatiser une part de plus
en plus importante de notre propre argent. La justification de ce vol
et des scandaleuses 20 000 suppressions d’emplois annoncées la semaine
dernière dans ce secteur d’activité serait la baisse des taux d’intérêt,
qui fait diminuer leur taux de profit. Or, pour une part essentielle,
les établissements financiers se nourrissent chaque mois des 80
milliards d’euros que leur fournit la Banque centrale européenne, à taux
nul voire parfois négatif, pour être ensuite prêtés à des particuliers
ou à des entreprises à des taux évidemment positifs. Si de ce côté le
bénéfice n’est pas assez juteux, les prêts de la BCE sont remis dans le
circuit des marchés financiers. Et vogue la galère !
Or, dès lors qu’une bonne partie de ces sommes ne sert pas
à l’économie réelle, à l’investissement dans le développement humain,
dans l’indispensable mutation environnementale de l’économie, se crée
une nouvelle bulle financière grosse de dangers. On parle de plus en
plus d’une possible nouvelle déflagration financière et bancaire, plus
violente encore que celle de 2008.
Le combat unitaire pour que cette création monétaire serve
d’abord l’emploi, le développement des services publics, des projets
structurants de la transition écologique est un enjeu d’intérêt public.
Au lieu de cela, les taux d’intérêt historiquement bas sont le prétexte
pour faire la poche des déposants avec l’augmentation considérable des
frais bancaires.
Ces tumultes sont des signes avant-coureurs extrêmement
inquiétants. Ils indiquent l’urgence à combattre la financiarisation des
économies par la maîtrise publique du crédit, par l’appropriation
démocratique et sociale d’une partie du système bancaire et des
compagnies d’assurances, autant d’éléments qui devraient être considérés
comme des biens communs et non comme des outils au service d’une caste.
Leur utilisation mène à la catastrophe. Les secousses se ressentent
avec vigueur sur le continent européen. En Italie, 360 milliards d’euros
de créances douteuses, c’est-à-dire non remboursées ou remboursables,
traînent dans les coffres de quelques-unes des plus importantes banques
du pays. La situation est tout aussi alarmante au Portugal ou en
Irlande.
En Allemagne, pourtant gouvernée par les apôtres de
l’orthodoxie budgétaire, la Deutsche Bank, principale banque du pays et
l’une des plus importantes au monde, est à deux doigts de la faillite.
Quelques jours après l’amende infligée à Apple par la Commission
européenne et l’arrêt impulsé par l’Allemagne des négociations sur le
traité transatlantique, la justice états-unienne a – comme par hasard –
requis une amende record de 12,5 milliards d’euros à la Deutsche Bank
pour la punir du rôle joué dans le krach de 2008. Cette somme correspond
à plus du double des provisions inscrites pour faire face à cette
sanction. Si la banque allemande venait à tomber, l’effet domino serait
dévastateur pour tous les peuples européens et sans doute au-delà du
continent.
Certes, cette banque est un parangon de voracité
financière et son rôle dans le krach de 2008, comme celui de bien
d’autres banques européennes, doit être fermement condamné. Mais cette
affaire a également tout du règlement de comptes géopolitique, avec pour
décor la féroce guerre économique intracapitaliste qui se déploie sur
la planète, pour maintenir des positions hégémoniques. Les requins
s’entre-dévorent dans le marigot financier et il est sûr qu’une fois
encore les peuples en feront douloureusement les frais.
Considérer l’argent comme un outil d’échanges, une valeur
d’usage pour le bien commun humain et environnemental et non plus comme
une valeur marchande, devient une question d’ordre civilisationnel. Ceci
implique de reprendre le pouvoir sur l’argent et passe par des
réappropriations sociales et citoyennes des banques, et des assurances,
le développement du mutualisme, la création d’un bras financier national
autour de la Caisse des dépôts et de la Banque publique
d’investissement fédérant les banques publiques et coopératives pour des
projets nouveaux combinant réindustrialisations, transition
environnementale, développement numérique, revitalisation des campagnes
avec une agriculture à base paysanne soucieuse de la qualité alimentaire
et de l’environnement ; un combat à l’échelle européenne pour sortir de
la domination financière sur l’économie avec un changement des statuts
et missions de la Banque centrale européenne. Un fonds consacré au
développement humain, social et environnemental devrait être créé,
accompagné d’une lutte conséquente contre l’évasion fiscale. Une
conférence européenne pour annuler des dettes illégitimes, des lois pour
que les salariés acquièrent des pouvoirs nouveaux dans les banques et
les entreprises viendraient compléter un processus pour mettre la
finance au service des activités humaines et de la préservation de la
planète.
Autant d’enjeux qui devraient être placés au cœur des débats et des combats pour une alternative progressiste et humaniste.