Marie Monique Robin : « Si le PDG de Monsanto risquait la prison, il ferait autrement... »
Entretien réalisé par Pia de Quatrebarbes
Jeudi, 13 Octobre, 2016
Humanité Dimanche
Pour
juger les crimes contre l’environnement, la Cour pénale internationale
dit vouloir étendre ses compétences. Depuis deux ans, associations, ONG
préparent le « tribunal Monsanto ». Du 14 au 16 octobre, à La Haye, aux
Pays-Bas, se tient le procès avec de « vrais juges, de vraies victimes
et de vrais avocats ». Marie-Monique Robin, qui a révélé le scandale
Monsanto, en est la marraine.
HD. Comment est né ce tribunal ?
Marie-Monique Robin. Il y a 2 ans, après
avoir vu mon film « le Monde selon Monsanto », des militants m’ont dit
qu’ils voulaient créer un tribunal pour juger la firme. Je me suis dit
qu’ils étaient complètement fous. Mais je m’y suis associée. Avec
l’ancien rapporteur à l’ONU du droit à l’alimentation Olivier De
Schutter et la militante écologiste indienne Vandana Shiva, nous avons
beaucoup travaillé pour le faire naître. Ce n’est pas un tribunal
d’opinion comme le tribunal Russell-Sartre, qui dénonçait la politique
des États-Unis au Viêt Nam en 1966. Il s’agit d’un véritable tribunal,
au sens où il y a de vrais juges, de vraies victimes et de vrais
avocats.
HD. Quel est son objectif ?
M.-M. R. Il est double. Le premier est
d’estimer les dégâts causés par Monsanto avec ses produits. C’est une
procédure civile. Car, aujourd’hui, c’est la seule qui puisse être
lancée contre une entreprise. D’où le deuxième objectif, le plus
important : faire reconnaître dans le droit international l’écocide, le
crime contre les écosystèmes. Les juges vont faire des recommandations à
la Cour pénale internationale.
La Cour pénale internationale ne reconnaît actuellement
que quatre crimes : contre l’humanité, de guerre, de génocide et le
crime d’agression. Cependant, le 15 septembre, elle a dit vouloir
étendre ses compétences aux crimes contre l’environnement ! Le
glyphosate (la molécule du Roundup, l’herbicide de Monsanto – NDLR) est
un exemple parfait d’écocide : il affecte les sols, les animaux, les
plantes et les humains.
HD. Pourquoi est-ce si important de reconnaître ce cinquième crime ?
M.-M. R. C’est la seule manière de
stopper ces multinationales. Si on prend l’exemple du PCB (utilisé dans
l’industrie jusqu’aux années 1970 – NDLR), qui a été produit à Anniston,
en Alabama, par Monsanto, il a fallu des années pour que les habitants
de cette ville, victimes de cancers, se réunissent dans une class action
et parviennent à faire condamner la firme. Celle-ci a dû leur payer 700
millions de dollars de dédommagements. C’est la plus grosse amende
jamais payée dans l’histoire de l’industrie. Mais c’est une goutte
d’eau, comparé aux profits que Monsanto a engrangés. C’est la même chose
pour l’agriculteur charentais Paul François, intoxiqué au Lasso, un
herbicide de Monsanto, et qui a fait condamner l’entreprise.
Car, que font Monsanto, Bayer et les autres ? Ils
provisionnent des fonds pour faire face à d’éventuels procès civils. La
recherche du profit reste, pour les dirigeants de ces multinationales,
la seule motivation. Mais, si Hugh Grant, le PDG de Monsanto, savait
qu’il risque la prison, il ferait peut-être autrement.
HD. D’où viennent les victimes qui témoignent au tribunal ?
M.-M. R. De tous les continents et
d’Argentine, où les milliers d’hectares de soja transgénique sont
arrosés de glyphosate trois fois par an. Les victimes seront
accompagnées d’experts qui vont apporter des preuves scientifiques. L’un
d’eux, qui a fait 25 études épidémiologiques dans les villages entourés
de soja transgénique, y a constaté une explosion des malformations
congénitales et des cancers respiratoires. Une Américaine qui a un
lymphome non hodgkinien, et qui cultivait du café en utilisant du
Roundup, a porté plainte contre Monsanto quand le Centre international
de recherche sur le cancer a classé le glyphosate comme « cancérigène
probable », en 2015. Comme elle, plus de 1 000 paysans américains l’ont
fait.
D’autres encore viennent du Sri Lanka. Si ce pays a été le
premier à interdire le Roundup, en 2014, plus de 30 000 paysans sont
morts à cause du glyphosate : ils utilisaient le Roundup pour désherber,
avant de planter du riz.
En Argentine comme au Sri Lanka, des familles vivent un
drame : elles ne peuvent plus boire d’eau ou se nourrir car les sols
sont pollués. Tout cela fait partie d’un même système : le capitalisme
mondialisé qui ne cherche que le profit, au détriment de tout. On ne
réglera pas la crise sociale sans résoudre la crise écologique.