Ces dix lieux où les conséquences du changement climatique sont déjà dramatiques
Le
7 novembre prochain, la 22ème conférence des Nations Unies sur le
changement climatique doit s’ouvrir à Marrakech, sans faire l’objet d’un
intérêt aussi marqué qu’il y a un an, pour celle de Paris. Pourtant, le
changement climatique n’est déjà plus un lointain péril. Le processus
est bel et bien enclenché. Ses premières conséquences se font sentir :
îles du Pacifique englouties par les eaux, villages contraints de
déménager, patrimoines de l’humanité menacés, premiers réfugiés
climatiques... Avec des effets parfois inattendus, comme la libération
de bactéries mortelles jusqu’ici enfermées dans le sol gelé. De la
Sibérie au Sénégal, en passant par l’Italie, tour d’horizon d’une
catastrophe climatique bien présente.
L’année
2016 est en passe de battre un nouveau record de chaleur. Sur les neuf
premiers mois de l’année, la température à la surface de la planète a
dépassé de près d’un degré la température moyenne du 20ème siècle,
surpassant le précédent record enregistré... l’année dernière. C’est
dans ce contexte que se tient la 22ème conférence internationale pour le
climat, à Marrakech (Maroc), du 7 au 18 novembre. Et que l’accord
conclu lors de la conférence de Paris s’apprête à être ratifié. Pendant
ce temps, de la banquise arctique aux archipels ensoleillés du
Pacifique, en passant par la Sibérie, Venise ou le Bangladesh, les
effets combinés du réchauffement climatique et des activités
industrielles les plus polluantes se font d’ores et déjà déjà de plus en
plus durement ressentir.
Cercle arctique : la banquise se réduit, des villages déménagent, les caribous disparaissent
Début septembre, la couche de glace dans l’océan Arctique a atteint
son niveau le plus bas de l’année. Une animation créée à partir d’images
prises depuis l’espace, et diffusée par la Nasa, montre la fonte des
glaces dans l’hémisphère nord, entre le 24 mars et le 10 septembre. La
surface glacière a été divisée par plus de trois, passant de 14,5
millions à 4,1 millions de km2.
Le niveau de 2012 – la plus faible étendue de banquise enregistrée
jusqu’à présent avec 3,3 millions de km2 – n’a pas été atteint, précise
la Nasa [1].
A titre de comparaison, la couverture de glace pendant l’été en
Arctique couvrait 4 millions de km2 en 2007 et 5,1 millions de km2 dans
les années 1980 et 1990 [2].
Les répercussions de cette fonte à grande vitesse de l’Arctique se font
sentir dans la planète toute entière : élévation du niveau moyen des
mers de 19 cm entre 1901 et 2010 [3], modification des courants marins et aériens, dont le Gulf stream,
qui permet à l’Europe occidentale de bénéficier d’un climat plus doux
que l’Amérique du Nord et l’Asie aux mêmes latitudes. Un désastre pour
certains, comme les Inuits en Alaska. A Shishmaref,
village inuit de 600 habitants situé sur une mince bande de terre du
détroit de Béring, l’océan grignote trois mètres de littoral chaque
année. La température y a grimpé de 4°C en quelques décennies, et la
banquise ne protège plus les côtes lors des tempêtes d’automne. Les
habitants ont voté, en août, le déménagement et la relocalisation de
leur village. Dans la région, une trentaine d’autres villages subissent
les mêmes tourments.
La fonte des glaces est cependant perçue comme une aubaine pour
d’autres : une ruée générale sur les ressources de l’Arctique – du
pétrole aux stocks de poissons en passant par les minerais – se prépare,
sur fonds de tensions frontalières (lire notre enquête).
Au Canada voisin, dans les Territoires du Nord-Ouest qui bordent
l’océan Arctique, ce sont les caribous qui sont menacés de disparition.
Le troupeau de Bathurst, qui vit au nord du Grand lac des Esclaves,
comptait 472 000 caribous il y a 30 ans. Sa population s’est réduite de
95%, selon une étude de WWF Canada, qui dénombre aujourd’hui 20 000
têtes. D’autres populations de caribous canadiens ont aussi fortement
décliné, pris en étau entre le réchauffement rapide de l’Arctique au
nord, et l’expansion de l’industrie pétrolière au sud (lire : Comment transformer un paradis boréal en un enfer boueux et toxique : grâce aux sables bitumineux).
Sibérie : la fonte du permafrost libère une bactérie mortelle
Dans la péninsule de Yamal,
sur le cercle polaire arctique en Sibérie, les températures de l’été
2016 ont été anormalement douces, dépassant les 35°C. La fonte
progressive du pergélisol – ou permafrost en anglais, des zones
dont le sol reste normalement gelé tout au long de l’année – a libéré
des spores d’anthrax. La carcasse d’un animal porteur de la bactérie,
qui avait été gelée dans le sol, aurait été mise au jour récemment par
le dégel [4].
La bactérie devient dangereuse dès lors qu’elle entre en contact avec
un être humain ou un animal. Depuis juillet 2016, une épidémie d’anthrax
– ou « maladie du charbon » – a gagné cette région située à 2 500 km au
nord-est de Moscou. Un garçon de 12 ans en est mort, et plus de 2 500
rennes ont été décimés.
Début octobre, le gouverneur de ce territoire autonome a annoncé
qu’il faudrait tuer 100 000 rennes du Yamal pour freiner l’épidémie. Une
pétition a été lancée par un éleveur de rennes contre cette décision,
faisant valoir qu’il n’y aurait pas eu d’épidémie de fièvre charbonneuse
si le gouvernement n’avait pas cessé d’en distribuer les vaccins en
2007. Selon lui, la réduction des troupeaux est motivée par les intérêts
de l’industrie du forage de gaz, qui installent des centrales dans la
régions afin d’exploiter les gisements libérés par le dégel [5].
Outre la crainte d’épidémies, la fonte du permafrost libère également
des gaz – dioxyde de carbone, méthane – qui aggravent l’effet de serre.
Littoraux : plus de 450 « zones mortes » dans le monde
De la Mer Baltique au Golfe du Mexique,
les « zones mortes » maritimes prolifèrent. Ce sont des zones de mer
contenant peu ou pas d’oxygène – un état appelé hypoxie. Faune et flore
marines les fuient ou y périssent. Résultant d’une surabondance d’azote,
ces zones sont généralement présentes à proximité des côtes, et
particulièrement aux embouchures de fleuves et de rivières qui drainent
engrais, fertilisants agricoles, eaux usées et émanations toxiques
issues de l’activité humaine. Tous ces polluants favorisent la
prolifération de micro-algues et de phytoplanctons particulièrement
gourmands en oxygène. Le taux d’oxygénation de l’eau y diminue
drastiquement, provoquant la mort de toute forme de vie. Cette année, la
zone morte qui s’étend dans le golfe du Mexique pourrait atteindre plus de 15 000 km2, soit la moitié de la surface de la Belgique.
Il y a dix ans, un rapport de l’ONU tirait déjà la sonnette d’alarme sur les 150 zones mortes recensées dans le monde. En 2008, un nouvel inventaire
évalue leur nombre à 450. La plus grande est située en mer Baltique. Si
les pollutions directes sont clairement pointées du doigt, le
changement climatique contribue également à détériorer la situation.
Un réchauffement de l’eau peut affecter le métabolisme des espèces
marines, ce qui augmente leur consommation d’oxygène alors que celui-ci
se raréfie. Le phénomène d’hypoxie étant réversible, des engagements
internationaux ont été pris, notamment par l’Europe avec la directive
sur les nitrates.
Méditerranée : un projet pharaonique pour sauver Venise des eaux
Fondée au 5e siècle, Venise
se dresse sur 118 îles, reliées par des canaux et 338 ponts. La
Sérénissime est de plus en plus fréquemment inondée depuis le milieu du
20e siècle. Entre 2000 et 2010, l’emblématique place Saint-Marc s’est
retrouvée plus de cinquante fois sous plus d’un mètre d’eau. Depuis les
années 1960, et une inondation record de près de deux mètres, les
autorités politiques et scientifiques se penchent sur l’avenir de la
cité et de sa lagune, inscrites au Patrimoine mondial de l’Unesco.
L’idée d’un ouvrage de défense contre les hautes eaux s’impose. Une loi
spéciale, promulguée en 1973 décrète la protection de Venise « d’intérêt
national prioritaire ». Cette mobilisation donne naissance au projet de
Modulo sperimentale elettromeccanico (« module expérimental électromécanique », également appelé Mose ou Moïse) dont la réalisation a commencé en 2003.
Ce système de protection comptera 78 digues flottantes de 20 mètres
de large pour 30 mètres de haut. La muraille automatisée est censée
empêcher l’eau de pénétrer dans la lagune. L’entreprise est colossale :
45 km de plages ont été renforcés, 100 km de rives habitées et 11 km de
quai ont été surélevés, 8 km de dunes côtières et 12 îlots lagunaires
ont été aménagés. La fin des travaux est annoncée à l’automne 2017
moyennant un budget de 5,5 milliards d’euros. Mais le projet est entaché
d’un énorme scandale politico-financier. En juin 2014, 35 personnes,
soupçonnées de corruption, de trafic d’influence et de blanchiment dans
le cadre de ces gigantesques travaux ont été interpellées, dont l’ancien
maire de Venise poussé à la démission. Par ailleurs, l’efficacité du
projet Mose reste à démontrer, et il n’est pas exclu que le bétonnage
des fonds et ses retombées sur les courants et marées ravage le fragile
écosystème lagunaire.
Amazonie : la forêt ne résistera pas à un changement climatique important
La forêt amazonienne s’étend sur plus de 6 millions de km2 et sur neuf pays, principalement le Brésil, mais aussi la France – à travers la Guyane [6].
Cet écosystème tropical constitue la plus grande réserve mondiale
d’espèces animales et végétales, et rend des services essentiels aux
communautés qui y vivent. Fin août, une étude publiée dans la revue Nature Climate Change,
montre que la diversité de l’Amazonie favorise sa résilience au
changement climatique. C’est-à-dire sa capacité à reconstituer sa
matière végétale et à stocker du gaz carbonique. Du moins jusqu’à un
certain seuil de réchauffement.
Selon l’étude, la forêt amazonienne survivra au 21ème siècle si les
émissions de CO2 sont plafonnées, et si l’augmentation de la température
planétaire se stabilise entre 1,1 et 2,6°C à l’horizon 2100. Dans ce
cas, plus des trois-quart du territoire boisé de l’Amazonie parviendrait
à se régénérer. En revanche, dans l’hypothèse d’une poursuite
incontrôlée des émissions, seuls 13% du bassin amazonien seraient en
capacité de se régénérer à longue échéance. D’autres menaces pèsent sur
l’Amazonie, déjà amputée d’un cinquième de sa surface par la
déforestation massive et le développement de la culture du soja et du
palmier à huile. Le tableau est également sombre pour les forêts
boréales du Nord qui, de l’Alaska à la Sibérie orientale, vont être
confrontées avec le réchauffement à des risques accrus d’incendies ou
d’attaques de ravageurs.
Bangladesh : 60 millions de réfugiés climatiques d’ici 2050 ?
Le Bangladesh
est le pays le plus densément peuplé au monde : 160 millions
d’habitants vivent sur un territoire grand comme un tiers de la France
métropolitaine. Deux tiers des terres y culminent à moins de cinq mètres
au-dessus du niveau de la mer. Ici, les cyclones surgissent tous les
deux à trois ans. Les inondations sont de plus en plus fréquentes et
puissantes. A chaque fois, les Bangladais repartent de zéro, sans
récolte, sans terre et sans maison. La salinité des sols aggrave
l’insécurité alimentaire. La liste des maladies, pour la plupart liées à
l’eau polluée et salée, s’allonge.
Construction de digues toujours plus hautes, mise en place de
systèmes de traitement des eaux, consolidation des logements, abris
anti-cycloniques, essais de variétés de riz résistantes au sel... En
dépit des programmes mis en place par le gouvernement pour faire face au
changement climatique, chaque jour des centaines de Bangladais viennent
trouver refuge dans les bidonvilles de Dacca, la capitale du pays. 20%
du territoire pourraient disparaitre sous les eaux dans les années qui
viennent [7]. 78 millions de personnes pourraient être contraintes de migrer d’ici 2020 à cause des inondations [8].
Océanie : des dizaines d’archipel bientôt submergés
Voilà bientôt dix ans que l’évacuation des îles Carteret, dans le
Pacifique Sud, à commencé. Une partie des 3 000 habitants ont quitté
leurs villages pour être relogés sur l’île de Bougainville, une région
autonome de Papouasie-Nouvelle Guinée. En cause : la sécheresse et la
montée du niveau de l’océan. Sur ces îles où le point le plus haut n’est
qu’à 1,5 mètre au dessus du niveau de la mer, les terres cultivées sont
menacées par l’érosion et les inondations, contraignant les communautés
à se nourrir uniquement avec des fruits de mer. Début 2016, les écoles
des îles Carteret ont fermé « en raison de l’absence de régime alimentaire pour les enfants ».
Fragilisées, les personnes âgées ne sont plus en mesure de lutter
contre les maladies. D’ici 2020, l’ONG Tulele Peisa, qui a lancé un
programme de réinstallation, espère avoir relogé plus de la moitié de la
population. Seules dix familles – une centaine de personnes – ont pour
l’instant bénéficié du programme, par manque de financements.
Kiribati, Maldives, Tuvalu, Marshall, Fidji, Samoa, Tonga, Salomon, Vanuatu... Plusieurs îles et archipels du Pacifique
sont aussi dans une situation extrêmement vulnérable. Avant même d’être
englouties, les assauts de l’eau salée rendent les sols incultivables.
Les programmes nationaux et internationaux d’adaptation au changement
climatique rivalisent de solutions de court terme – plantation de
mangroves, construction de digues, amélioration des canalisations et de
la récupération d’eau de pluie… Mais leur relative inefficacité a déjà
conduit plus d’un millier de Tuvaluans à quitter leur pays pour
l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
Sénégal : Saint-Louis, sous la menace des flots de l’Atlantique
Saint-Louis,
ville sénégalaise classée au Patrimoine mondial de l’Unesco, a été
régulièrement exposée à des crues fluviales jusqu’en 2003. Cette
année-là, le gouvernement annonce le creusement d’une brèche de quatre
mètres dans la langue de Barbarie, un cordon de sable s’étirant sur
plusieurs dizaines de kilomètres du sud de Saint-Louis à l’embouchure du
fleuve Sénégal. L’idée est de favoriser l’écoulement du fleuve vers
l’océan. Mais le résultat est catastrophique.
En quelques années, sous la force des vagues, cette brèche s’élargit
et mesure désormais six kilomètres de large. Saint-Louis n’est plus
exposé aux crues, mais l’océan pénètre dans l’embouchure du fleuve à
travers la brèche, grignotant les terres. Sur les bords, la salinisation
de l’eau décime les cultures maraichères. La Langue de Barbarie est
amputée de plusieurs kilomètres, dévorée par l’Atlantique. Trois
villages ont été engloutis par la mer [9].
Le maire de Saint-Louis promet la construction prochaine de
brise-lames. L’État a également commandé une étude dont les résultats
sont attendus fin 2016 pour déterminer s’il faut fermer ou stabiliser la
brèche. 80% de l’île de Saint-Louis seront en « risque fort »
d’inondation d’ici à 2080 [10].
Pacifique : le phénomène El Niño menace les îles Galápagos
A un millier de kilomètres des côtes équatoriennes, s’étendent les Galápagos,
un archipel de 18 îles qui accueillent une remarquable diversité
d’espèces. 180 plantes n’existent nulle part ailleurs. Mais cette faune
est aujourd’hui menacée, suite à la réapparition fin 2015 du phénomène
El Niño dans l’océan Pacifique tropical. Ce phénomène se traduit par une
augmentation anormale de la température des eaux du Pacifique-Est, en
particulier le long des côtes de l’Amérique du Sud, qui interrompt la
remontée d’eaux froides et riches en nutriments indispensables à de
nombreuses espèces. La réduction des phytoplanctons pousse les petits
poissons et les invertébrés à migrer plus loin. La chaine alimentaire
dans son ensemble est affectée.
El Niño avait déjà frappé les Galápagos, inscrites au Patrimoine
naturel de l’humanité par l’Unesco. Son passage y a laissé des marques
indélébiles : 90 % des populations d’iguanes marins ont disparues, ainsi
que les trois quarts des manchots et la moitié des lions de mer.
L’augmentation de la température de l’océan fragilise par ailleurs les
massifs coralliens de l’archipel en accentuant leur blanchiment. Selon
la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA), l’été 2016 a
marqué une amélioration. Mais une étude publiée en janvier 2014 dans la
revue Nature Climate Change suggère que les épisodes les plus intenses seront deux fois plus fréquents au cours du 21ème siècle.
Australie : la Grande barrière de corail en péril
Le plus grand récif corallien au monde, aussi étendu que l’Italie avec ses 2 300 km de long au nord-est des côtes australiennes,
va mal. Depuis le début de l’année, les coraux blanchissent. En cause :
la hausse des températures du Pacifique équatorial, du fait de El Niño,
qui entraîne l’expulsion des petites algues (zooxanthelle) qui donnent
au corail sa couleur et ses nutriments. Certains coraux regagneront
leurs couleurs dans les mois à venir, quand l’eau refroidira, mais
beaucoup, parmi les plus touchés, risquent de mourir. 93 % des récifs
sont affectés.
Cette augmentation de la température combinée à l’acidification des
océans mettent en péril la diversité de la Grande barrière, qui abrite
400 espèces de coraux, 1 500 espèces de poissons et 4 000 espèces de
mollusques. Le site a déjà perdu plus de la moitié de ses prairies
coralliennes en trois décennies. Si rien n’est fait pour le protéger, le récif pourrait continuer à se détériorer dans les mêmes proportions dans les cinq prochaines années. Or, comme l’ont montré plusieurs de nos enquêtes,
d’autres menaces planent sur la Grande barrière de corail avec le
développement de l’industrie du charbon et du gaz. Suite aux pressions
diplomatiques du gouvernement australien, l’Unesco a renoncé à inscrire
la Grande barrière de corail sur la liste du patrimoine mondial en
péril.
Sophie Chapelle
Photos :
Une : sécheresse en Mongolie / CC Banque de développement en Asie.
Forêt amazonienne / CC VaqueroFrancis.
Maison inondée au Bangladesh / CC DFID.
Iguane marin des Galapagos / CC Pantxorama.