Au
cœur du Gers rural et agricole, une association sensibilise et
accompagne les démarches d’éco-construction et de gestion de l’eau. Un
long travail de terrain pour montrer qu’habiter mieux est à la portée du
plus grand nombre. Comment bâtir sa maison en éco-construction, en
s’appuyant sur les ressources locales et les artisans du coin ?
Reportage auprès de ceux qui veulent démontrer par l’exemple que
d’autres manières de vivre sont possibles.
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Tout commence avec une poignée d’adolescents passionnés par leur
terroir : l’ouest du Gers, une zone à cheval entre les collines
arrondies de la Gascogne et le bassin alluvionnaire de l’Adour. Une
terre agricole, à la fois belle et exigeante, plutôt dans la tradition
du productivisme hérité des année 60. C’est pourtant ici que va naître Pierre & Terre, une association engagée depuis 1997 dans le développement d’alternatives et de pratiques éco-citoyennes.
« Nous étions une bande de jeunes de moins de vingt ans qui avions en commun notre amour de cette terre et de son histoire »,
nous raconte Christophe Merotto, le directeur de la structure. Dans les
années 90, chacun d’entre eux connait à sa manière une prise de
conscience décisive sur la puissance et la rapidité de l’impact des
activités humaines sur leur environnement. « Nous avons été
durablement marqués par la frise chronologique qui montre à quel point,
face à l’immensité des temps géologiques, les tous derniers moments de
l’histoire de la planète ont été profondément bouleversés par l’homme
industriel, alors que nous ne représentons pas grand chose dans cette
histoire. »
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« Au début, notre principale action était de montrer des cailloux.
On s’est mis à monter des expositions itinérantes, à tenir un stand aux
fêtes patronales où l’on présentait nos outils de pierre et où l’on
parlait de la vie de la rivière, de l’eau, de la terre. »
L’association crée ensuite un poste de « technicien rivière », pour le
suivi hydrographique du territoire. Mais cela ne fonctionne pas bien : « Les gens apprécient rarement que l’on critique leurs habitudes ou qu’on les pousse au changement. »
En 2000, l’association décide d’être dans l’exemplarité, dans l’action
positive plutôt que dans la critique. Changement de cap, changement de
thématique : à partir des problématiques de l’eau, l’association
« remonte » aux questions de l’assainissement, et donc de l’habitat qui
dégrade la ressource aquifère. Les membres de Pierre & Terre se
documentent et expérimentent les techniques de construction qui
réduisent le plus possible l’impact environnemental des habitations. Le
groupe de Gersois s’ouvre aux réseaux alternatifs pour devenir un centre
de ressources en éco-construction.
Matériaux locaux et artisans du coin
Nomade à ses débuts, l’association finit par s’installer dans des
locaux. En 2002, elle occupe la gare SNCF désaffectée de Riscle (Gers).
Ensuite, Pierre & Terre récupère les anciens « bains douches »
abandonnés de la commune. Mais la nécessité de pouvoir mettre
directement en pratique les préconisations de l’association, et de
s’installer dans un lieu qui illustre l’ensemble de la démarche
d’amélioration de l’habitat, se fait rapidement sentir. Le site de
l’ancien lycée agricole de Riscle, friche industrielle cible du
vandalisme local, offre enfin l’opportunité de valoriser un terrain
abandonné depuis cinq ans et d’en faire une vitrine des savoir-faire de
l’association.
La démarche en écoconstruction commence bien en amont, car il faut
d’abord détruire l’existant. Mais pas n’importe comment ! Le site est
encombré de bâtisses qui tombent en décrépitude, d’unités en préfabriqué
qui ne peuvent pas être reconverties. Pire, assez rapidement, le site
s’avère contaminé à l’amiante. « L’évaluation d’une démolition
conventionnelle avec les contraintes liées au déflocage de l’amiante,
l’évacuation des gravats, etc, se chiffrait à 400 000 euros, décrit Christophe Merotto. Tout
en respectant l’ensemble des contraintes légales et en y ajoutant des
objectifs écologiques, nous avons ramené la facture de la démolition à
80 000 euros, grâce à la valorisation sur place des matériaux inertes,
ce qui a très fortement réduit le nombre de camions nécessaires à
l’évacuation des gravats du site. »
L’éco-centre en projet se veut ouvert au public, écologique,
économique, exemplaire, avec le plus faible impact environnemental
possible, tant pendant sa construction que lors de son fonctionnement.
L’association veut aussi que son projet s’inscrive dans le tissu
économique local : les matériaux seront essentiellement choisis sur
place et il ne sera pas fait appel à des bénévoles mais au réseau des
artisans et entrepreneurs en bâtiment du coin.
Pas plus cher qu’une construction « conventionnelle »
« Il y a un maçon qui vit pratiquement à côté du terrain, qui
passe devant deux à quatre fois par jour, et il n’était donc pas
envisageable pour nous qu’il ne travaille pas sur ce projet, explique Christophe Merotto. Quand
nous lui en avons parlé, il n’a pas été très enthousiaste au départ.
Pourtant, ça ne changeait rien à ses techniques et pratiques de
construction : on changeait surtout la recette de ce qu’il mettait dans
sa bétonneuse. » Une partie des artisans qui vont participer au
projet n’ont absolument aucune expérience en éco-construction. Et si
certains sont aussi réticents que ce maçon, tout comme lui, ils se
laisseront convaincre de participer à ce chantier pas comme les autres.
Chacun d’entre eux choisira ensuite d’intégrer ces nouvelles
connaissances dans ses pratiques ou pas.
« C’était important que cela se fasse avec un budget contraint et
avec la main d’œuvre que l’on peut trouver sur place. Le point important
dans cette partie de notre démarche, c’est que notre choix de valoriser
nos gravats, de chercher des matériaux locaux, écologiques et
accessibles – voire gratuits, comme la terre crue sortie des fondations –
nous a permis de consacrer plus d’argent à rémunérer les artisans, et
donc à stimuler l’économie locale, que les industriels qui vendent des
matériaux. » Tout aussi important, l’ensemble du chantier de
l’éco-centre Pierre & Terre apporte un démenti cinglant à tous ceux
qui prétendent que l’éco-construction revient plus cher que les
constructions conventionnelles. Et pourtant avec une qualité
constructive et une valeur d’usage bien supérieures ! « Alors que
nous sommes en normes ERP, qui sont des normes pour les bâtiments
ouverts au public, plus coûteuses que pour les constructions privées, le
coût total du bâtiment est de 1 200 euros par m2 », tandis que le prix moyen à la construction se situe plutôt autour de 1 500 euros.
Démontrer par l’exemple
L’éco-centre Pierre & Terre est une démonstration des
savoir-faire, des possibilités et des ambitions que l’on peut développer
dans le cadre de l’habitat écologique et local. L’association propose
toute l’année des visites guidées à destination d’un large public
(particuliers, écoles, collectifs, etc.) et a décidé d’en développer une
version plus compacte et technique à destination des artisans du
secteur, celle à laquelle nous nous sommes invités. L’idée est de
démontrer par l’exemple la validité des principes qui ont présidé à
l’édification du site. Artisan maçon, carreleur à la retraite,
architecte... chacun est invité découvrir les principes de
l’éco-construction – certains avec une belle pointe de scepticisme au
départ. L’ensemble de la construction de l’éco-centre est documenté et
partagé librement en ligne dans un passionnant livret.
Mais rien ne vaut la visite sur place, la main qui court sur les
revêtements, la sensation d’agréable fraicheur qui vous saisit quand on
pénètre dans le bâtiment bioclimatique.
Découverte des matériaux, des enduits… Au fur et à mesure de la visite, les questions fusent : « Mais,
des murs en paille ne peuvent pas être porteurs ? Comment est réparti
le poids de la charpente ? Vingt-deux degrés toute l’année, sans
chauffer ni climatiser, comment-est-ce possible ? Comment faites-vous
pour produire plus d’électricité que vous n’en consommez ? Êtes-vous
autonomes en eau ? » Les certitudes des « vieux de la vieille » se
fissurent en découvrant la lagune, à l’arrière de bâtiment, qui
ressemble à un petit bassin d’agrément. Et tout le monde de découvrir
que les nouvelles lois très contraignantes sur l’assainissement non
collectif ne s’appliquent pas pour les lieux équipés de toilettes
sèches. En effet, la réduction de la consommation d’eau y est
significative.
« Oui, mais bon, les toilettes sèches, c’est contraignant, ça
sent, il faut vider le seau de sciure, c’est bien au fond du jardin… » : l’exposition sur les toilettes sèches modernes
achève de convaincre les indécis. Il ne s’agit plus de tinettes ou de
pots de chambre pas très ragoutants, mais de véritables sièges de
toilettes modernes, esthétiques et surtout très efficaces. L’animatrice
cite le cas d’une école primaire de la région qui a choisi l’expertise
Pierre & Terre pour valider son projet d’équiper ses nouveaux
bâtiments de toilettes sèches, à destination des enfants.
Toilettes sèches publiques à l’école de Saint-Germé (Gers) - Témoignage de la directrice d’école :
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Non seulement les enfants n’ont aucune appréhension à utiliser cet
équipement, mais très rapidement, tout le monde en apprécie les
bénéfices. Les femmes de ménage ont constaté que les colonnes verticales
se salissent moins et sont plus faciles à nettoyer que les conduits
traditionnels. Mais surtout, en quatre ans d’utilisation, la direction
de l’école a constaté une chute impressionnante du nombre de
gastroentérites dans l’établissement. En l’absence de chasse d’eau, les
microbes et bactéries anaérobies ne peuvent plus utiliser les
gouttelettes en suspension pour se déplacer et les systèmes d’aspiration
de l’air garantissent des locaux sans odeur et plus sains. Quant aux
composteurs, ils n’ont pas encore eu besoin d’être vidangés.
Zone d’expérimentation permanente
Démonstration par l’exemple, accueil, sensibilisation, conseils,
l’équipe de Pierre & Terre a déjà accompagné plus de 300 projets
d’assainissement, 150 projets de bâtis. Plus de 40 collectivités, comme
pour l’école de Saint-Germé, ont déjà fait appel à son expertise. Chaque
année, entre 6 et 10 000 personnes sont sensibilisées par les quatre
salariés permanents et par les stagiaires, qui viennent développer leurs
compétences dans l’association avant de les disséminer ailleurs. Le
centre dispose d’un partenariat avec la CAF, afin d’aider les ménages
modestes à établir un écodiagnostic
et d’initier des travaux d’amélioration de l’habitat, pour que tout
cela ne reste pas réservé aux classes sociales les plus aisées.
L’écocentre Pierre & Terre est à la fois un écocentre à vocation
pédagogique, une zone d’expérimentation permanente à travers son
bâtiment et ses dépendances, mais aussi un centre culturel qui intègre
depuis 2010 le petit théâtre Spirale et le festival Spirale à Histoires [1].
Cuisine, restaurant, douches, toilettes sèches permanentes, salles de
spectacle : ils ont tout construit eux-mêmes, avec l’aide de
l’association Pierre & Terre [2] « Un esprit sain dans un habitat sain » :
Pierre & Terre pose les jalons d’un nouveau vivre-ensemble, plus
respectueux de l’environnement, mais aussi de nous-mêmes.
Texte et photos : Agnès Maillard