« Un scandale judiciaire après le scandale sanitaire ! » : c’est ainsi que l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva) définit la décision de la Cour d’appel de Paris, qui a annulé ce vendredi 15 septembre les mises en examen de neuf décideurs - industriels, scientifiques, lobbyistes ou hauts fonctionnaires - qui occupaient des responsabilités nationales dans l’affaire de l’amiante. Alors que le dossier contient une chronologie minutieuse de l’évolution des connaissances scientifiques qui démontre que les dangers de l’amiante étaient connus de longue date, rappelle l’Andeva, les magistrats lui dénient toute valeur en indiquant que ces connaissances « ne se sont pas imposées de façon évidente et indiscutée » et que « la perception de la particulière gravité du risque était en outre obstruée par la durée de latence des pathologies en rapport avec l’amiante ». L’association annonce son intention d’aller en cassation et souligne combien ces décisions judiciaires dévastent les victimes et leurs familles.
Au début de l’été, une autre annonce a secoué les victimes. Révélée par le journal Le Monde au mois de juin, une ordonnance des juges d’instruction du pôle santé publique annonçait la clôture de l’instruction dans une vingtaine de dossiers pénaux de l’amiante, dont Eternit, Valeo ou Everite (Saint-Gobain). Motif invoqué : il est impossible de dater le moment où la faute a été commise et donc de l’imputer à quiconque.... La date d’intoxication étant incertaine, il serait impossible de savoir qui était, alors, aux responsabilités. Le lien entre la faute personnelle de chaque mis en examen et les dommages subis par les victimes ne pourra donc jamais être établi. Exit toute possibilité de réparation pour les 100 000 morts annoncés de l’amiante et pour leurs familles. Quelques jours plus tard, le Parquet entérinait cette argumentation.
« Une position contraire à la jurisprudence et à la logique la plus élémentaire »
Mais les victimes et leurs défenseurs ne comptent pas en rester là. Selon Alain Bobbio, de l’Andeva, « la justification invoquée pour motiver l’arrêt de toutes les investigations et prononcer des non-lieux en série est inhabituel : c’est la nature même de la maladie qui rendrait impossible la recherche des responsabilités de quiconque ! Scientifiquement cet argument ne tient pas debout ». Le raisonnement des juges sur la date introuvable « est si général qu’il reviendrait à rendre "intouchables" par avance tous les responsables de catastrophes sanitaires mettant en jeu des produits à effets différés ; cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques-CMR. » Actuellement, en France, plus de deux millions de personnes sont exposées quotidiennement à de tels produits toxiques dans leur travail.
Autre point important : « Selon les juges d’instruction et le Parquet, la succession de personnes différentes aux responsabilités, interdirait d’en juger aucune. Autrement dit, il suffit que plusieurs personnes aient commis des fautes pénales concourant à la survenue d’une maladie, pour qu’aucune ne puisse être poursuivie. Une position contraire à la jurisprudence et à la logique la plus élémentaire » , souligne Alain Bobbio. « La responsabilité pénale est une responsabilité personnelle. Mais cette responsabilité peut être cumulative. Si une personne a eu plusieurs directeurs successifs durant son exposition à l’amiante, il n’y a pas d’obstacle juridique à ce que chacune d’eux engage sa responsabilité pénale du fait de ses fautes personnelles, conjuguées à celles commises par les autres », estiment Sylvie Topaloff et Michel Ledoux, avocats des victimes. L’Andeva et la Fnath (association des personnes accidentées de la vie et handicapées, très active dans le soutien aux victimes de l’amiante) annoncent qu’elles iront en appel, voire en cassation si des non-lieux venaient à être prononcés.