En Loire-Atlantique, plus de mille jeunes exilés sont arrivés, seuls, à Nantes ou à Saint-Nazaire depuis le mois de janvier. Près de la moitié d’entre-eux ont été pris en charge par le Département, qui en a l’obligation. Mais pour ceux dont la minorité n’a pas été reconnue, retrouver le chemin de l’école relève du parcours du combattant. A Nantes, plusieurs collectifs de citoyens s’organisent pour monter des écoles « alternatives ».
Cet article a initialement été publié dans le journal des Autres possibles (voir sa présentation en dessous de l’article).
« Le 14 juillet, c’est le jour de votre indépendance, c’est bien ça ? », interroge un jeune exilé, venu participer à la session hebdomadaire de l’école « Hors les murs ». Ce jour-là, dans les locaux du studio 11/15, sur l’île de Nantes, après une première heure plutôt studieuse consacrée aux conjonctions de coordination, les huit jeunes présents étudient le texte d’une chanson de Georges Brassens, La Mauvaise réputation. Les quatre bénévoles – Anaïs, Mattéa, Alice et Guillaume – cherchent les mots pour expliquer les différences entre la Révolution française et les indépendances africaines post-colonisation…
L’école Hors les murs s’est montée en avril 2017, dans l’urgence. Le nombre de jeunes exilés isolés, se revendiquant mineurs, grimpe alors en flèche à Nantes. Arrivant majoritairement d’Afrique de l’ouest ou centrale (Mali, Cameroun, Guinée Conakry…), mais aussi du Bangladesh ou d’Afghanistan, la moitié d’entre eux sont déboutés car considérés comme majeurs. Reste alors le recours, et en attendant, la rue, sans aucun accès à une scolarité.
Basée sur les principes de l’éducation populaire, Hors les Murs les reçoit une à deux fois par semaine et leur propose des cours de mathématiques, de français et de culture générale. Elle s’adresse plutôt aux jeunes qui veulent consolider leur niveau dans le but d’intégrer le système scolaire français et compte soixante-dix élèves actuellement.
Une projet monté à la demande des jeunes exilés
L’école Hors les murs n’est pas la seule. Avant elle, au moins deux autres « écoles alternatives » se sont montées sur Nantes. L’École Pop’, basée au lieu autogéré B17, accueille les jeunes tous les après-midi et fonctionne sur l’échange de savoirs entre participants. L’école d’alphabétisation, dédiée aux non francophones, ouvre tous les matins aux Dervallières.
Frank participe pour la quatrième fois à un cours. Camerounais, cela fait un an et demi qu’il est arrivé à Nantes. Il désespère d’être reconnu mineur. « J’ai arrêté d’attendre, pour ne pas mourir de l’intérieur. Je n’irai peut-être jamais à l’école en France. Mais maintenant, je m’en fiche. Je fais pas mal de sport pour ne pas trop m’ennuyer, du foot surtout. Je viens un peu à l’école Hors les murs. Je cherche un moyen de gagner de l’argent, pour essayer de m’en sortir. »
Ces écoles tournent à la force de leurs bénévoles, avec des fournitures qu’elles récupèrent comme elles peuvent. Hors les murs fait en réalité classe dans les murs des autres – le studio 11/15, un espace de la Ville dédié aux adolescents, et le lycée Guist’hau. Julien Long, ancien prof de français et d’histoire-géo aujourd’hui en thèse en sociologie sur les mobilisations autour des étrangers, a largement contribué à monter l’école. « Je ne m’attends pas à ce que cette école change tout, mais c’est une pierre ajoutée à l’édifice… Je n’aurais jamais pensé me battre pour que des jeunes rejoignent une école "classique", mais le projet a démarré à leur demande. On ne lutte pas pour eux, on lutte avec eux. »
« Les pratiques locales discriminatoires du Rectorat de Nantes »
Hors les murs a été créée par l’association AJS (Action jeunesse scolarisation), qui se bat parallèlement pour trouver des places aux jeunes dans les établissements scolaires. « On a pu scolariser 52 jeunes pour la rentrée de septembre 2017, uniquement dans le privé. » Insuffisant pour les militants, mais déjà un véritable tour de force étant donné la situation des élèves : sans papier, sans argent, sans parent.
D’après Julien Long, en théorie, tous les lycées peuvent accueillir des jeunes ayant déposé des recours, mais dans les faits cela est devenu quasiment impossible dans le public : « Le recteur d’académie a donné des consignes. Il ne veut pas aller à l’encontre du Conseil départemental. » La situation n’aurait pas changé pour la rentrée 2017. En conséquence, le 31 août dernier, le nouveau collectif MRS (Mineur-e-s Rejeté-e-s Solidaires) et AJS organisaient un rassemblement pour dénoncer « les pratiques locales discriminatoires du Rectorat de Nantes » [1].
Les lycées privés s’ouvrent
Travailler à scolariser, malgré tout, les jeunes déboutés, c’est aussi ce à quoi s’emploie RESF Nantes (Réseau éducation sans frontière). Pour cela, Bahija Kourisna, vice-présidente de l’asso et professeure de français dans un lycée public, se tourne elle aussi vers le privé. « Finalement dans le privé, il y a peut-être une culture plus marquée de la main tendue. » Il y a aussi des frais d’inscriptions conséquents... à la charge des familles. Dans le cas des jeunes isolés, ce sont les collectifs et les associations qui paient la note. « Nous travaillons avec le lycée Saint-Félix, où la scolarisation coûte 800 € par jeune et par an, mais ce coût diminue si on en inscrit plusieurs. » En 2016-2017, finalement, RESF Nantes a réglé environ 2000 euros pour cinq jeunes scolarisés. « On récolte des dons en ligne, on organise un vide grenier annuel, on demande à d’autres assos de contribuer », précise Bahija Kourisna. De même, AJS a pu réunir 22 000 euros pour les 36 jeunes, notamment grâce à des soirées de soutien.
Quelques dizaines de jeunes scolarisés, mais des centaines sur le carreau, pour lesquels il reste les écoles alternatives, quand ils en ont encore l’envie. « L’exil crée une rupture dans le processus d’apprentissage, analyse Julien Long. Ils peuvent se bloquer, ne pas venir. Ils n’ont pas forcément beaucoup d’attention disponible pour ça, et sont préoccupés par bien d’autres choses. Ils le disent souvent : cette situation leur "bouffe la tête". »
La session du jour se termine par une question sur ce que les jeunes aimeraient étudier la prochaine fois : « Est-ce que le texte d’une chanson vous convient ? » Un jeune s’enthousiasme : « Oui ! Pourquoi pas un texte de Zaz ? » « Hum », soufflent d’un air dubitatif les bénévoles. « Mais enfin, pourquoi vous n’aimez pas Zaz !? », s’exclame le jeune homme, feignant l’outrage, et faisant rire toute l’assemblée...
Marie Bertin (Les Autres Possibles)
Illustration : Camille Van Haecke
Photo de une : extraite de notre article « Ces villages qui choisissent, tant bien que mal, d’accueillir les migrants » / Olivier Favier
Cet article est un extrait du numéro 9 du magazine papier Les Autres Possibles :« Citoyens solidaires & jeunes exilés », qui consacre son numéro aux réseaux d’hébergeurs solidaires, aux avocats volontaires et à ces écoles qui se montent pour combler les besoins. Le numéro laisse également la parole à des jeunes Africains sans papiers racontant leurs parcours jusqu’à Nantes, en intégrant leurs dessins, une cartographie, et du contenu augmenté.
En savoir plus sur le numéro #9 des Autres Possibles.
Les Autres Possibles est un mensuel papier « carto-graphique », indépendant, consacré aux solutions solidaires et durables du territoire nantais (Loire-Atlantique). Le premier numéro est paru en décembre 2016. Il est édité par l’association Les Amis du MAP, sous forme de carte routière sur un beau papier recyclé, et illustré par un artiste nouveau chaque mois. Il coûte 2 euros et ne publie habituellement pas de contenu sur le web.