Le conseil des ministres québecois a validé la nomination de Philippe Tanguy comme nouveau directeur général de Polytechnique Montréal, l’institution publique chargée de former les ingénieurs de la province francophone canadienne. Philippe Tanguy était auparavant vice-président de Total en charge du développement scientifique international. Sur son profil LinkedIn, il déclare s’être également occupé de la collaboration de la firme pétrolière avec « la R&D [recherche et développement] publique ».
« On a aujourd’hui une firme comme Total qui fournit à une grande école comme Polytechnique son directeur général. Le symbole est fort », a déclaré Alain Deneault, auteur de De quoi Total est-elle la somme ?, au Journal de Montréal. « Forcément les orientations de l’école tendront à se conformer aux firmes du domaine du pétrole et de l’énergie. » Philippe Tanguy - qui a enseigné pendant quinze ans à Polytechnique Montréal avant de rejoindre Total - aura la main sur un budget de recherche de 73 millions de dollars canadiens, financés en grande majorité par les contribuables québécois. Un groupe étudiant, baptisé « Regroupement de Poly contre Total » (RPCT), avait fait campagne contre cette nomination annoncée il y a quelques mois, sans succès.
Lire notre entretien avec Alain Deneault : « Nous n’avons pas besoin des multinationales. La solution, c’est leur dissolution »
Une imbrication croissante entre entreprises et enseignement supérieur
Et en France ? Bien que « l’ouverture » des universités aux entreprises soit une priorité politique depuis une vingtaine d’années, le secteur privé ne contribue encore que marginalement au financement de l’éducation supérieure - si ce n’est dans certaines écoles spécialisées. Total a noué des partenariats financiers et académiques avec l’université de Lorraine et avec l’université de Pau et des Pays d’Adour (du fait de son implantation historique à Lacq).
Outre leurs initiatives ciblant les étudiants, la présence des entreprises dans les universités et grandes écoles françaises passe principalement par le financement de doctorats ou de chaires. On trouve également des représentants de multinationales dans leurs conseils d’administration. Total déclare quant à elle financer une trentaine de chaires universitaires dans le monde, y compris en France (Dauphine, IFP-EN, Centrale Supélec). Les premiers pas de Total avec Polytechnique Montréal datent d’ailleurs de 2004, lorsque l’entreprise y avait créé une chaire consacré au « génie des procédés ».
Science et influence, de Monsanto à Total
L’expertise et les activités de recherche de Polytechnique Montréal ne sont pas indifférentes aux intérêts commerciaux de Total. Il y a 18 mois, l’entreprise française publiait sa « stratégie climat » - un document hautement stratégique puisqu’il s’agissait de convaincre les décideurs et le public que l’industrie pétrolière avait encore un avenir malgré l’Accord de Paris. Comme l’avait montré notre Observatoire des multinationales dans une analyse approfondie, ce document accorde une place tout à fait stratégique à une étude commanditée par Total au Ciraig, un centre de recherche appliquée lié à Polytechnique Montréal.
Cette étude valide les affirmations répétées des grandes multinationales pétrolières selon lesquelles le gaz - y compris le gaz de schiste - serait une énergie fossile comparativement propre, notamment par rapport au charbon. D’autres études suggèrent au contraire que le gaz pourrait être tout aussi néfaste pour le climat que le charbon. L’étude du Ciraig était basée sur une méthodologie développée dans le cadre de sa « chaire internationale sur le cycle de vie », elle-même financée par Total (mais aussi Michelin, ArcelorMittal et quelques autres).
Bref, le terrain des études scientifiques sur le climat et les gaz à effet de serre pourrait bientôt devenir aussi truffé de manipulations, de conflits d’intérêts et de jeux d’influence que ne le sont les recherches sur les pesticides, les OGM ou le tabac.
Olivier Petitjean