Une nouvelle conférence internationale sur le climat s’ouvre le 3 décembre en Pologne, à Katowice. A cette occasion, deux rapports des Amis de la Terre et d’Oxfam France font le point sur les investissements des grandes banques françaises dans le secteur énergétique [1]. Leur conclusion est sans appel : BNP Paribas, la Société générale, le Crédit agricole et les autres continuent, trois ans après l’Accord de Paris, à financer massivement les énergies sales fortement émettrices de gaz à effet de serre, tandis que leur soutien aux énergies renouvelables patine. Et ce, alors même qu’il ne se passe pas un mois sans que ces mêmes grandes banques annoncent un nouvel engagement « vert » ou lancent un nouveau produit financier « décarboné ».
Charbon, pétrole et gaz bien plus financés que les énergies renouvelables
Selon Oxfam, en 2016 et 2017, les six plus grandes banques françaises ont consacré près des trois quarts de leurs financements vers le secteur énergétique au charbon, au pétrole et au gaz – ces énergies fossiles qui sont la première source de gaz à effet de serre au niveau mondial. Soit 43 milliards d’euros, contre seulement 12 milliards pour les énergies renouvelables sur la même période. 43 milliards, c’est un peu plus que le budget alloué à la transition écologique par le gouvernement en 2019 (34,2 milliards). BNP Paribas, la Société générale, le Crédit agricole sont les principaux pourvoyeurs de fonds aux énergies sales. A l’inverse, la Banque postale affiche un portefeuille d’investissements beaucoup plus « vert », mais aussi beaucoup plus modeste.
Entre janvier 2016 et septembre 2018, selon les Amis de la Terre, les trois poids lourds bancaires français ont encore investi près de 10 milliards dans les entreprises actives dans le secteur du charbon, comme l’allemande RWE (lire notre article sur la récente lutte pour protéger la forêt de Hambach contre cette firme). C’est 50 % de plus qu’au cours de la période 2013-2015, alors même que le charbon est largement considéré comme la source d’énergie à éliminer en priorité pour contenir le réchauffement des températures globales.
Comment comprendre ce grand écart entre les discours et la réalité ? Simple hypocrisie de la part des grands groupes bancaires, qui poursuivent cyniquement leurs activités lucratives dans les hydrocarbures tout en laissant le soin à leurs services marketing de leur construire une image écolo ? Impuissance des banques à changer à elles seules la réalité économique du secteur énergétique, où le poids des intérêts pétroliers et charbonniers et les incitations financières poussent à la fuite en avant dans l’exploitation des énergies fossiles ? Probablement les deux à la fois.
La finance, en première ligne de la destruction ou de la sauvegarde du climat ?
Depuis quelques années, les militants du climat ont fait du secteur financier une cible privilégiée. Leur raisonnement est simple : c’est en coupant à la source les flux de financement qui les rendent possibles que l’on pourra empêcher le développement de nouveaux projets d’extraction d’hydrocarbures ou de centrales électriques polluantes, et donc contenir l’augmentation autrement inexorable des émissions globales de gaz à effet de serre.
En 2014, les Amis de la Terre et leurs alliés avaient ainsi mené une campagne victorieuse pour forcer la Société générale et les autres grandes banques hexagonales à se désengager des projets de nouvelles mines de charbon géantes dans le Nord-ouest australien (lire notre article). La pression a continué depuis. Régulièrement, les écologistes dénoncent le rôle des banques françaises et internationales dans le financement de l’exploitation des hydrocarbures, des oléoducs ou des infrastructures gazières. Tout aussi régulièrement, les banques répondent par des annonces en trompe-l’œil et des engagements partiels, qui ne changent pas grand chose.
L’illusion de la finance verte
L’accent mis sur le rôle de la finance n’est pas seulement le fait d’ONG activistes. C’est un diagnostic partagé, sous des formes très différentes, aussi bien par le mouvement pour le désinvestissement des énergies fossiles, portée par l’ONG 350 (lire notre entretien avec sa directrice exécutive May Boeve), que par Emmanuel Macron, qui en a fait la clé de voûte de l’action diplomatique de la France en matière de climat. L’organisation du « One Planet Summit » à Paris en décembre dernier visait explicitement à faire du secteur financier – public et privé – le moteur de la lutte contre le réchauffement climatique.
Ce consensus apparent cache de profondes différences. À l’occasion du One Planet Summit, l’Observatoire des multinationales avait montré, dans le cadre d’un partenariat avec 350 France, que les institutions financières publiques françaises comme la Caisse des dépôts – souvent présentés comme des modèles de « verdissement » de leurs portefeuille – restaient largement investies dans le secteur du charbon, du pétrole et du gaz, et y compris dans des nouveaux projets de développement de gisements d’hydrocarbures jusqu’ici inexploités (lire nos enquêtes ici et là). La faute à des critères d’exclusion trop lâches, des objectifs trop vagues, des engagements trop lacunaires.
De même, aujourd’hui, les grandes banques françaises se défendent contre les accusations des Amis de la Terre et d’Oxfam en mettant en avant leurs investissements dans les « obligations vertes », leurs objectifs à l’horizon 2020, ou bien encore le verdissement graduel du mix énergétique de leurs investissements [2]. Les chiffres publiés par les deux ONG montrent ce qu’il y a de concret derrière les beaux discours et les « innovations » de la finance verte : pas grand chose.
Olivier Petitjean