Do-it-yourself
A Caen, un atelier participatif pour réparer, recycler ou construire soi-même son vélo
Réparer une roue crevée, changer ses freins,
régler ses vitesses ou construire soi-même son vélo de A à Z : la Maison
du vélo, à Caen, propose aux citoyens d’investir la réparation de leur
bicycle, dans la bonne humeur et dans un esprit de coopération.
Objectif : développer le recyclage des vélos, apprendre
l’auto-réparation, tout en favorisant mixité sociale et échanges.
Reportage.
Quand elle est entrée dans l’atelier, Lucille ne s’attendait pas à repartir avec un bicycle… presque tout neuf. « Je suis venue pour récupérer des pièces pour des amis. Et j’ai flashé sur ce vélo, à ma taille, raconte la jeune femme. Cela aurait été dommage de le laisser pourrir. »
Les roues sont voilées, la chaine rouillée, les freins hors d’usage :
pour le moment, réparer ce vieux vélo semble un véritable défi. Mais
Lucille a croisé sur son chemin un de ces techniciens discrets, qui va
l’aider dans sa tâche…
Bienvenue à la Maison du vélo, à Caen, au pied d’un carrefour où passent, à longueur de journées, des milliers d’automobilistes. Réparation, location, achat : le monde du deux roues a trouvé, dans les locaux d’un ancien magasin Point-P, son repaire. Un atelier collaboratif aux allures de squat, avec des œuvres d’art sur les murs et un bar pour y prendre un café, où chacun peut réparer son vélo grâce aux conseils des techniciens, salariés ou bénévoles. Christian, un ancien formateur à la retraite, passe deux à trois demi-journées par semaine. « Ce qui m’intéresse, ici, c’est l’humain, explique-t-il. Qu’ils soient SDF ou avocats, on leur apprend à réparer et prendre soin de leur vélo. » Et pour des tarifs très abordables.
Pour une trentaine d’euros, la Maison du vélo vend des bicycles que ses membres ont réparés. Avec une spécificité : celui qui l’achète doit s’atteler à réparer un dernier élément – un pneu crevé, des freins desserrés, des vitesses déréglées. Car la Maison du vélo n’est pas un prestataire de services. Son objectif est de transmettre son savoir-faire. « C’est un atelier d’aide à la réparation, explique Julien, bénévole. On aide à faire, et très souvent, c’est de la bobologie, de petites réparations. »
Ce projet, c’est Arnaud Cottebrune-Lenoir qui l’a impulsé il y a quatre ans. Le coordinateur de la Maison du vélo est alors en formation pour devenir éducateur spécialisé. Dans le cadre d’un projet d’étude, il décide de lancer un atelier de réparation des vélos, à Colombelles, dans la banlieue de Caen. L’idée est de réaliser son travail d’éducateur en dehors des foyers ou structures estampillées. « Quand tu es dans un foyer, tout le monde te voit comme un gamin de foyer », explique-t-il. Le vélo n’est qu’un prétexte, qui lui permet d’approcher un public en évitant la stigmatisation. Ne pas s’afficher « travailleur social » afin d’être, au final, plus efficace.
Le vélo apparaît comme un outil qui permet de rassembler. « N’importe qui peut être intéressé par le vélo. Et l’auto-réparation, c’est accessible à tous, estime Arnaud. Ça aurait pu être le grille-pain ! Mais le vélo a un effet de levier super fort, lié à la santé, l’économie, l’écologie, le transport, etc. » Dans un atelier, les gens sont obligés de collaborer, se transmettre les outils, se parler. « C’est une expérience sensible, avec plein d’interactions car on fait des choses ensemble. »
A l’image de ces « apéros démontage », organisés une fois par mois, où les membres de l’association sont invités à venir créer, déguisés et dans une ambiance festive, le vélo de Gainsbourg par exemple. La Maison du vélo organise aussi des ateliers itinérants dans des quartiers populaires ou des rassemblements ; de la location de vélos classiques et électriques ; de la formation dans les entreprises pour convaincre les salariés d’utiliser le vélo. Elle informe également les touristes de passage sur les potentialités cyclistes du territoire, développe une activité de vélo-école et propose un service de consigne pour ceux qui prennent le train. « Face à la solitude, tu peux te lamenter, être fataliste ou en colère. On l’a fait 1000 fois avec les copains, autour d’un verre, raconte Arnaud Cottebrune-Lenoir. Il restait une solution : tenter l’inconnu, chercher des alternatives. »
Il a aussi fallu se faire une place dans un éco-système. Aller rencontrer les marchands de vélo afin de leur expliquer la complémentarité des approches : « Nous ne vendons pas de pièces neuves, donc nous ne nous adressons pas à des personnes qui viennent acheter du matériel, mais plutôt à ceux qui veulent retrouver du lien social, avoir un espace où agir. » Ou encore proposer une alternative au vélo en libre accès de la ville de Caen, le V’éol, géré par l’entreprise Clear Channel. Une initiative qui coûterait chaque année 475 000 euros à la municipalité, ainsi que des arrangements commerciaux comme la cession d’espaces publicitaires. La Maison du vélo, elle, ne reçoit que 10% de ce que coûtent les V’éols, et compte déjà plus d’adhérents...
« Si on arrive à proposer l’électrification des vélos à un coût raisonnable, ce serait une belle avancée », estime Arnaud Cottebrune-Lenoir. Pratique pour les longues distances. Julien, le bénévole, n’y croit pas : « Le moteur va t’aider à porter le poids supplémentaire de ta batterie. Et d’où vient l’énergie ? » Les vélos électriques que proposent de tester la Maison du vélo rencontrent en tout cas un grand succès : ils sont tous loués en permanence. Mais les vélos classiques attirent également. « On aimerait découvrir la ville à vélo », expliquent quatre étudiantes allemandes venues se renseigner sur les offres de la Maison. « Si on arrivait à fournir un vélo à chaque étudiant Erasmus, gratuitement, grâce à un partenariat avec l’université, ce serait formidable pour l’image de notre ville », lance le coordinateur. A la Maison du vélo, la roue n’a pas fini de tourner.
Simon Gouin (texte et photos)
Pour en savoir plus : le site Internet de la Maison du vélo
Bienvenue à la Maison du vélo, à Caen, au pied d’un carrefour où passent, à longueur de journées, des milliers d’automobilistes. Réparation, location, achat : le monde du deux roues a trouvé, dans les locaux d’un ancien magasin Point-P, son repaire. Un atelier collaboratif aux allures de squat, avec des œuvres d’art sur les murs et un bar pour y prendre un café, où chacun peut réparer son vélo grâce aux conseils des techniciens, salariés ou bénévoles. Christian, un ancien formateur à la retraite, passe deux à trois demi-journées par semaine. « Ce qui m’intéresse, ici, c’est l’humain, explique-t-il. Qu’ils soient SDF ou avocats, on leur apprend à réparer et prendre soin de leur vélo. » Et pour des tarifs très abordables.
Récupérer, recycler et transmettre un savoir-faire
L’accès à l’atelier et à ses nombreux outils est gratuit. A l’accueil, on incite simplement à adhérer à l’association, pour 10 euros, quand la fréquentation devient régulière. Un peu plus d’un an après son ouverture, la Maison du vélo compte plus de 2000 membres ! Quand la réparation du vélo implique de remplacer des pièces, les adhérents peuvent piocher dans les stocks de pédales, câbles, dérailleurs, patins à freins, rayons, etc., contre une participation libre, symbolique. Ces pièces sont récupérées sur des deux roues déposés dans les déchetteries des alentours de Caen. Une fois les vélos désossés, les pièces peuvent servir à réparer d’autres vélos, ou à en créer de toutes pièces : comptez alors six vélos récupérés pour en concevoir un !Pour une trentaine d’euros, la Maison du vélo vend des bicycles que ses membres ont réparés. Avec une spécificité : celui qui l’achète doit s’atteler à réparer un dernier élément – un pneu crevé, des freins desserrés, des vitesses déréglées. Car la Maison du vélo n’est pas un prestataire de services. Son objectif est de transmettre son savoir-faire. « C’est un atelier d’aide à la réparation, explique Julien, bénévole. On aide à faire, et très souvent, c’est de la bobologie, de petites réparations. »
La passion du démontage et du recyclage
De petits problèmes qui paraissent parfois bien obscurs pour les néophytes. Heureusement, pour changer les rayons de la roue de son nouveau vélo, Lucille peut compter sur les conseils de Platini, qui passe ses journées à la Maison du vélo. Le jeune homme a attrapé « la maladie », dit-il. Celle du montage et du démontage, du recyclage et de la deuxième vie. Une passion depuis qu’il est tout petit : « Avant, j’ai travaillé dans la carrosserie et la mécanique. Alors ce n’est pas un vélo qui va me dépasser. » Pour Platini, originaire d’Afrique subsaharienne, demandeur d’asile, la Maison du vélo est un lieu « pour ne pas s’ennuyer ». A son attention à la tâche, on devine que le bénévole se sent utile, valorisé. C’est d’ailleurs un des objectifs de la Maison du vélo : être un lieu de mixité sociale et de rencontres.Ce projet, c’est Arnaud Cottebrune-Lenoir qui l’a impulsé il y a quatre ans. Le coordinateur de la Maison du vélo est alors en formation pour devenir éducateur spécialisé. Dans le cadre d’un projet d’étude, il décide de lancer un atelier de réparation des vélos, à Colombelles, dans la banlieue de Caen. L’idée est de réaliser son travail d’éducateur en dehors des foyers ou structures estampillées. « Quand tu es dans un foyer, tout le monde te voit comme un gamin de foyer », explique-t-il. Le vélo n’est qu’un prétexte, qui lui permet d’approcher un public en évitant la stigmatisation. Ne pas s’afficher « travailleur social » afin d’être, au final, plus efficace.
Un lieu d’accueil pour recréer du vivre-ensemble
Devenir un lieu d’accueil : la Maison du vélo a poursuivi cet objectif. Des conventions sont signées avec plusieurs structures, dont des Instituts médicaux éducatifs (IME), établissements de soins pour enfants et adolescents, ou le Centre d’accueil de demandeurs d’asile. Aux côtés des bénévoles, des salariés et du public, tout ce petit monde se côtoie au quotidien. Sans savoir vraiment d’où vient chacun. « Si tu es au RSA, tu peux aussi être une ressource pour d’autres », décrit Arnaud Cottebrune-Lenoir. Le défi de la structure est de « recréer un espace temps où le vivre-ensemble a lieu, face à la solitude citoyenne ». « Nous sommes dans une société du transit, hyper fluide, remarque le coordinateur. A la fin, qu’est-ce qu’il reste de solide ? Nous voulions retrouver un petit village. »Le vélo apparaît comme un outil qui permet de rassembler. « N’importe qui peut être intéressé par le vélo. Et l’auto-réparation, c’est accessible à tous, estime Arnaud. Ça aurait pu être le grille-pain ! Mais le vélo a un effet de levier super fort, lié à la santé, l’économie, l’écologie, le transport, etc. » Dans un atelier, les gens sont obligés de collaborer, se transmettre les outils, se parler. « C’est une expérience sensible, avec plein d’interactions car on fait des choses ensemble. »
A l’image de ces « apéros démontage », organisés une fois par mois, où les membres de l’association sont invités à venir créer, déguisés et dans une ambiance festive, le vélo de Gainsbourg par exemple. La Maison du vélo organise aussi des ateliers itinérants dans des quartiers populaires ou des rassemblements ; de la location de vélos classiques et électriques ; de la formation dans les entreprises pour convaincre les salariés d’utiliser le vélo. Elle informe également les touristes de passage sur les potentialités cyclistes du territoire, développe une activité de vélo-école et propose un service de consigne pour ceux qui prennent le train. « Face à la solitude, tu peux te lamenter, être fataliste ou en colère. On l’a fait 1000 fois avec les copains, autour d’un verre, raconte Arnaud Cottebrune-Lenoir. Il restait une solution : tenter l’inconnu, chercher des alternatives. »
Une association plutôt que des intérêts privés ?
Comment construire un tel projet ? « Nous avons fait un travail de lobbying intense auprès des élus et de l’administration, en mettant en avant l’argument de l’emploi », explique le coordinateur. Au total, six associations se rassemblent autour du projet, dans une structure, Vélisol. 9 employés gravitent autour de la dynamique de la Maison du vélo, dont 3 sont directement financés par Vélisol. Son budget : environ 200 000 euros, dont un tiers de subvention publique, un tiers d’auto-financement (vente de vélos, adhésions, prestations aux entreprises) et un tiers de mécénat. « Quand on cherche des partenaires financiers, le principe est d’en avoir une multitude, pour ne pas être sous l’influence d’un seul », précise Arnaud Cottebrune-Lenoir.Il a aussi fallu se faire une place dans un éco-système. Aller rencontrer les marchands de vélo afin de leur expliquer la complémentarité des approches : « Nous ne vendons pas de pièces neuves, donc nous ne nous adressons pas à des personnes qui viennent acheter du matériel, mais plutôt à ceux qui veulent retrouver du lien social, avoir un espace où agir. » Ou encore proposer une alternative au vélo en libre accès de la ville de Caen, le V’éol, géré par l’entreprise Clear Channel. Une initiative qui coûterait chaque année 475 000 euros à la municipalité, ainsi que des arrangements commerciaux comme la cession d’espaces publicitaires. La Maison du vélo, elle, ne reçoit que 10% de ce que coûtent les V’éols, et compte déjà plus d’adhérents...
Vers l’électrification des vélos ?
A terme, les partenaires publics se retireront probablement du projet. La Maison du vélo devra alors poursuivre son chemin, sans « roulettes ». Des projets, la structure n’en manque pas. Dans l’espace accueil, ce jour là, un petit groupe de passionnés s’est donné rendez-vous pour parler « électrification » des vélos. Un étudiant est venu avec son Bmx sur lequel il a adapté un moteur. Presque une mobylette, avec une autonomie de 100 km maximum. Seul hic : l’ensemble pèse plus de 40 kilos.« Si on arrive à proposer l’électrification des vélos à un coût raisonnable, ce serait une belle avancée », estime Arnaud Cottebrune-Lenoir. Pratique pour les longues distances. Julien, le bénévole, n’y croit pas : « Le moteur va t’aider à porter le poids supplémentaire de ta batterie. Et d’où vient l’énergie ? » Les vélos électriques que proposent de tester la Maison du vélo rencontrent en tout cas un grand succès : ils sont tous loués en permanence. Mais les vélos classiques attirent également. « On aimerait découvrir la ville à vélo », expliquent quatre étudiantes allemandes venues se renseigner sur les offres de la Maison. « Si on arrivait à fournir un vélo à chaque étudiant Erasmus, gratuitement, grâce à un partenariat avec l’université, ce serait formidable pour l’image de notre ville », lance le coordinateur. A la Maison du vélo, la roue n’a pas fini de tourner.
Simon Gouin (texte et photos)
Pour en savoir plus : le site Internet de la Maison du vélo