Nantes : Cet homme est-il un « casseur » ? Non, c’est un policier
La police se déguise de plus en plus en « casseurs »,
dont l’image violente est utilisée ensuite par les médias. Samedi
après-midi, une nouvelle manifestation s’est tenue à Nantes suite à la
mort de Rémi Fraisse. Les provocations policières ont rapidement donné
lieu à des affrontements, alors que la manifestation était
majoritairement pacifique. Et les policiers en civil, déguisés en
manifestants, jouent un rôle trouble.
Nantes, reportage
Samedi 1er novembre, à Nantes, la
manifestation en hommage à Rémi Fraisse, militant écologiste tué par une
grenade explosive de la gendarmerie le 26 octobre 2014 sur le lieu du
barrage de Sivens, dans le Tarn, a une nouvelle fois donné lieu à un
déchaînement de brutalités policières contre les 1.500 manifestants
présents, dans leur grande majorité non violents.
Avant même le début de la manifestation, la quasi-totalité de la
presse locale titrait sur les violences à venir, fournissant la liste du
vocabulaire de circonstance — « casseurs », « dégradations », « guérilla urbaine » — et déroulant la litanie des lamentations de commerçants et de Nantais nécessairement « excédés »
par les événements. La précédente manifestation nantaise pour Rémi
Fraisse, lundi 27 octobre, avait, il est vrai, fourni du grain à moudre
aux annonciateurs de désastres : vitrines et banques démolies devant des
policiers passifs. Les petits commerces avaient été globalement
épargnés.
Ce samedi, un tract appelait cette fois à faire « ce qu’ils n’attendent pas de nous » : « Aujourd’hui, cela sent davantage le guet-apens qu’une insurrection qui vient », notait le texte signé par « quelques occupants de la ZAD ». Une consigne dans l’ensemble respectée, les destructions ayant été minimes tout au long de la journée.
La marche, commencée à 14 heures devant la préfecture, se déroule d’abord dans le calme. Des banderoles et pancartes « naturalistes en lutte » ou « ils mutilent, ils tuent nos enfants. Surarmement, impunité de la police, stop » sont posées sur le monument aux morts des 50 Otages.
Deux hélicoptères survolent la ville. Alors que le cortège remonte la rue de Strasbourg, les rangées de CRS sont de plus en plus proches. Les manifestants scandent « assassins » en passant devant les policiers.
Les premiers incidents démarrent avec la présence d’un CRS visant les manifestants avec son flashball.
- Le tireur se distingue entre les deux policiers casqués.-
Une provocation, puisque la manifestation se déroulait jusque-là dans
le calme. Quelques œufs et bouteilles vides volent en direction du
fonctionnaire, et servent de prétexte pour tirer les premières grenades
lacrymogènes et pour charger.
Le cortège est coupé en deux. Une quinzaine de membres de la Brigade anti-criminalité (BAC), à l’apparence et au vocabulaire plus proche de braqueurs de banque que de policiers, surgit en courant du haut de la rue.
- Des « casseurs » ? Non. Des policiers…-
- Précisons : des « casseurs » ? -
- Le foulard qui lui dissimule le visage dessine… une tête de mort. -
Cagoulés, matraques télescopiques en main, ils arrêtent une première personne.
L’homme, au sol, est frappé dans le dos.
Un autre lance « casseur de merde »
à un jeune manifestant, pourtant calme. Un habitant du quartier qui
souhaite rentrer chez lui s’avance vers les policiers, qu’il gratifie
d’un « fascistes ».
Il est emmené manu militari.
Mais notez, à gauche, ces policiers à l’allure de « casseurs » :
Un peu plus loin, un premier blessé, touché au niveau de l’arcade, est pris en charge par un secouriste de la manifestation.
Alors que le cortège rebrousse chemin en direction de la place du Commerce,
le scénario du reste de la journée se met en place. Un front,
constitué des manifestants favorables à l’affrontement – essentiellement
des militants anarchistes et autonomes – se positionne face aux
gendarmes mobiles ou aux CRS. Le reste du
cortège se situe en retrait, mais ne se disperse pas. Aux tirs de la
police, les premiers répondent par des charges sporadiques, parfois
protégés par des barrières de chantier, par des jets de pavés, de
bouteilles vides et parfois de fusées de détresse.
Deux poubelles sont incendiées cours des 50 Otages, au niveau de la
place de l’Ecluse. Des pavés sont arrachés des voies de tram.
L’auteur de ces lignes n’a, en revanche, pas été témoin de lancers de
bouteilles contenant de l’acide, comme l’a affirmé plus tard le préfet
de Loire-Atlantique lors d’une conférence de presse.
Peu à peu, la composition de la manifestation change, avec l’arrivée
de jeunes moins politisés, attirés par les affrontements. Un camion à
eau est stationné dans une rue adjacente.
De nouvelles charges dissolvent une partie de la manifestation peu
après 17 h 30, mais le rassemblement se reconstitue. Un sitting est
organisé face à un cordon de plusieurs centaines de CRS et de gendarmes mobiles.
Vers 18 h 30, le cordon avance et les policiers frappent à coup de
pied les militants assis au sol. Le mouvement est accompagné de tirs de
gaz lacrymogène, de flashball, de grenades assourdissantes. Une jeune
manifestante non violente, blessée à la jambe par une grenade de
désencerclement (tirée par des policiers encerclant les militants…),
s’enfuit en hurlant et s’effondre au sol. « L’endroit où ils ont enlevé les arbres au Testet, c’est là où j’habitais quand j’étais petite », nous raconte-t-elle plus tard, après avoir repris ses esprits.
À ce moment, un nombre non négligeable de manifestants pacifiques se trouve encore sur place.
La dissolution définitive a lieu vers 19 h 30, en particulier après
une charge d’un groupe d’une quinzaine de personnes, probablement
d’extrême droite, sur des jeunes (tabassage, jets de pierre) qui
venaient de renverser un conteneur à verre place de la petite Hollande.
La manifestation s’est soldée par l’arrestation de vingt-et-une
personnes, dont cinq étaient toujours en garde à vue dimanche midi selon
la presse locale. Nous avons par ailleurs pu constater un nombre de
blessés supérieur au bilan de cinq à six personnes annoncé dans la
presse. L’un d’eux a notamment été blessé au nez par un tir de
flashball.
Malgré la présence d’une majorité de militants non violents,
l’ensemble des personnes présentes à Nantes ce samedi ont été
systématiquement qualifiées de « casseurs »
dans la plupart des médias et par les partis politiques, du Parti
socialiste jusqu’à l’extrême droite. Des casseurs n’ayant pas cassé
grand-chose et dont il restera donc à préciser la définition. De son
côté, Europe Ecologie Les Verts s’est contenté de condamner les
violences, sans un mot sur la responsabilité de la police. Une prise de
position qui aura une fois de plus abandonné de nombreux militants dans
la rue sans aucun soutien politique.
Reportage de Vladimir Slonska-Malvaud pour Reporterre