dimanche 29 mars 2015

Un redémarrage des profits sur le dos des salariés (L'Humanité)

Kevin Boucaud

Jeudi, 26 Mars, 2015
L'Humanité
Photo : Rémy Gabalda/AFP
Sur les derniers résultats de la société Airbus, les dividendes distribués aux actionnaires augmentent de 60 %. dans le même temps, la direction affiche sa volonté d’augmenter le temps de travail des salariés, cadres compris.
Photo : Rémy Gabalda/AFP
En 2014, les profits des groupes du CAC 40 ont bondi de 40 %. Leurs actionnaires ont empoché le gros du gâteau. Des résultats obtenus contre l’emploi et les salaires. La reprise de l’économie, elle, reste en attente.
En 2014, les sociétés du CAC 40 ont dégagé 67,58 milliards d’euros de profit, soit une hausse de 39,4 % par rapport à 2013. Un formidable pactole dont l’essentiel est tombé dans l’escarcelle de leurs actionnaires, sous forme de dividendes ou de rachats d’actions : 56 milliards d’euros exactement, un montant proche du record de 2007 (plus de 60 milliards d’euros). Peut-on dès lors parler de « reprise de l’économie », comme tente de le faire croire le gouvernement ? Ce serait oublier que les chiffres d’affaires, reflets de l’activité, restent, eux, stables (+ 0,3 %). Tout donne à penser, en réalité, que les champions du CAC ont obtenu ces résultats net (profits) en comprimant la masse salariale, autrement dit les rémunérations et l’emploi. Illustrations.
Avec un résultat net de 4,39 milliards d’euros (+ 18,1 % par rapport à 2013), le groupe pharmaceutique Sanofi se classe à la troisième place du CAC 40. Dans le même temps, l’entreprise a reversé 3,7 milliards d’euros de dividendes à ses actionnaires, qui ont également pu bénéficier de 1,8 milliard d’euros de rachat d’actions. Tandis que l’emploi continuait de fondre : le groupe a détruit 4 879 CDI en six ans, soit 18 % des effectifs. Une saignée obtenue par « non-remplacements de départs à la retraite, fermetures ou ventes de sites ou par licenciements individuels », explique Thierry Bodin, coordinateur CGT de Sanofi. Un emploi qui s’est également précarisé, le nombre de CDD ou contrats d’intérim s’étant accru de 3 000 sur la même période. Selon le syndicaliste, l’équation utilisée par les dirigeants est simple : « Ils font tout pour augmenter la productivité des salariés en réduisant la masse salariale et en exerçant de fortes pressions sur les sous-traitants. »

Actionnaires à la fête, 
salariés à la diète

Scénario quasiment similaire chez GDF Suez. Le groupe énergétique détenu à 33,29 % par l’État a réalisé l’an dernier 2,44 milliards d’euros de profit. Ses actionnaires ont empoché la coquette somme de 3,4 milliards d’euros en dividendes et rachats d’actions. La situation est bien moins favorable pour les salariés. Selon Yves Ledoux, responsable CGT du groupe, « 3 000 emplois ont été supprimés sur 
dix-huit mois, de janvier 2013 à juin 2014 ». Et dans les négociations annuelles obligatoires (NAO), « les dirigeants ne proposent pas plus de 0,3 % d’augmentation salariale ».
Le constructeur aéronautique Airbus affiche un résultat net de 2,343 milliards d’euros (+ 59,1 % en un an). La direction n’en a pas moins « décidé de geler l’embauche des cadres, avec pour objectif de passer de 24 000 à 16 000 en trois ans », indique Philippe Fernin, délégué CGT d’Airbus Opérations. Et l’augmentation salariale de 3,4 % sur les deux dernières années paraît également maigre en comparaison du bond de 60 % des dividendes, qui s’élèvent à plus de 1 milliard d’euros. Le syndicaliste dénonce également la dégradation des conditions de travail, entraînée par la politique de compétitivité de l’entreprise. À partir du 30 mars, les horaires de travail des non-cadres doivent subir des modifications, qui ont déclenché des mobilisations à Saint-Nazaire et à Nantes. Les cadres ne sont pas vraiment mieux lotis. Selon Philippe Fernin, « la volonté de la direction est d’augmenter le temps de travail, ainsi que le nombre de jours travaillés, en diminuant les jours de RTT ». « Les cas de burn-out sont de plus en plus nombreux chez ces derniers », ajoute-t-il.
Chez l’assureur Axa, qui a réalisé le deuxième résultat net du CAC après Total, avec 5 milliards d’euros, l’emploi n’est pas mieux assuré. D’après Alain Jolly, représentant CFE-CGC, le groupe devrait perdre environ 15 000 emplois en France d’ici trois ou quatre ans. Pour les salaires, une hausse de 1,6 % est prévue entre 2014 et 2016, un chiffre faible au regard de l’augmentation de 12 % des profits de l’entreprise en 2014.
Actionnaires à la fête, salariés à la diète, emploi en berne… Au-delà des choix stratégiques des groupes, ces résultats relancent, si besoin était, la question du bien-fondé du pacte de responsabilité, avec son cortège de cadeaux versés aux entreprises, CAC 40 inclus, au nom de… l’emploi, et sans contrôle.
Le chômage en hausse. Le nombre de chômeurs en catégorie A (ceux n’ayant pas travaillé) est reparti en hausse en février de 0,4 %. Les demandeurs d’emploi en activité réduite, les catégories B et C, progressent aussi respectivement de 1,4 % et de 0,8 % sur le mois. Au total, 5,26 millions de personnes sont inscrites au chômage, un nouveau record. Et un mauvais signe avant le second tour des élections. Pour tenter de noyer le poisson, le ministère 
du Travail s’est réjoui d’une hausse moins forte : « Depuis 2008, c’est la première fois que l’on constate une baisse du nombre d’inscrits en catégorie A sur les deux premiers mois de l’année. »