dimanche 10 mai 2015

« Monsieur le juge, rendez-moi mon parachute doré ! » (L'humanité)

« Monsieur le juge, rendez-moi mon parachute doré ! »

Cyprien Boganda
Jeudi, 7 Mai, 2015
Humanité Dimanche

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Un ancien dirigeant de la Société générale nous a saisi, en 2014, parce qu'il n'avait touché que "500 000 euros" raconte, à titre d'exemple, un conseillers prud'hommes.
Photo : H. De Oliveira/Expension-Réa
Ils ne raffolent pas du droit du travail ... sauf quand il s’agit de défendre leurs propres droits. d’anciens dirigeants mis à la porte de leur entreprise n’hésitent pas à se retourner contre leur ancien employeur... et vont aux prud’hommes! et dans ces cas-là, les indemnités demandées n’ont pas grand-chose à voir avec celles du travailleur lambda. Florilège des réclamations les plus délirantes.
Aux prud’hommes de Paris, on croise des employés licenciés d’un claquement de doigts, des cadres en délicatesse avec leur employeur, des travailleurs remerciés après deux ans de CDD ... et des patrons honteusement spoliés de leur parachute doré. Cette dernière catégorie est moins insolite qu’on l’imagine.
« En septembre 2014, par exemple, nous avons eu affaire à un ex-cadre dirigeant de la Société générale qui avait saisi les prud’hommes parce qu’il s’estimait lésé sur son parachute doré, raconte un conseiller. Il n’avait touché “ que ” 500 000 euros, au lieu du million promis. En effet, la moitié de cette somme était liée à ses résultats, et la banque a jugé que la barre n’était pas franchie. » Dur, dur!
En principe, un dirigeant d’entreprise (PDG, gérant, directeur général ...) est un mandataire social, pas un salarié. À ce titre, il ne bénéficie pas de la protection du droit du travail, puisqu’il n’existe pas de lien de subordination avec un éventuel employeur – il n’est responsable que devant les actionnaires. En cas de litige, il a toujours la possibilité de se tourner vers le tribunal de commerce. Pour pouvoir néanmoins bénéficier du droit du travail – donc percevoir des indemnités de chômage ou attaquer leur ancienne boîte aux prud’hommes, le cas échéant –, certains dirigeants cumulent mandat social et contrat de travail.
« ET MES VOYAGES EN AVION GRATUITS ? »
C’est le cas de Pascal de Izaguirre, ancien directeur général chez Air France. Le 19 mai, les prud’hommes de Bobigny rendront leur verdict dans le cadre du conflit l’opposant à la compagnie aérienne. Viré comme un malpropre en 2009 pour un motif vague, l’infortuné dirigeant réclame des indemnités d’un genre un peu particulier. « À son départ de l’entreprise, Pascal de Izaguirre avait signé une transaction avec Air France, détaille un proche de l’affaire. Cette transaction lui faisait bénéficier de voyages Air France gratuits jusqu’à sa retraite, c’est-à-dire aux alentours de 2020. En contrepartie, il s’engageait à ne pas poursuivre son employeur devant les prud’hommes. Mais Air France a décidé de le priver de cette facilité. » Montant réclamé par le licencié: 290 000 euros.
« ÇA FAIT MAL AU CŒUR, SURTOUT LORSQUE LE PATRON QUI RÉCLAME VIENT D’UNE BOÎTE QUI LICENCIE EN MASSE. » PATRICIA PARISIS, CONSEILLÈRE PRUD’HOMALE CGT
UN GROS CASH SI VICTOIRE
Confrontés à ce genre de demande, les conseillers prud’homaux s’efforcent de rester stoïques. « Nous devons juger en droit, même si ça nous fait parfois mal au cœur, explique Patricia Parisis, conseillère CGT. Quand on voit passer des sommes pareilles, cela nous semble indécent. Surtout lorsque le patron, venu réclamer son parachute doré, appartenait à une société qui licencie en masse ... »
Au final, les dirigeants obtiennentils gain de cause ? Il n’existe pas de statistiques sur le sujet. Ce qui est sûr, c’est que les victoires coûtent leur pesant de cash aux entreprises condamnées. En septembre 2013, Canal Plus a été condamnée à verser 2,15 millions d’euros à un ancien cadre dirigeant, François Carayol. En mai 2000, un mois avant la fusion de Canal Plus et Vivendi, plusieurs dirigeants de la chaîne avaient négocié de substantielles indemnités de départ. Mais ces dernières avaient été jugées anormalement élevées par la nouvelle direction, qui s’était empressée de revenir dessus. Le malheureux Carayol a porté plainte ... Et obtenu satisfaction. Pour les patrons aussi, le droit du travail a du bon!