mercredi 6 mai 2015

Réforme du collège : au nom de quel "ennui scolaire" ? (marianne)

Réforme du collège : au nom de quel "ennui scolaire" ?

Pascale Fourier
Journaliste et essayiste.
La ministre de l'Education nationale justifie sa stupide réforme du collège par le fait que 71 % des élèves s'ennuieraient au collège. "Le problème est que ces chiffres sur “l'ennui scolaire”, vieille rengaine pédagogiste, explique Pascale Fourier, sont sortis de nulle part (ou presque) !"
SERGE POUZET/SIPA
Comment Najat Vallaud-Belkacem a-t-elle justifié sa réforme du « mieux apprendre pour mieux réussir » qui sabre dans les heures de cours, éradique le latin, le grec, les classes bilangues et européennes ? Le dossier de présentation de la réforme part d'un « constat » : « Vingt-cinq pour cent des élèves de l'école primaire s'ennuient souvent, voire tout le temps. Ils sont 71 % à être dans ce cas au collège. » D'où le remède à cet ennui scolaire : la mise en place d'enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI). On construira donc en classe de troisième - exemple proposé par le ministère - des maquettes d'éoliennes, activité qui débouchera sur un reportage vidéo pour le blog du collège. Un petit peu d'aide personnalisée là-dessus, et c'est une demi-heure de français, de mathématiques, de LV2, de technologie et de physique - deux heures et demie en tout - qui s'envolent.
Le problème est que ces chiffres sur « l'ennui scolaire », vieille rengaine pédagogiste, sont sortis de nulle part (ou presque) ! D'où vient en effet ce constat d'un tel calvaire des élèves ? D'une enquête menée en 2010 auprès de 760 enfants scolarisés en primaire et au collège, tous issus de quartiers populaires. Et par qui a été faite cette enquête ? Par un étudiant de l'Association de la fondation étudiante pour la ville (Afev), « réseau d'étudiants solidaires intervenant dans les quartiers populaires ». Au lieu de faire une généralité de cette enquête très partielle, le ministère aurait dû préciser que 71 % d'un nombre indéterminé de collégiens (le document n'explique pas quelle proportion d'élèves de primaire et de collégiens ont été interrogés), issus de quartiers populaires (ce que Mme la Ministre a omis de préciser), disaient s'ennuyer en classe. Il aurait dû préciser aussi que ces 71 % comprenaient une part (laquelle ?) d'élèves disant s'ennuyer « quelquefois » en classe (et que celui qui ne s'est pas ennuyé « quelquefois » en classe leur jette la première pierre !), ce que ne comprenait pas le chiffre des 25 % pour l'école primaire.
Pourquoi Najat Vallaud-Belkacem n'a-t-elle pas fait appel aux considérables services de la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (Depp) du ministère dont le rôle est justement de faire des enquêtes sérieuses ? Parce que, nous répond le ministère, la Depp n'a jamais travaillé sur ce sujet présenté comme essentiel ! Parce que l'ennui est, en réalité, une perception, difficilement quantifiable et qu'aucun travail scientifique n'existe sur le sujet... Mais puisque l'étude de l'Afev validait un « constat largement partagé » par les parents, les professeurs et les collégiens eux-mêmes, on s'est appuyé sur cette miniétude sans grande valeur. Le chiffre retenu de 71 % des collégiens s'ennuyant au collège est donc aussi effarant que scientifiquement sujet à caution... Qu'importe, s'il permet d'obtenir l'effet souhaité : clouer au pilori les professeurs de collège qui ne sauraient pas intéresser leurs élèves. Et les réduire au silence pour trancher l'âpre débat qui traverse la communauté éducative depuis des décennies entre tenants d'une pédagogie classique et les tenants des pédagogies dites « actives » : la mise en place des EPI, qui se rattachent à la « pédagogie du projet », au détriment des cours classiques et de la transmission en est la preuve manifeste.
Un passage en force de la ministre par la culpabilisation de ses agents, en somme ? Oui. Car, pour faire taire les enseignants sur les EPI, la perte d'heures disciplinaires, la disparition du latin, du grec, des classes bilangues et européennes, quoi de mieux que la culpabilisation grâce à des chiffres controuvés ? Mission accomplie donc, mais pour combien de temps ?