Chez Walmart, des barbouzes surveillent les syndiqués
Pierric Marissal avec Bloomberg
Jeudi, 26 Novembre, 2015
Humanite.fr
Ce n’est pas n’importe qui : la plus grande entreprise privée de défense et de sécurité du monde, Lockheed Martin, est devenue le prestataire de Walmart. Le géant des supermarchés a payé ces barbouzes pour surveiller les militants syndicaux, employant des méthodes comparables à celles de la NSA.
Tout commence en 2012, lorsque des employés de Walmart envisagent une journée de grève lors du fameux « black Friday », cette traditionnelle journée de frénésie consumériste à laquelle participent près de 150 millions d’Américains à l’approche de Thanksgiving. C’est la panique chez le numéro 1 de la grande distribution, qui fait des milliards de dollars de chiffre d’affaire sur cette seule journée. L’image de marque de l’entreprise déjà écornée risquait de s’en prendre un coup, et les managers suaient à grosse gouttes à l’idée de devoir réorganiser leur million d’employés qui devaient travailler ce jour là sur les 4000 hypermarchés ouverts sur le territoire.
Des salariés venaient de créer OurWalmart, une organisation affiliée au syndicat international des travailleurs du commerce et de l’alimentation, et réclamaient moins de temps partiel, des horaires moins imprévisibles, une meilleure couverture maladie et une hausse des salaires. Les travailleurs se regroupaient sur les parkings car dans la culture d’entreprise de Walmart, la porte du manager est toujours ouverte, mais jamais pour plus d’un salarié à la fois. Impossible de porter une revendication de groupe, tous les conflits se règlent à huis clos.
Pour régler ce « problème », la direction de Walmart a engagé Lockheed Martin pour contrôler ces syndiqués. Les barbouzes de Lockheed sont pourtant plus habitués aux Talibans vindicatifs d’Afghanistan qu’aux caissières de supermarchés à temps partiel. Ce ne sont pas non plus les fameux avions de combat F-16 et F-22, ni les blindés que construit Lockheed qui intéressaient Walmart, mais leurs capacités de renseignement et de surveillance.
« Nous ne sommes pas Daesh »
Ils ont ainsi constitué un centre de crise, baptisé « Black Friday Delta Team », composé des analystes et spécialistes du renseignement de Lockheed. Ils ont recensé, écoutés et suivis tous les syndiqués, militants et sympathisants. Un centre d’appel a été mis en place pour inciter les employés à se dénoncer les uns les autres. Les arrêts médicaux ont été épluchés, des micros camouflés sur les lieux de travail. Le nom de chaque employé qui s’est renseigné sur les grèves, les éventuelles sanctions a été remonté à la direction. Au cours des 10 jours autour du “Black Friday” de 2012, 1600 appels à la hotline de dénonciation ont été passés depuis 977 magasins.
Plus de 1000 pages de documents montrant l’ampleur de la surveillance paranoïaque de Walmart ont été portées devant l'agence fédérale américaine de protection des droits syndicaux. L'agence de presse Bloomberg a pu y accéder.
Exemple de note de surveillance retransmise : 14h30, magasin de Fairfax. Un client demande au caissier des informations sur les risques de grèves à Walmart dans la semaine. Le caissier répond en riant qu’il devrait peut être y participer. Note du manager : il s’agit peut être d’une blague.
Walmart qui refuse de commenter ces accusations, explique que le groupe a du prendre des mesures pour « assurer la sécurité de ses 2,2 millions d’associés (NDLR. salariés dans le langage corporate) et de ses 260 millions de clients hebdomadaires. Il est important de se rappeler que Walmart est la plus grande entreprise du monde, avec ses 11500 magasins dans 28 pays ».
Les syndicats « des parasites suceurs de sang »
Malgré tout, le mouvement social d’ampleur se préparait, des artistes et des indignés ont rejoint OurWalmart. Les salariés identifiés comme syndiqués étaient surveillés au travail, mais aussi sur les réseaux sociaux. Les documents montrent que moins de 10 minutes après qu’un militant a envoyé un tweet à propos de Walmart, il était documenté et retransmis au centre des analystes. Les syndiqués s’en rendaient compte: certains, avec ironie, demandaient à Walmart de leur rappeler leur agenda du lendemain. Un autre encore demandait si les actionnaires savaient que des analystes de Lockheed Martin étaient payés pour lire ses tweets.
Des milliers d’entre eux étaient sous surveillance. Il y a eu malgré ces pressions 250 piquets de grève. Dans les jours qui ont suivi, 70 syndiqués ont subi des mesures disciplinaires, 20 d’entre eux ont été licenciés.
Affiche Occupy
C’est ainsi que le géant des supermarchés a monté son propre service de renseignement, toujours plus performant au fil des années, qui flique les syndicalistes grâce aux mêmes méthodes que la NSA, récupérant des tonnes de données. Depuis, Walmart développe des outils pour prévoir les prochains conflits sociaux, les magasins et employés « à risque ». Des managers sont formés pour rencontrer les employés qui ont montré leur intérêt pour le syndicalisme. Ils disposent du script des écoutes du travailleur et de tout un argumentaire antisyndical, ces « parasites qui sucent le sang des entreprises ».
L'agence fédérale américaine de protection des droits syndicaux devrait prononcer son jugement sur l'affaire début 2016.