Agriculture urbaine : comment les jardins étudiants fleurissent aux abords des résidences universitaires
À
proximité des campus, des « maisons de l’étudiant » ou des résidences
du Crous, les projets de jardins partagés, basés sur des démarches
solidaires et autogérées, attirent de plus en plus de jeunes gens à
mesure qu’ils fleurissent sur le territoire. Inspirées des « Incroyables
comestibles », ces initiatives visent l’autosuffisance alimentaire ou, à
défaut, à apprendre à leurs usagers à cultiver leurs fruits et légumes
bio, si possible en partageant le produit de la récolte. Pour eux, il ne
s’agit pas seulement de se détourner des filières de l’agriculture
industrielle, mais aussi et surtout de construire un début
d’alternative, ici et maintenant.
C’est
sûr, la ville de Metz, en Moselle, n’en est pas encore au niveau de
Todmorden, qui affiche une autonomie alimentaire de plus de 80 %. Mais
elle y travaille. Pour cela, elle s’inspire de ce qui s’est fait
outre-Manche dès 2008, alors que la crise frappait de plein fouet cette
ville de 15 000 habitants située au nord-ouest de l’Angleterre. C’est là
qu’est né le mouvement, depuis devenu international, des Incroyables
comestibles (en anglais Incredible edible),
qui consiste à cultiver des potagers partout où cela est possible, pour
mettre les légumes à disposition gratuite de la population. Les
Incroyables comestibles visent « l’auto-suffisance alimentaire des territoires et la nourriture saine et partagée pour tous », précise la charte française du mouvement.
« Les objectifs sont multiples, complète Olivier Rudez, membre des Incroyables comestibles à Metz. Permettre
à ceux qui n’ont pas d’argent de se nourrir, réapprendre les
savoir-faire que les citadins ou les jeunes ne connaissent plus,
effectuer une forme de retour à la terre, consommer local pour éviter
les pollutions liées au transport des aliments, recréer du lien social à
travers les rencontres, développer l’agriculture paysanne et sans
produits chimiques... Et ça fonctionne ! »
Autosuffisance alimentaire
Le collectif messin, comme les autres groupes informels du mouvement,
est connecté à l’association nationale des Incroyables comestibles, qui
a fait de très nombreux émules : dans plus de 80 communes en France, on
a sorti les bêches du placard pour se placer dans le sillage de cette
petite révolution verte. À Albi, la municipalité s’est ainsi laissée
convaincre d’atteindre l’autosuffisance alimentaire dans les années qui
viennent ! « Nous n’en sommes pas encore là, mais la dynamique est
lancée. Nous commençons petit, pour voir si les choses prennent. Si ça
prend, alors nous développons », poursuit le Messin. Lequel, avec
des dizaines de citoyens de tous les horizons et de tous les âges, a
déjà aménagé treize jardins, dont certains atteignent les 80 m2.
Début 2015, l’un des deux grands pôles universitaires de la ville a
été investi. De petites graines ont été semées autour de l’IUT de
mesures physiques, installé sur un technopôle où les idées écolos ne
sont pourtant pas légion : ici, on forme les ingénieurs du nucléaire ou
des nouvelles technologies. « C’est parti de plusieurs enseignants,
et les étudiants ont suivi. À chaque atelier — buttage des patates,
récolte des courgettes... — les étudiants sont maintenant une
quinzaine. Quand ils sont là, les passants s’arrêtent, discutent,
s’informent. Ça donne clairement des envies. »
« Pédagogie de la gratuité et du bien commun »
Depuis quelques semaines, l’autre grand site universitaire de la
ville a rejoint le mouvement. L’île du Saulcy, sorte de poumon vert de
l’agglomération, accueille maintenant quatre buttes de permaculture ! « En une journée, nous avons monté tout ça, à vingt. Franchement, nous étions tous surpris », commente Yves, un étudiant en fac de lettres, qui est né et a grandi entouré de béton. Mais il s’est pris au jeu rapidement. « J’avais
entendu parler de ce projet par une amie, et j’y suis allé sans trop
savoir ce que j’allais y faire. Maintenant, je vais continuer. J’ai
découvert que j’aimais bien jardiner ! »
À la maison de l’étudiant voisine, on se réjouit de cette action. Les
zones vertes sont immenses sur cette île. Les tomates, radis et autres
légumes ont toute leur place à côté des concerts et autres expositions
proposées durant l’année. « Il y a une pédagogie de la gratuité et du
bien commun qui est très intéressante dans tout ça. La terre appartient
à tout le monde et avec un peu de travail, nous arrivons à produire les
aliments qui nous nourrissent. Nous n’avons plus besoin d’aller au
supermarché acheter des choses sur lesquelles des marges énormes sont
prises, au détriment des paysans », explique Olivier Lallement, l’un
des animateurs du lieu. Qui voit dans cette initiative les prémices
d’une remise en cause d’un système à bout de souffle : « Il y a une
prise de conscience chez les participants qu’un changement en profondeur
est à opérer si on veut limiter les dégâts environnementaux et sociaux.
À nous de jouer ! »
A Metz, les Incroyables comestibles pourraient bientôt essaimer dans
d’autres lieux, notamment dans un foyer de jeunes travailleurs ou dans
la court d’une école primaire.
Du potager des « bonnes sœurs » au jardin étudiant
À une cinquantaine de kilomètres de là, à Nancy, quelques étudiants
de la résidence Boudonville, gérée par le Crous, cultivent leur propre
potager. Ici encore, à l’origine, l’initiative émane des étudiants
eux-mêmes. Plus modeste, leur terrain ne dépasse pas les 100 m2, et
l’équipe d’apprentis jardiniers est relativement restreinte — jamais
plus d’une douzaine — mais le projet a le mérite de perdurer depuis
2005, transmis d’année en année, d’une génération d’étudiants à l’autre.
Voire, parfois, grâce aux habitants du quartier.
« La première année, j’ai vu arriver des étudiants pleins de bonne
volonté, les filles avec des fleurs dans les cheveux, tout le monde y
croyait. Ce sont eux qui ont proposé de reprendre le terrain pour le
cultiver. Mais le public étudiant fluctue énormément d’une année sur
l’autre », se souvient-on du côté de l’administration de la résidence, qui encourage l’initiative. « Et
puis, les grandes vacances rendent la tâche compliquée. Un été, j’avais
planté des échalotes et à mon retour, à la rentrée, tout était pourri », confirme un ex-étudiant de la fac de Lettres, située juste en face de Boudonville, qui est resté fidèle au potager.
D’après le récit local, avant les années soixante, Boudonville aurait
été un immense potager et verger entretenu par des « bonnes sœurs »,
qui redistribuaient des légumes aux personnes nécessiteuses, aux
hôpitaux ou aux maisons de retraite. Puis la résidence étudiante s’y est
implantée, et après le départ de la première directrice du lieu, en
2000, le terrain épargné par les constructions est laissé à l’abandon.
C’est donc par un travail de défrichage qu’ont commencé les jeunes à
l’origine du jardin étudiant.
Non seulement s’opposer, mais aussi construire
« Le jardin potager de Boudonville, c’est la première approche que
j’ai eue avec la culture de la terre. Après les cours, la tête bien
remplie des théories accumulées durant la journée, ça nous faisait un
bien fou de venir nous décharger sur notre parcelle de terrain », se
rappelle William, 25 ans, qui compte retourner à la fac de lettres à la
rentrée pour préparer le concours d’enseignement de l’histoire. C’est
lorsqu’une association de culture libertaire s’intéresse au potager, en
2011, que le jeune homme va s’y impliquer.
« Je découvrais tout d’un coup, à ce moment-là, la politique, le
militantisme... Dans cette association, nous apprenions à ne pas
seulement nous opposer au système, mais aussi à construire de nos mains
notre propre alternative, à proposer un projet autogéré. C’était une
découverte essentielle pour moi. Militer en ville — en manifestant, par
exemple — et parvenir à subsister de ses propres récoltes participe à
une même façon de lutter. »
Une première expérience qui peut ouvrir la voie à d’autres possibles. Aujourd’hui, William veut construire sa propre maison, « une grosse cabane de 20 m2 »,
dans la Meuse, sur le terrain d’un ami qui fait pousser des plantes
médicinales. En attendant, il vit chez un autre ami, maraîcher, et
continue d’aller à Boudonville pour entretenir le potager.
Franck Dépretz et Sébastien Vagner
Cet article a été réalisé dans le cadre du projet Médias de proximité, soutenu par le Drac Île-de-France, en partenariat avec le Nouveau Jour J.