Cette semaine Breuer a signé avec le géant bancaire HSBC un accord qui
constitue l’insulte suprême à tous les gens ordinaires qui ont vu leurs vies
basculer à la suite d’une affaire de drogue. Malgré que HSBC ait avoué le
blanchiment de milliards de dollars des cartels de la drogue colombiens et
mexicains (entre autres) et la violation de toute une série de lois importantes
sur les pratiques bancaires, Breuer et le Ministère de la Justice US ont choisi
de ne pas poursuivre la banque, optant pour la signature d’un accord historique
de 1,9 milliards de dollars, ce qu’un commentateur a fait remarquer est
l’équivalent de cinq semaines de chiffre d’affaires de la banque.
Les transactions de blanchiment étaient menées si ouvertement qu’elles
auraient probablement pu être repérées depuis l’espace. Breuer a admis que les
trafiquants de drogue se présentaient dans les filiales mexicaines de HSBC et
«
déposaient des centaines de milliers de dollars en espèces, en une seule
journée, sur un seul compte, en utilisant des boites fabriquées expressément
pour passer par les trous dans les fenêtres des guichets ».
Cela vaut la peine d’être répété : pour déposer efficacement autant d’argent
sale que possible dans une banque « sérieuse » comme la HSBC, les trafiquants de
drogues avaient expressément fait fabriquer des boites pour passer par les
fenêtres des guichets. Même les hommes de Tony Montana (
personnage du film
Scarface, NdT) qui transportaient des sacs remplis de billets vers une
« American City Bank » imaginaire à Miami étaient plus subtils que les cartels
qui blanchissaient leur argent via une des institutions financières les plus
respectées de Grande-Bretagne.
Sans être explicite, le raisonnement du gouvernement US derrière l’abandon de
poursuites contre la banque est apparemment basé sur le risque que
l’emprisonnement pour trafic de drogue des dirigeants d’une « important
institution centrale » pourrait menacer la stabilité du système financier. Le
New-York Times l’exprime ainsi :
«
les autorités fédérales et centrales ont choisi de ne pas inculper HSBC,
une banque basée à Londres, pour une vaste opération de blanchiment qui durait
depuis longtemps, par crainte que les inculpations ne déstabilisent la banque
et, par conséquent, ne mettent en danger tout le système financier ».
Pas besoin d’être un génie pour comprendre qu’un tel raisonnement est
totalement faussé. Lorsqu’on prend la décision de ne pas poursuivre des
banquiers pour des crimes qui se chiffrent en milliards de dollars et en
relation avec le trafic de drogue et le terrorisme (certains des clients
saoudiens et bengalis de HSBC ont des liens avec le terrorisme, selon une
enquête du Sénat), ça n’a pas pour effet de protéger le système bancaire mais
exactement le contraire. Elle terrifie tous les investisseurs et déposants, en
laissant l’impression que même les banques les plus « réputées » peuvent en
réalité être instrumentalisées par des dirigeants qui se sont mis au service (on
ne le répétera jamais assez) d’assassins et de terroristes. Plus choquant
encore, la réaction du Ministère de la Justice en apprenant cette affaire a été
de faire exactement la même chose que les cadres de HSBC faisaient avant de se
faire prendre : accepter de l’argent en échange de son silence.
Ils se sont non seulement vendus aux trafiquants de drogue, mais l’ont fait
pour une somme modique. On va entendre l’administration Obama cette semaine se
vanter comment elle a infligé une amende record à HSBC, mais ce sera une
plaisanterie. Certaines amendes vont vous faire littéralement exploser de rire.
Voici un extrait du communiqué de Breuer :
«
En conclusion de l’enquête gouvernement, HSBC a … « récupéré » en
différent les primes de certains de ses plus hauts dirigeants américains des
services juridiques et de lutte contre le blanchiment, et a accepté de différer
partiellement les primes de ses plus hauts dirigeants pendant une période de
cinq ans. »
Wouaaah... Ainsi les dirigeants qui ont passé des décennies à blanchir des
milliards de dollars verront leur primes partiellement différées pendant cinq
ans ? Vous vous foutez de nos gueules ? C’est ça, la punition ? Les négociateurs
du gouvernement n’ont pas pu faire preuve de fermeté et obliger les dirigeants
de HSBC à abandonner totalement leurs primes imméritées ? Ils ont du négocier un
paiement différé « partiel » ? Chaque procureur digne de ce titre aux Etats-Unis
doit être en train de vomir ses tripes devant une telle négociation. Quelle
était donc l’offre initiale du Ministère de la Justice – que les dirigeants
limitent leurs vacances aux Caraïbes à neuf semaines par an ?
On peut se poser la question, quelle est l’amende appropriée pour une banque
telle que HSBC ? Quelle est la somme qu’il faut soutirer à une société qui a
éhontément tiré profit de ses affaires avec des criminels pendant des dizaines
d’années ? N’oublions pas que nous avons affaire à une société qui a avoué toute
une série de délits bancaires graves. Le procureur les tient par les couilles.
Alors, quelle est la somme qu’il faudrait leur infliger ?
Pourquoi ne pas prendre
tout ? Pourquoi ne pas saisir jusqu’au dernier
centime gagné par la banque depuis le début de ses activités illégales ? Que
diriez-vous de vous pencher sur chaque compte de chaque dirigeant concerné par
cette affaire et confisquer toutes les primes qu’il a jamais gagnées ? Saisissez
ensuite leurs maisons, leurs voitures, leurs tableaux achetés aux enchères chez
Sotheby, leurs vêtements, toute la petite monnaie qui traîne, absolument
tout. Prenez tout et n’y réfléchissez pas à deux fois. Ensuite, vous les
jetterez en prison.
Ca vous paraît sévère ? Le seul problème est que c’est exactement ce qui
arrive aux gens ordinaires lorsqu’ils sont pris dans une affaire de drogue.
Il serait intéressant, par exemple, de demander aux habitants de Tenaha,
Texas, ce qu’ils pensent de l’accord passé avec la HSBC. C’est la ville où la
police locale contrôlait régulièrement les automobilistes (en majorité noirs)
et, lorsqu’ils trouvaient de l’argent, leur offrait l’alternative suivante : ils
pouvaient soit laisser la police saisir leur argent, soit être accusés de
blanchiment et de trafic de drogues.
Nous pourrions poser la question à Anthony Smelley, de l’Indiana, qui a
obtenu une indemnisation de 50.000 dollars pour un accident de la route et qui
transportait environ 17.000 dollars de cette somme lorsqu’il a été arrêté. Les
flics ont fouillé son véhicule et ont fait intervenir des chiens renifleurs :
les chiens ont donné l’alerte à deux reprises. Aucune drogue n’a été trouvée,
mais la police a quand même confisqué l’argent. Même après que Smelley ait
présenté les documents pour prouver d’où venait l’argent, les officiels de
Putnam County ont tenté de garder l’argent en arguant qu’il aurait pu utiliser
cet argent pour acheter de la drogue dans le futur.
Non, ce n’est pas une blague. Ca arrive tout le temps, et il arrive même que
le propre Ministère de la Justice de Lanny Breuer soit de la partie. Pour la
seule année de 2010, le Ministère public a déposé près de 1,8 milliards de
dollars dans les comptes du gouvernement provenant de saisies, la plupart en
relation avec le drogue. Voici les propres statistiques du Ministère :
-
Aux Etats-Unis, si vous êtes contrôlé en possession d’une somme d’argent et
que le gouvernement pense qu’il peut s’agir d’argent de la drogue, l’argent sera
saisi et servira dés le lendemain à acheter un tout nouveau véhicule de service
au Shériff ou Chef de Police local.
Et ça c’est uniquement la cerise sur la gâteau. Si vous êtes connecté d’une
manière ou d’une autre avec la drogue, le véritable prix que vous aurez à payer
est une amende outrageusement exorbitante. Ici à New York, un procès sur sept
est une affaire de marijuana.
L’autre jour, alors que Breuer annonçait sa petite remontrance contre les
blanchisseurs d’argent de la drogue les plus prolifiques du monde, j’étais dans
un tribunal à Brooklyn en train d’observer comment ils traitaient les gens. Un
avocat de la défense a expliqué l’absurdité des arrestations pour drogue dans
cette ville. En fait, à New York, les lois sur la drogue sont relativement
tolérantes en ce qui concerne l’herbe – la police n’est pas censée vous arrêter
en cas d’usage privé. Alors comment fait la police pour contourner le problème
et procéder à 50.377 arrestations par an, uniquement dans cette ville ?
(chiffres de 2010 ; en 2009, le nombre était de 46.492)
«
Ce qu’ils font, c’est qu’ils vous arrêtent dans la rue et vous demandent
de vider vos poches » a expliqué l’avocat. «
Au moment même où une pipe
ou un brin d’herbe sort de votre poche... boom, ça se transforme en usage
public. Et ils vous arrêtent. »
Les personnes passent des nuits en prison, ou pire. A New-York, même s’ils
vous relâchent après une courte peine pour un délit, vous devez payez 200$ et
subir un prélèvement de votre ADN – qu’il faudra payer aussi (50$ de plus). Cela
dit, il ne faut pas chercher bien longtemps pour trouver des affaires où des
peines draconiennes, stupides, sont infligées pour des affaires de drogue
non-violentes.
Demandez à Cameron Douglas, le fils de Michael Douglas, qui s’est vu infliger
une peine de 5 ans de prison pour simple possession. Ses geôliers l’ont maintenu
en isolement 23 heures par jour pendant 11 mois et ont refusé les visites d’amis
ou de proches. Le détenu typique pour une affaire de drogue non-violente n’est
pas le fils blanc d’une célébrité, mais généralement un usager appartenant à une
minorité et qui reçoit des peines bien plus lourdes que les gosses de riches
pour les mêmes délits – on se souvient tous le controverses de
crack-contre-cocaïne où les instructions délivrées par les autorités fédérales
et étatiques faisaient que les usagers de crack (la plupart issus des minorités)
se voyaient infliger de peines pouvant aller jusqu’à 100 fois celles infligées
aux usagers de cocaïne, à majorité blanche.
Une telle partialité institutionnelle constituait un scandale raciste, mais
cet accord avec HSBC vient de tout balayer. En abandonnant des poursuites contre
des blanchisseurs majeurs d’argent de drogue sous prétexte (prétexte totalement
absurde, soi-dit en passant) que leur inculpation pourrait mettre en péril le
système financier mondial, le gouvernement vient d’officialiser le deux-poids
deux-mesures.
A présent ils disent que si vous n’êtes pas une pièce importante du système
financier global, vous ne pourrez pas vous en tirer, pour quoi que ce soit, même
une simple possession. Vous serez emprisonné et tout l’argent qu’ils trouveront
sur vous sera confisqué sur le champ et servira à l’achat de nouveaux joujoux
pour la GIGN locale qui sera déployée pour défoncer des portes des maisons où
vivent d’autres économiquement insignifiants dans votre genre. En d’autres
termes, si vous n’avez pas un job essentiel au système, le gouvernement
considère que vos biens peuvent être confisqués et employés à financer
l’appareil de votre répression.
D’un autre côté, si vous êtes quelqu’un d’important, et que vous travaillez
pour une grosse banque internationale, vous ne serez pas poursuivi même si vous
blanchissez neuf milliards de dollars. Même si vous êtes activement complice
avec des gens placés au sommet du trafic international de drogues, votre
punition sera de loin plus légère que celle d’une personne placée tout en bas de
la pyramide. Vous serez traité avec plus de respect et de compréhension qu’un
junkie affalé sur les banquettes du métro à Manhattan (occuper deux sièges
constitue un délit dans cette ville). Un trafiquant de drogue international est
un criminel et généralement aussi un assassin ; un drogué qui marche dans la rue
est une de ses victimes. Mais grâce à Breuer, nous sommes officiellement passés
à une politique d’emprisonnement des victimes et de tolérance envers les
criminels.
Nous touchons le fond du fond. Cela n’a aucun sens. Il n’y a aucune raison
qui justifierait que le Ministère de la justice n’arrête pas toutes les
personnes chez HSBC impliquées dans le trafic, les inculpe pour crimes, et fasse
appel aux organismes de contrôle pour assurer la continuité de l’activité de la
banque pendant la période de transition. Il s’avère que la HSBC a du procéder au
remplacement de pratiquement tous ses hauts dirigeants. Les coupables n’étaient
donc apparemment pas si indispensables que ça à la bonne marche de l’économie
mondiale.
Il n’y a donc aucune raison pour ne pas les inculper. Le fait qu’ils ne le
soient pas est un signe de lâcheté et de corruption pure et simple, et rien
d’autre. En approuvant cet accord, Breuer a détruit toute l’autorité morale du
gouvernement pour poursuivre quiconque dans une affaire quelconque de drogue. La
plupart des gens savaient déjà que la guerre contre la drogue n’est qu’une
farce. C’est désormais officiel.
Matt Taibbi
http://www.rollingstone.com/politics/blogs/taibblog/outrageo...
Traduction "lorsqu’on disait bankster, on ne croyait pas si bien dire" par
VD pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et lignes de coke
habituelles.