mercredi 31 décembre 2014

Les "libéraux" et leur "amour de l’entreprise" (ou la nostalgie des plantations de coton) (le grand soir)

C’est chouette le métier de « consultant ».

La blague court qu’un consultant, c’est quelqu’un que vous payez très cher pour lui exposer ce dont vous avez besoin et qui vous expliquera en retour comment vous en passer. C’est exagéré, bien-sûr.
En réalité, un consultant, c’est quelqu’un que vous appelez à la rescousse lorsque vous avez un problème A, qui vous proposera un plan pour résoudre B tout en mettant en œuvre la solution à C – après quoi tout le monde découvrira que la bonne réponse était D. Ce qu’un vague employé avec 30 ans d’expérience dont on a oublié le nom proposait depuis le début mais que tout le monde avait ignoré parce qu’il ne portait pas de cravate et qu’on a préféré faire venir à prix d’or un jeune con qui non seulement portait une cravate mais en avait même plusieurs d’échange planquées dans la boîte à gants de sa BMW. Vu les sommes (parfois colossales) engagées, la réaction standard consiste à faire semblant que la mission fut une réussite totale et de sabler le champagne pendant que le vague employé et ses collègues se grattent la tête en se demandant comment faire entrer un train d’une largeur parfaite dans un quai de gare trop étroit.
Un tel incident, s’il s’était produit à Pyongyang, aurait fait l’objet d’une blague anticommuniste (à l’instar de la légende urbaine sur l’achat par Cuba de chasse-neiges à l’URSS) et les commentateurs attitrés et inamovibles des médias – sortis des « Ecoles de Journalisme », qui sont le pendant indispensable aux Ecoles de Commerce et de Marketing – en auraient fait des choux gras. Mais les premiers couvrent les seconds qui alimentent les premiers et tout le monde est heureux du moment que le champagne est au frais dans ce Village Potemkine qu’est devenue la société occidentale.
Vous allez me dire que ce n’est pas nouveau. Oui, c’est vrai, certes, mais...

* * *

De par ma profession, il m’arrive régulièrement d’être contacté par des « chasseurs de têtes ». Parfois les contacts deviennent un peu moins formels et virent à la conversation à bâtons rompus – sur l’état du marché de l’emploi, de l’économie, etc. Deux conversations récentes m’ont marqué. La première s’est déroulée avec un cabinet de recrutement situé dans le Sud-Ouest. Après les premiers échanges habituels, mon interlocuteur m’a demandé de confirmer mon âge (qui commence à être « avancé »). Précisons que mon âge est généralement plutôt un obstacle. Mais cette fois-ci, et assez curieusement, il constituait un avantage. J’ai exprimé mon étonnement, et le recruteur m’a répondu en l’occurrence que la (très grosse) société pour laquelle il prospectait cherchait justement à embaucher des candidats d’un certain âge, car elle « en avait assez » d’une certaine génération qui avait la particularité de très bien maîtriser les outils bureautiques, notamment les tableurs, et faisait preuve d’un savoir-faire diabolique dans l’art de produire des documents sophistiqués – graphiques et animations à l’appui – mais qu’en ce qui concernait le travail concret, c’était une « autre histoire ». En gros, ils savaient tout présenter mais ne savaient rien faire. A tel point que la consigne était actuellement d’éviter une certaine tranche d’âge, plus jeune que la mienne, qui avait tendance à « plomber » l’activité de l’entreprise.
L’échange aurait pu en rester au stade de l’anecdote s’il n’y avait pas eu, quelques mois plus tard, un autre contact du même ordre mais encore plus précis et « radical ». Cette fois-ci, il était question de « générations entières formées dans certaines écoles et qui passent leurs temps en réunions et rédactions de rapports ». Plus précis encore : « des opportunistes qui n’avaient aucun intérêt pour l’entreprise et ne cherchaient qu’à rajouter une ligne sur leur CV ». Mon deuxième interlocuteur m’a même affirmé que certains chefs d’entreprise « historiques » craignaient de prendre leur retraite non pas parce qu’ils refusaient de « lâcher la barre », mais parce qu’ils étaient persuadés « que 6 mois plus tard, leur entreprise sera démantelée et vendue en pièces détachées ». La conversation a glissé sur des généralités, et ce responsable d’un grand cabinet de recrutement s’est lâché. Il a parlé « d’un mépris pour l’entreprise bien camouflé derrière une posture pseudo-dynamique ».
Bref, on a parlé de tous ceux qui excellent à donner l’impression qu’ils sont engagés « à fond ». Ils sont toujours débordés, ont toujours des trucs à faire, toujours un coup de fil urgent (qu’ils « essayeront » de donner entre deux réunions). Qui maîtrisent parfaitement un vocabulaire abscons, qui adorent les acronymes (qu’ils inventeront à la volée s’il le faut), et ne rechignent pas à user et abuser d’anglicismes. Le matin, ils regardent les chaînes d’information en continue. Le soir, ils sont « crevés ». La politique les « fait chier » et les syndicalistes sont des « branleurs ». Ils ne travaillent pas, eux, ils bossent.
Le plus étonnant, c’est qu’on les trouve généralement chez les plus fervents « libéraux », vous savez, ces donneurs de leçons sur les « réalités », le « pragmatisme » et les lois du marché. Qui prennent soin de vous envoyer en courrier électronique à 23h00 (parce que ce sont des bosseurs).
Et qui vous parleront de « responsabilisation » à longueur de baratin. Ah oui ? Voici l’exemple d’un contrat de sous-traitance type qui m’a été proposé il y a quelques jours par une société informatique appelée ALTENA (retenez bien ce nom si vous êtes informaticien) et qui est dirigée par un diplômé d’une « école de commerce et de bla-bla-bla ». Je vous présente le dixième paragraphe (authentique et fautes de français incluses) :
« En cas de défaillance ou de maladie du Sous Traitant entraînant là non exécution de ses obligations au titre du présent contrat, le Sous Traitant s’engage à assurer son remplacement par un consultant à compétence équivalente certifié pour ladite prestation stipulée sur le présent contrat. »
Vous avez bien lu. Il ne manque que «  En cas de décés, les descendants du Sous Traitant travaillerons dans une de mes mines de sel en guise d’indemnisation ».
Comme s’il ne suffisait pas d’avoir à supporter tous ces diplômés analphabètes, il faudrait maintenant leur offrir son sang et une rente à vie, à tous ce « preneurs de risques » et marteleurs de « le socialisme, c’est pour les fainéants ».
En réalité, et paradoxalement, si la situation de l’emploi n’était pas aussi difficile, ces charlatans disparaîtraient en l’espace de 15 jours, emportés par leurs propres flots boueux. J’écris « paradoxalement » car vous pensez sans doute que, pourtant, dans une telle situation, un certain écrémage se produit au niveau des acteurs économiques, et que seuls survivent les meilleurs. Si vous le pensez, c’est que vous êtes tombés dans le panneau du discours ambiant (ces « évidences » qui nous étouffent). Car j’ai bien pris soin d’écrire « situation de l’emploi » et pas « situation économique ». C’est la situation de l’emploi qui leur permet de manœuvrer à leur guise, de faire semblant de maîtriser une situation où c’est vous qui constituez en réalité la marge de leurs manœuvres.
Pour sûr, au temps de l’esclavagisme, il ne fallait pas sortir d’une école de commerce pour diriger une plantation de coton. A contrario, sortant d’une école de commerce, vous avez tout intérêt à militer pour le retour d’un certain esclavagisme car c’est en définitive votre seule véritable chance de diriger une plantation de coton.
Il y a donc une certaine logique dans le mouvement en cours : la situation de l’emploi, en offrant des marges de manœuvres exceptionnelles, facilite l’accession à ceux qui savent surtout manier deux leviers : 1) vous et votre emploi, 2) les réductions d’impôts et les aides de l’Etat (Ooops, encore vous).
Pourquoi s’en étonner ? Parce que tout leur discours et fébrilité cachent en réalité un je-m’en-foutisme total pour les soi-disant objets de leur culte : l’entreprise et l’économie. Ces pseudo capitaines d’entreprise se la jouent capitaines de navire et hurlent leurs directives à l’équipage angoissé tout en admirant leur propre reflet dans les vitres de la cabine de pilotage.
Bâbord toute, bande de crevards, vous n’avez quand même pas peur d’un ou deux icebergs ?
Allez, souquez ferme, gaillards, sinon ce sont les Chinois qui vous feront souquer dans du jus de soja bouillant.

La différence étant qu’ils seront les premiers à abandonner le pont sur l’unique embarcation de survie spécialement équipée et aménagée. Indifférents, parce qu’insensibles, aux glouglous derrière eux, ils ont déjà le regard rivé sur un autre navire de passage en clamant « m’est avis que vous auriez besoin d’un vrai capitaine pour votre rafiot ! Voici mon CV. » Ooooh, impressionnant. Montez donc à bord.
Comment de tels incompétents réussissent-ils à monter les échelons ? De la même manière qu’en politique. L’entreprise, comme le monde politique, sont deux domaines où ce n’est pas la compétence qui est récompensée, mais la soumission, la persévérance, l’entêtement et l’obsession. Surtout l’obsession. Pour simplifier, disons que n’importe quel imbécile peut grimper dans n’importe quel structure s’il y met suffisamment de détermination, si tout son être est arc-bouté vers cet objectif. S’il réussit à manier les outils de communication qui vont de pair, à brasser quelques concepts clés, à « parler le langage » de la structure (et à éviter trop d’erreurs au début) la partie est pour ainsi dire gagnée.

* * *

Un enfant (diplômé d’une école de commerce) barbote dans l’eau (L’économie).
Il est muni d’un ou deux brassards (la situation de l’emploi).
Il crie « M’man, ’ga’de, je nage ! ». (sa comm’)
Sa maman (les médias) répond « Oui, mon chéri, tu nages. ». (la propagande)
Mais plongez-les tout nus dans une situation comme celle de, disons, Cuba, avec une vraie crise provoquée par de vraies causes avec de véritables impacts et, à votre avis, qu’obtiendriez-vous ? La santé et l’éducation pour tous ? La sérénité sociale malgré (ou grâce à) un dénuement matériel (relatif) ?
Je tremble pour le peuple cubain à l’idée que cette catégorie de personnage puisse un jour accéder aux leviers du pouvoir là-bas. Mais il est toujours réconfortant de penser qu’il existe malgré tout, quelque part, un peuple suffisamment intelligent pour se doter de dirigeants à sa hauteur.
« Il y a un sacré paquet de connards à Cuba - comme partout. Mais la différence à Cuba, c’est qu’ils ne sont pas au pouvoir. » - Jose G. Perez
Allez, courage, peut-être qu’un jour nous y arriverons, nous aussi.
Billy Boxon
qui fait dans le constat.
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L’Ukraine achète du combustible nucléaire aux USA…(Les moutons enragés)

Est ce une bonne idée sachant que le combustible américain, n’est pas compatible avec les centrales ukrainiennes? Le site Reporterre dans un article d’avril 2014, disait:  « l’Union internationale des vétérans du nucléaire civil a critiqué la décision du gouvernement ukrainien de proroger jusqu’à 2020 l’utilisation de combustible américain pour trois de ses réacteurs, faisant ainsi courir le risque d’un « second Tchernobyl ». En cause, l’incompatibilité du combustible américain avec les centrales ukrainiennes ».

© RIA Novosti. Falin 30/12/2014
La société Energoatom, opérateur des centrales nucléaires ukrainiennes, et le groupe américain Westinghouse ont signé mardi à Bruxelles un accord sur la livraison de combustible nucléaire à l’Ukraine.
« Je peux confirmer la signature de cet accord », a déclaré à RIA Novosti le chef du bureau d’Energoatom à Bruxelles, Andreï Tiourine.
« Il a été signé par le président d’Energoatom et le chef du service bruxellois de Westinghouse », a précisé M. Tiourine sans fournir de détails.
Cherchant à réduire sa dépendance vis-à-vis du producteur de combustible russe, le groupe TVEL, l’Ukraine a décidé de diversifier les livraisons de combustible pour ses quatre centrales nucléaires (Zaporojie, Khmelnitski, Rovno et Ukraine du Sud). A cet effet, Energoatom a prorogé jusqu’en 2020 son accord avec Westinghouse prévoyant la livraison de combustible nucléaire. Des experts ont qualifié cette décision d' »irresponsable ».
En 2012 et 2013, l’Ukraine a enregistré des problèmes de fonctionnement des ensembles de cartouches TBC-W à la centrale Ukraine du Sud. Ces problèmes ont été provoqués par une défaillance technique du combustible livré par Westinghouse.
Les centrales nucléaires fournissent près de 47% de l’électricité produite en Ukraine, le reste étant fourni par les centrales thermiques et hydrauliques, ainsi que par les sources d’énergie renouvelables. L’insuffisance du gaz stocké dans les réservoirs souterrains et la suspension du travail dans 80% des mines suite aux hostilités dans le Donbass ont provoqué une pénurie de matières énergétiques, donc celle d’électricité.
BRUXELLES, 30 décembre – RIA Novosti

mardi 30 décembre 2014

Mystère : On nous cache tout, on nous dit rien…(Les brindherbes)

Des dizaines de milliers de restes humains géants, découverts un peu partout en Amérique

Une décision de la Cour suprême des États Unis a forcé l’Institut Smithsonian à publier des documents datant du début des années 1900 et prouvant que l’organisation a été impliquée dans une importante affaire de dissimulation historique. Des dizaines de milliers de restes humains géants, découverts un peu partout en Amérique, ont ainsi été détruits sur l’ordre d’administrateurs de l’institut, afin que le grand public ne puisse connaître cette partie de l’histoire humaine.
Source : World News Daily Report
femur

« C’est une chose terrible qui a été faite au peuple amérindien, écrit-il, « nous cachons la vérité sur les véritables ancêtres de l’humanité, nos ancêtres, les géants qui parcouraient la terre comme le rappellent la Bible et les textes anciens du monde ».
La Cour suprême américaine a donc forcé l’Institut Smithsonian a publié des informations classifiées à propos de tout ce qui touche à la « destruction des éléments de preuves relatives à la culture des bâtisseurs de mound » et des éléments « se rapportant aux squelettes humains d’une hauteur inhabituelle ». Une décision saluée par l’AIAA.
La publication de ces documents aidera les archéologues et les historiens à réévaluer les théories actuelles sur l’évolution humaine et faciliteront notre compréhension de cette culture de constructeurs en Amérique et dans le monde » explique le directeur de l’AIAA, Hans Guttenberg. « Enfin ! après plus d’un siècle de mensonges, la vérité sur nos ancêtres géants peut être révélée au monde ! » reconnaît il, visiblement satisfait de la décision du tribunal.
Les documents doivent être publiés en 2015 et l’opération sera coordonnée par un organisme scientifique indépendant pour assurer la neutralité politique.
Lire la suite en anglais sur World News Daily Report (Cliquez-ici)

Sécurité biométrique : des hackers allemands reproduisent l'empreinte digitale de la ministre allemande de la Défense (Sott)

smartphone


La biométrie devait devenir un élément essentiel de notre sécurité. Grâce à la reconnaissance de votre empreinte digitale, vous alliez remplacer la clé de votre maison ou de votre voiture. Fini le mot de passe sur votre ordinateur, place à la biométrie. La biométrie allait aussi être la meilleure garantie de sécuriser vos payements en ligne. Grâce à votre empreinte digitale, vous alliez remplacer votre carte de crédit par votre smartphone et la simple pression de votre doigt sur l'écran du téléphone allait valider et sécuriser le payement.

Mais patatras, tout s'effondre...

Chaos Computer Club


Chaos Computer Club, un réseau de hackers, a affirmé samedi après-midi avoir reproduit l'empreinte du pouce de la ministre allemande de la Défense Ursula von der Leyen.

La nouvelle banque du monde ? C'est la Chine... (Sott)

Poutine
© CARLOS BARRIA / POOL / AFP
La décision de la Chine de porter secours à la Russie, alors qu'elle vient également de le faire pour le Venezuela et l'Argentine, indique que le système de Bretton Woods est définitivement enterré, et elle marque la fin du rôle des Etats-Unis comme clé de voûte de ce système, affirme Wiliam Pesek de Bloomberg. Des institutions telles que le Fonds Monétaire International (FMI), ou la Banque asiatique de Développement (BAD), n'auront bientôt plus de raison d'être, au train où vont les choses, prophétise-t-il.

Cela fait des décennies que la Chine préparait son entrée comme prêteur de dernier ressort sur la scène internationale. Le FMI et la BAD sont des organismes pléthoriques, peu enclins à revoir leurs méthodes et leurs visions. Mais lorsque le FMI a octroyé un prêt d'urgence de 17 milliards de dollars à l'Ukraine cette année, il l'a fait pour porter secours à une économie d'une importance stratégique, et non pour exercer un chantage politique, affirme Pesek.

Mais la Chine a d'autres motivations : lorsqu'elle décide de prêter de l'argent à un pays en difficultés, elle ne se soucie pas des mesures qu'il compte prendre pour résoudre ses problèmes économiques, ni de l'efficacité de son système fiscal ou du niveau de ses réserves. Ce qui compte pour elle, c'est de s'en faire un allié loyal, en particulier sur la question de Taïwan, des conflits territoriaux dans lesquels elle est impliquée, ou de l'immixtion de l'Occident dans sa manière de respecter les droits de l'homme. Comme la Russie aujourd'hui, l'Argentine et le Venezuela étaient déjà brouillés avec les Etats-Unis et leurs alliés, lorsqu'ils ont bénéficié de l'aide chinoise, et il leur était facile de respecter cette condition.

En 2011 et 2012, l'Europe aussi avait tendu sa sébile à la Chine, lui proposant de racheter massivement des obligations souveraines. Compte tenu du contexte économique et géopolitique actuel, nous pourrions connaitre une redite de cet épisode en 2015, estime Pesek. Les dirigeants européens seraient alors invités à se montrer moins pressants à l'égard de l'Empire du Milieu sur le plan diplomatique.

De même, la décision de la Fed de réduire ses injections de liquidités pourrait avoir pour effet d'affaiblir les économies de pays asiatiques tels que l'Inde, l'Indonésie, le Cambodge, le Laos ou le Vietnam, par exemple. Contrairement aux institutions telles que le FMI, la Chine ne pose pas de contraintes pour l'octroi de ses prêts, ce qui rend son offre bien plus attractive que celles de ces organismes.

Mais lorsque la Chine a consenti à prêter 24 milliards de dollars à la Russie, elle a permis au président russe Vladimir Poutine de consolider son pouvoir, écartant ainsi la possibilité d'une diversification du pays, bien trop spécialisé sur ses ressources pétrolières, alors que celle-ci s'avère nécessaire.

On peut aussi s'inquiéter de l'effet de l'intervention de l'argent chinois sur des pays dotés de gouvernements voyous, comme le Soudan ou le Zimbabwe.

Mais le nouveau rôle de secouriste des pays en difficulté de la Chine pourrait avoir un effet bénéfique : il pourrait forcer le FMI, la Banque Mondiale et la BAD à revoir leurs méthodes d'intervention pour qu'elles soient mieux adaptées aux nouvelles réalités économiques. Mais plus vraisemblablement, il aura pour effet d'encourager de mauvaises pratiques politiques et d'entraver le développement économique au détriment du monde entier, conclut-il.

Georges Soros et DSK en course pour présider la Banque nationale d’Ukraine (News360)

décembre 29th, 2014 | by Lilian Delfau
Georges Soros et DSK en course pour présider la Banque nationale d’Ukraine
Economie
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La Banque nationale d’Ukraine pourrait prochainement être dotée d’un nouveau gouverneur de prestige. En effet, la chaîne de télévision 112 Ukraine vient de dévoiler que l’actuel gouverneur de la NBU sera sélectionné parmi une liste de 5 candidats, dont l’ancien gouverneur du FMI, Dominique Strauss-Kahn, et le milliardaire bien connu Georges Soros.

Ce ne serait pas la première fois qu’on trouverait à la tête de cette jeune institution un personnage ayant déjà occupé d’importantes responsabilités puisque l’ancien président ukrainien et leader de la fameuse « révolution orange », Viktor Iouchtchenko, a évolué à ce poste de Janvier 1993 jusqu’aux années 2000.
Ces informations proviendraient de collaborateurs proches du président Petro Poroshenko et d’autres sources parlementaires de la Rada. Une nouvelle à prendre donc au conditionnel pour le moment.
N.B. Rappelons que M.Soros est directement impliqué dans les récents événements ayant bouleversé l’Ukraine, puisqu’il déclarait lui même sur CNN le 25 Mai dernier :

J’ai créé une fondation en Ukraine avant que l’Ukraine ne devienne indépendante de la Russie. La fondation a fonctionné depuis lors et a joué un rôle important dans les événements actuels.

Quand les Etats-Unis sous-traitaient la torture (News360)

décembre 30th, 2014 | by Lilian Delfau
Quand les Etats-Unis sous-traitaient la torture
États-Unis
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LA CIA se retrouve au centre de l’actualité internationale depuis quelques jours.

«Si vous voulez un interrogatoire musclé, vous envoyez le prisonnier en Jordanie. Si vous voulez qu’il soit torturé, vous l’envoyez en Syrie. Si vous voulez que quelqu’un disparaisse –sans laisser de traces–, vous l’envoyez en Égypte.» – Bob Baer, ancien officier de la CIA.

Au moins 238 prisonnier ont été envoyés dans des pays étrangers pour y subir des interrogatoires illégaux.
Combien de prisonniers ont pu subir un tel sort? Selon le Washington Post, les prisonniers restitués à des gouvernements étrangers représentaient plus du double de ceux détenus par la CIA. Vu que nous savons que 119 hommes ont été détenus par la CIA, cela signifie qu’il y aurait eu, a minima, 238 prisonniers envoyés dans d’autres pays. Un chiffre qui est sans doute bien plus élevé. En 2003, dans son Discours sur l’état de l’union, le président George W. Bush avait déclaré: «Plus de 3.000 individus suspectés de terrorisme ont été arrêtés dans de nombreux pays.»
Ces derniers éléments, extraits d’un article de Slate.fr, viennent s’ajouter aux révélations que l’on découvre chaque jour dans les journaux, des cas d’alimentation rectale, jusqu’aux cloisonnements dans des cercueils pendant des durées supérieures à 24h.

Le Freedom of Information Act (FOIA) de 1966 nous permet encore aujourd’hui de profiter de la déclassification régulière de documents anciennement secrets, même si ce cadre juridique a été modifié en 2009 par Barack Obama.
Cependant, il est étrange de voir les médias occidentaux paraître si surpris et scandalisés, après l’officialisation de la torture, quand 20 ans plus tôt on révélait celle de son implication dans divers trafics de drogue internationaux, et quand il y a 40 ans de cela, on dévoilait celle des expérimentations visant à manipuler mentalement des adultes et enfants (Projet MK-Ultra).

Avec l’Europe, les socialistes ont créé les conditions d’impossibilité de leur propre politique, par Jean Bricmont (Les crises)

Suite de l’excellente conférence de 2010 de Jean Bricmont, commencée ici.
Deuxième partie du compte rendu de la conférence de Jean Bricmont à Montpellier avec les questions-réponses et en particulier un débat autour de la décroissance, de la démographie, de la technologie, etc. Autres points abordés : les anarchistes, le Parti de gauche, la souveraineté versus le nationalisme, la socialisation des moyens de production, « la gauche morale », le déclin intellectuel de l’occident, etc.
Jean Bricmont le 8 avril 2010 à Montpellier (photo : Mj)
Les questions sont parfois synthétisées ou réduites à un mot ou une expression, et certaines parties des réponses non essentielles pour le discours remplacées par des [...].
Pour écouter l’intégralité de cette partie (1h13′) : télécharger le fichier
Question(s) : selon Jean-Claude Michéa, même si on cherche à séparer libéralisme idéologique et économique, c’est une impasse parce que l’un ne peut aller sans l’autre. [...] Les décroissants disent que la société occidentale a pu devenir ce qu’elle est devenue parce qu’elle avait plusieurs mondes à sa merci mais que si tout le monde se met à avoir le monde pour soi, on n’a pas assez de planètes. Je crois qu’on ne s’en sortira pas tant qu’on continuera, et je suis d’accord avec Michéa là-dessus, à défendre le libéralisme quel qu’il soit.
Jean Bricmont :[…] C’est compliqué de dire que je ne suis pas d’accord avec Michéa parce qu’il y y a des  choses avec lesquelles je suis d’accord. Mais je pense que certaines de ses idées font partie d’une tendance à avoir des réactions antilibérales et anti-soixantehuitardes, qui remontent à la racine du problème qui serait le libéralisme classique, la mise au centre de l’individu, du sujet libre et pensant. Et c’est une dérive de la liberté individuelle et je pense que c’est une erreur.  Je ne suis pas d’accord avec le lien du libéralisme dans ce sens-là [idéologique] avec le libéralisme économique. Je peux très bien avoir une vie individuelle, personnelle, sexuelle, une pensée libre c’est-à-dire non soumise à l’État ou à l’église et travailler dans un collectif autogéré ou peut-être comme fonctionnaire dans d’autres marchés libres. Je ne vois pas le lien logique entre les deux. Il y a eu un lien historique mais je trouve que c’est la grande qualité de Marx et des autres socialistes du XIXe d’avoir découpé le lien logique.
Ce que dit Michéa est le négatif de ce que les libéraux disent. Les libéraux disent : si vous acceptez le libéralisme politique (parce que vous n’acceptez pas la dictature, Staline ou la monarchie absolue), vous devez accepter le libéralisme économique. Michéa et les autres disent que, oui, les deux sont liés et comme on ne veut pas acceptez le libéralisme économique, on doit aussi rejeter le libéralisme politique. Et je ne suis pas d’accord : je défends la liberté d’expression, le droit de chacun de vivre sa vie comme il l’entend, etc. [...]
Les autres pays ont à leur disposition des technologies que nous n’avions pas au XIXe siècle
Pour l’histoire de la décroissance, je pense que les gens de gauche font souvent l’erreur de sous-estimer la possibilité de nouvelles technologies, de progrès technologiques. [...] Sur ma droite, il y a des gens qui ont le discours traditionnel qu’on a apporté la civilisation aux colonies, que ça nous a coûté de l’argent, qu’on a été gentil, etc., et sur ma gauche, des gens qui disent que l’Europe n’est que le produit du pillage colonial, comme s’il n’y avait pas eu de progrès scientifique en Europe, comme s’il n’y avait pas eu une exploitation éhontée de la classe ouvrière européenne en Europe, comme s’il n’y avait pas eu de développement économique endogène. J’ai donné la métaphore de l’île pour seulement suggérer un hinterland, et qu’on dépend de cet hinterland mais je ne veux pas prendre de position extrême par rapport au rôle de cet arrière monde. Je ne sais pas évaluer exactement l’impact mais je ne suis pas convaincu du tout par l’argument : « Parce que nous nous sommes développés comme ça, les autres pays ne peuvent pas se développer. » Parce que les autres pays ont à leur disposition des technologies que nous n’avions pas au XIXe siècle. [...]
Il est très possible que le développement de la Chine, de l’Inde ou d’autres pays se fassent d’une autre façon, d’une façon moins brutale et moins impérialiste. [...] Je ne suis pas convaincu que, d’ici 10-20 ans, on ne maîtrisera pas l’énergie solaire. Si on la maîtrise, on a une source d’énergie bon marché et pratiquement illimitée. Dans ce cas, ça change beaucoup le problème du besoin de plusieurs planètes. Donc je ne suis pas d’accord avec les décroissantistes parce qu’ils partent d’une crise absolument pessimiste. De plus, leur programme est totalement irréaliste. Mais enfin, ils pourraient avoir raison mais je ne suis pas adepte du catastrophisme. [...]
Questions : Les reliquats [de la gauche classique] peut-être un peu jaunis ne seraient-ils pas les gens qui sont à la Coordination des groupes anarchistes ou Alternative libertaire ? [...] L’énergie versus les autres problèmes environnementaux. [...] Déconstruire notre désaccoutumance à la croissance.
Si tout saute, je pense que ce sera le fascisme
JB : [...] Je le connais mal, mais vu de l’extérieur (je ne vis pas en France), le parti de gauche ou Die Linke en Allemagne, me semblent être le véritable renouveau d’une sorte de sociale-démocratie en Europe. Ce ne sont pas des gens comme les socialistes donc j’ai plutôt de la sympathie pour le Parti de gauche. J’ai aussi des sympathies libertaires mais ma façon de comprendre l’anarchisme n’est pas contradictoire avec une certaine social-démocratie radicale. Je crois que c’est aussi le cas chez Chomsky, c’était le cas chez Russell aussi. L’alternative chez les anarchistes c’est toujours le problème de la révolution, du Grand soir. C’est-à-dire qu’on attend le moment où tout va sauter et puis on va créer un monde nouveau. Et ça, je n’y crois pas. Si tout saute, je pense que ce sera un truc horrible de droite. Quand des révolutions ont été couronnées de succès, ça a toujours débouché sur des dictatures, donc je n’ai pas le fantasme de la révolution. Un gros problème des anarchistes c’est de ne pas être à la fois anarchistes dans un idéal, comme disait Russel, vers lequel la société doit tendre tout en acceptant de faire des réformes. C’est quelque chose qui leur paraît totalement absurde mais qui me paraît naturel. Je ne connais pas les groupes anarchistes dont vous parlez et je ne vais pas me prononcer. Mais je pensais à un sujet de masse. Je parlais des grandes masses ouvrières : il n’y en a plus. Et on a  cette division sur une base religieuse, où certains anarchistes jouent un rôle très discutable avec des attaques insensées sur l’islam. C’est la mauvaise façon d’aborder le problème.
Le libertarisme vient des États-Unis et ce sont des gens qui n’ont pas bougé d’un pouce depuis l’idéologie libérale du 18ème siècle. Ils n’ont rien compris à la grande entreprise, au socialisme et c’est assez fort aux États-Unis. C’est une posture théorique totalement inapplicable dans le monde actuel, qui détruirait tout l’État, beaucoup plus que ce que les libéraux type Thatcher ou Reagan ont fait. Il n’y aurait ni armée, ni police ; les routes, les écoles, tout, seraient privés. J’ai de la sympathie pour un certain libertarisme américain car avec lui  il n’y a plus de base américaine à l’étranger, plus de guerre, d’intervention, de CIA… Mais ce sont des utopistes qui veulent retourner, non au socialisme du 19ème comme moi, mais au libéralisme du 18ème siècle. [...]
Au XXe siècle, on a accompli un progrès humain inouï : la lutte contre la mortalité infantile
Je rencontre souvent dans les débats, par exemple ceux des Amis du Monde diplomatique, une très forte hostilité à la techno science, etc. que je ne partage absolument pas. Au XXe siècle, on a accompli un progrès humain inouï : la lutte contre la mortalité infantile, par l’hygiène, la vaccination et l’intensification de l’agriculture. […] Si l’explosion démographique a eu lieu à partir des années 1940, c’est en raison de cela. Il y en a encore beaucoup parce qu’avec l’explosion démographique, il y a beaucoup de pauvres. Et je suis tout à fait en désaccord avec le fait de critiquer le capitalisme, l’impérialisme, le communisme, n’importe quel système économique, uniquement parce qu’il y a beaucoup de pauvres. Parce qu’entre le moment où vous avez des gens qui meurent en grand nombre et qui ne vivent pas et où vous avez des gens qui vivent bien, vous avez une période intermédiaire où il y a beaucoup de gens qui vivent mal. [...]
Peut-être ne fallait-il pas lutter contre la mortalité infantile mais l’explosion démographique a eu lieu et c’est un résultat de la technologie. Et c’est un résultat globalement positif. Qui plus est, en cinquante ans – qui est une petite fraction de seconde à l’échelle de l’histoire humaine – on a trouvé le remède à ça : le contrôle artificiel des naissances par la contraception, l’avortement, etc. [...] Ce sont deux crises majeures de l’humanité qu’on a résolu au XXe siècle et ça me rend optimiste. Évidemment, ça a des contreparties. Souvent, j’ai l’impression quand j’écoute les décroissantistes que si on éliminait 4 milliards d’êtres humains – et ça, c’est eux et pas les capitalistes qui pensent à ça – ils n’y verraient aucun inconvénient parce que ce serait bon pour la terre, on pourrait vivre plus écologiquement, etc. Mais on vit avec ces gens, ils sont là, on ne peut pas les supprimer. Que va-t-on faire pour assurer une vie minimalement décente ? Je ne vois pas de solution non technologique à ça.
Questions : S’il y a beaucoup de pauvres, ce n’est pas seulement parce qu’il y a une augmentation démographique, c’est surtout aussi parce qu’il y a une répartition des richesses un petit peu aléatoire.
J’ai l’impression que la décroissance c’est une énième incarnation de la gauche morale
JB : Bien sûr mais on ne peut pas s’attendre à ce qu’un système économique, quel qu’il soit, s’adapte, en si peu de temps, à une explosion démographique si rapide. [...] Je regrette que les critiques radicaux du système, en particulier les décroissantistes, ne prennent jamais ça en considération et ne disent jamais ce qu’ils vont faire avec tous ces gens. Rien ne nous dit que dans la décroissance, ces gens-là vont vivre mieux. J’ai l’impression que la décroissance c’est une énième incarnation de la gauche morale. On montre du doigt maintenant le prolétariat en disant : « Regardez, ils font leur shopping, etc. » [...] L’écart de revenu en France entre les revenus salariaux et ceux des capitaux. Cet écart, comme dans tous les pays occidentaux, a été augmentant dans les 20 dernières années. Ce qui s’est passé c’est que la gauche morale a fait tous ses discours de gauche morale et pendant ce temps-là les capitalistes se sont cassés avec la caisse. J’ai peur qu’avec la décroissance, ce soit la même chose. On va dire au prolétariat de moins consommer et puis les autres vont consommer plus. Si on me dit, « la décroissance pour les hauts revenus, les capitalistes », Ok. Si on a un moyen de les maîtriser, qu’on commence par eux et puis qu’on discute pour les autres. Il y a dans le discours décroissantiste, un moralisme qui m’irrite exactement comme pour la gauche morale.
Question : L’envers des modes de production, c’est la consommation et son approche démocratique.
JB : J’ai un problème avec le discours sur la surconsommation. Il y a une nette divergence entre les revenus consacrés au travail et ceux consacrés au capital. Alors comment font les gens pour consommer plus alors que leurs salaires stagnent ? Aux États-Unis, c’est à cause de l’emprunt, qui ne résout rien. [...] Ne faudrait-il pas augmenter les salaires ou en tout cas augmenter un certain nombre de services sociaux qui compenseraient la baisse de salaire (logements sociaux, transports en commun moins chers, etc. selon les pays) ? Plutôt que dire simplement augmenter la consommation, j’aurais plutôt tendance à dire augmenter la sécurité, la stabilité de l’emploi, la sécurité de l’existence pour que les gens soient plus rassurés sur leur futur, leur pension, sur ce qui se passe s’ils perdent leur emploi. Et des politiques macro-économiques qui permettent de créer des emplois, des politiques industrielles, qui n’existent pas puisque la commission européenne les empêche. [...] Je ne veux pas spécialement augmenter la consommation mais je ne vois pas comment, dans la situation dans laquelle on a une telle perte des revenus du travail par rapport à ceux des capitaux, la gauche peut proposer une diminution de la consommation aux couches populaires. Il y a quelque chose d’indécent, là, or le discours décroissantiste fait ça exactement comme le discours antiraciste. Je suis pour diminuer la consommation comme je suis pour supprimer le racisme mais je pense qu’il faut le faire de façon réaliste et non pas seulement tenir un discours qui finit par avoir l’effet inverse, de marginalisation du discours de gauche. […] Il faut donner aux gens plus de sécurité d’existence (sécurité de l’emploi, de bonnes écoles, etc.) or ça a été balayé par les réformes néolibérales.
Questions : Les nano-technologies. [...] L’optimisme technocratique était pardonnable du temps de Marx mais je pense qu’après le XXe siècle, il n’est plus de mise [...] On pense à l’avenir mais si on n’a plus de planète sous nos pieds, socialisme ou capitalisme, il n’y aura de toute façon plus rien.
C’est aux forces sociales d’utiliser la technique dans un sens positif
JB : Il faudrait me réinviter pour une autre conférence parce que c’est très long de discuter tout le discours sur la technique. [...] Je reste fondamentalement convaincu qu’un marteau peut servir à enfoncer un clou dans le mur ou à fracasser le crâne de quelqu’un d’autre et que la personne qui décide sont les êtres humains. Je suis convaincu que les structures sociales dans lesquelles on vit font que l’usage de la technique est pervertie mais je reste convaincu que la technique est l’arme principale qui a permis à une partie de l’Humanité de sortir de la misère et qui permettra à l’avenir à l’Humanité de sortir de la misère et c’est aux forces sociales d’utiliser la technique dans un sens positif. [...] Le fait de nous voir comme des esclaves de la technique c’est une façon d’ignorer les forces sociales qui utilisent la technique à leur propre fin. [...] Détourner le discours vers la technique c’est une façon de détourner l’attention du problème fondamental qui reste le capitalisme entendu comme la propriété privée des moyens de production.
Questions : Le mot d’indécence fait référence à des valeurs morales. [...] et vous les condamnez en tant que programme politique [...] Que pensez-vous des pays d’Amérique centrale et latine qui essayent de reconquérir une souveraineté économique et politique vis à vis des Etats-unis ? [...] Quelle est la place du nationalisme dans votre idée de souveraineté ?
Mon idéal politique c’est Allende
JB : Une fois qu’on a certaines idées morales, on essaie de les mettre en pratique par des changements de structure plutôt que par du prêchi-prêcha. Je suis d’accord pour dire que le racisme est dégueulasse, mais je ne pense pas qu’on fait avancer les choses en le répétant ad vitam aeternam, c’est tout. Il n’y a pas de contradiction entre prendre une position morale et le fait de dire que le prêchi-prêcha n’est pas la solution, or le discours de la gauche morale est sans arrêt du prêchi-prêcha. [...] Il faut adapter à l’Europe ce qu’ils font [en Amérique centrale et latine]. Pas imiter mais adapter. Pour moi ce que font Chávez et Morales – peut-être pas aussi bien que lui – c’est revenir à ce qui est pour moi l’idéal politique, mon héros politique : c’est Allende.
Le nationalisme c’est la version émotive de la souveraineté ou, si vous préférez, la souveraineté c’est la version rationnelle du nationalisme. J’essaye de défendre toujours des positions rationalistes. [...] Cependant je suis assez lucide pour me rendre compte que dans l’histoire, la souveraineté a souvent été associée au nationalisme. De Gaulle par exemple était nationaliste, ses discours enflammés faisaient rire en Belgique à l’époque, mais rétrospectivement ce n’est pas un nationalisme agressif qui n’a pas provoqué de guerre contre d’autres. Il a subi la guerre de 1914, celle de 1940, mis fin à la guerre d’Algérie… Il n’est pas un fauteur de guerre par un nationalisme destructeur. Je n’adhère pas à cela : comme la religion, le nationalisme m’irrite. Mais je suis suffisamment réaliste pour me rendre compte qu’on n’aura pas de souveraineté sans une dose minimale de nationalisme dont on peut espérer qu’il ne sera pas agressif. En Amérique latine, Chavez est très nationaliste dans son discours, mais je ne le vois pas envahir les pays voisins, donc c’est un moindre mal […]. Je n’encouragerai jamais le nationalisme ; en tout cas il faut toujours le limiter. En revanche, je ne suis pas d’accord avec la gauche morale qui fait des arnaques comme la construction européenne qui est antidémocratique, au nom de l’antinationalisme et qui fait comme si le maintien de la souveraineté nationale était fasciste, génocidaire, etc.. En 1992, c’est ainsi que ça s’est passé. [...]
Questions : Comment peut-on revenir vers un contrôle des moyens de production ? [...] Quid de la monopolisation des finances ? [...] Toutes les perspectives de gauche, difficiles à définir aujourd’hui, ne dépendent-elle pas de la possibilité de redévelopper un contrôle non seulement sur les moyens de production mais aussi plus largement sur les moyens majeurs que sont le capital financier ? [...]
Par pitié qu’on revienne aux fondamentaux : la lutte des classes, la propriété privée des moyens de production et du capital financier
JB : L’économie effectivement n’est pas seulement capitaliste mais aussi financière. Notre problème, c’est le contrôle de la finance. [...] Non seulement les capitalistes sont partis avec la caisse mais ils nous ont enfermés dans la cave et ils sont partis avec les clés. Ils ont tellement bien ficelé leur truc, qu’on ne sait pas par où commencer. Si tu prends l’Europe, par exemple, c’est vraiment le truc que les socialistes ont construit pour éviter les audaces du programme commun. On pourrait revenir au programme commun après l’échec de Mitterrand, sous une autre forme, mais ils ont verrouillé le truc pour qu’on ne puisse jamais, même dans 1000 ans, revenir à quelque chose comme le programme commun. Ça, c’est l’idée de l’Europe. Ils ont créé les conditions d’impossibilité de leur propre politique. Ça, c’est l’œuvre  des socialistes des années 80-90. Je ne sais pas par où commencer. Mais au moins qu’on en discute ! Mais au moins qu’on remette ça au centre de nos préoccupations ! [...]
Par pitié, il faut qu’on revienne aux fondamentaux : la lutte des classes, la propriété privée des moyens de production et du capital financier. Mais le capital financier est très volatil. Comment faire ? A la limite, on pourrait dire qu’on fait une croix sur le capital financier, et qu’on s’intéresse à l’économie réelle : on refait une monnaie, on sort de l’euro… On pourrait trouver des solutions radicales pour redynamiser le capital réel, industriel à l’opposé du capital financier. Mais on rentre dans des questions où il y a réellement un savoir technique que je ne maîtrise pas, et que peu maîtrise. La plupart des économistes sont à côté de la plaque. Il faudrait des études là-dessus.
Question : Les acquis sociaux sont-ils liés à l’impérialisme ? Est-il possible de les maintenir sans impérialisme ? La question des délocalisations et de notre dépendance plus grande vis à vis du tiers monde qu’on ne contrôle plus contrairement à l’époque de la colonisation. 
JB : […] La métaphore de l’île me paraît claire mais tout le reste est discutable. […] En quoi les États-Unis sont-ils moins impérialistes que nous parce qu’ils n’ont pas de sécurité sociale comme nous ici ? […] Les conquêtes sociale-démocrates ne doivent pas être vues comme uniquement le résultat de l’impérialisme car on aurait pu avoir un capitalisme sans cela et tout aussi impérialiste. C’est un paradoxe mais nous sommes plus dépendants aujourd’hui du Tiers monde qu’on ne l’était à l’époque coloniale, alors qu’on ne le contrôle plus. […] Les capitalistes occidentaux ont tellement délocalisé la production que le niveau de vie des masses n’est maintenu, alors que l’on casse les salaires, qu’en faisant venir des produits bon marché de Chine, vendus à Walt-Mart où les gens sont super exploités. Mais finalement l’ex-ouvrier américain et ses enfants qui ont un petit boulot peuvent aller acheter leurs produits. A l’époque coloniale, les produits coloniaux étaient marginaux, le gros de l’économie était ici. Même dans les années 1950-60, il n’y avait pas cette importation massive de produits bon marché. Le déclin est un problème. Peut-on maintenir les acquis sociaux-démocrates en phase de déclin ? La nouvelle gauche dit justement que ces acquis sont le produit de l’impérialisme donc pas très jolis. [...] Mais les gens tiennent à ça et ils ont raison de tenir à ça ! […] On va peut-être devoir se déconnecter du reste du monde. Si on laisse faire les capitalistes, il y aura une population en trop ici, qui n’aura rien à faire. […] On va devoir inventer quelque chose d’autre si on veut maintenir quelque chose ici.
Question : La globalisation économique. Une oligarchie financière internationale dirige-t-elle tout ?
JB : [...] Il faut toujours donner une certaine importance aux phénomènes nationaux. [...] Je ne suis pas du tout convaincu que les capitalistes américains dictent leurs conditions à la Chine. Ils le font jusqu’à un certain point  mais la Chine se renforce. Il y a des divisions de classes en Chine comme ailleurs mais il y a un projet national, y compris dans la bourgeoisie. La vision de Brzeziński est réductrice, cette vision de toute puissance américaine que [les Américains] ont imaginé et dont ils ont montré l’inexistence dans leurs aventures en Irak et en Afghanistan. On aime citer certains discours américains parce que ça montre combien ils sont « vilains », etc. Mais on ne doit pas oublié la part d’illusion qu’il y a dans ce discours. […] Moi je me préoccupe de l’Europe pas de la chine car la Chine fera ce qu’elle veut de toute façon. La question est : comment s’adapte-t-on à notre déclin ? Et je n’ai pas de réponse. […] La Chine a un immense réservoir de gens corvéables à merci pour un temps assez long. Y aura-t-il des luttes sociales ? Une révolution ? Des programmes sociaux-démocrates ? […] Je n’en sais rien. […] [En Europe], les expériences locales de développement alternatif sont peut-être une partie de la solution. [...]
Question : La crise actuelle ne permettrait-elle pas de reréguler les flux financiers ?
On aurait besoin d’économistes progressistes
JB : Ce qui me frappe dans la crise, c’est que les outils intellectuels qui permettraient même à la gauche de proposer ça, n’existent plus. […] Il y a eu un raz-de-marée néolibéral dans la science économique. [...] On aurait besoin d’économistes progressistes. [...] Il y en a quelques-uns mais il y en a très peu. Il y a quelques-uns de l’ancienne génération mais tous les nouveaux ont été balayés. [...] Donc on n’a pas d’idée, on n’a presque rien parce que, pendant tout un temps, on s’est amusé à faire la gauche des valeurs donc on n’a plus réfléchi à l’économie. Quand la crise arrive, personne [à gauche] n’est prêt. […]
Question : Le déclin [de l'Occident] n’est-il pas avant tout intellectuel ?
Je vois le déclin positivement
JB : Il y a un pessimisme culturel dont on trouve certains aspects dans la philosophie de la décroissance qu’on trouve depuis la guerre en France et qui est lié au déclin. Si vous prenez les idées en Allemagne après la guerre de 14 (Heidegger, Spengler, même l’école de Francfort qui se dit de gauche et marxiste, Strauss, Hannah Arendt, etc.), tous les courants de pensée sont extraordinairement pessimistes par rapport à la modernité et à mon avis – mais c’est mon interprétation cynique de la chose – ils sont pessimistes par rapport à la modernité parce que l’Allemagne avait pensé gagner la guerre sur la base de la science, de la technologie, de la modernité et elle la perd. [...] Je trouve la même chose en France après la guerre de 40. La France est dans le camp des vainqueurs mais elle a perdu la guerre. S’y ajoutent la perte de l’empire colonial, et celle du statut de puissance. C’est très mal ressenti par l’intelligentsia d’où ce pessimisme culturel qui est postmoderne, anti-progrès, anti-raison, antiscientifique, etc. […]. Mais je vois le déclin positivement, je suis pour la décolonisation, je ne suis pas pour qu’on contrôle le reste du monde. Je suis pour que le reste du monde se développe indépendamment de nous. Je ne suis pas pour l’hégémonie, pour qu’on s’entre-tue. Le déclin, c’est aussi qu’on n’est plus prêt à mourir pour la gloire, la patrie, l’Église, etc. et c’est très bien ! On est moins religieux qu’avant, c’est très bien. […] Le problème du déclin, c’est de le gérer : ne pas retomber dans la nostalgie […], d’essayer de vivre aussi bien entre nous dans un monde qu’on ne contrôle pas. [...]
Source : Montpellier journal, avril 2010
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Jean Bricmont a suggéré à Montpellier journal d’ajouter un lien vers un texte de Normand Baillargeon qui comporte un passage sur le point de vue de Noam Chomsky  – dont est proche Jean Bricmont – concernant notamment la science et la préservation de l’environnement. Ce que nous faisons bien volontiers : « Quelques observations de Chomsky sur certaines tendances de l’anarchisme actuel ». Et pour les anglophones, les propos de Noam Chomsky sur lesquels sont basés ce billet sont consultables et visionnables via le site reddit ou Znet.

NSA : la liste des protocoles cassés et résistants révélée par Snowden (Les moutons enragés)


Puisque la NSA espionne tout et tout le monde, même des politiques, ministères, chefs d’états et en toute tranquillité, et même vos comptes bancaires soit-dit en passant, expliquer ne serait-ce qu’un minimum comment lutter contre ne peut être qu’une bonne chose! Car certains s’estiment protégés par des VPN ou par le réseau Thor, mais il n’en est rien, la NSA a réussi à craquer la plupart des protections des réseaux, la plupart ne signifiant pas pour autant l’intégralité…
Edward Snowden a révélé ce week-end à quel point certains protocoles de logo-nsachiffrement sont faciles à casser par la NSA.
Le lanceur d’alerte Edward Snowden a partagé un nouveau lot de documents top secrets avec le Spiegel. De nouvelles révélations en découlent, et en particulier une liste des protocoles les plus sécurisés aux yeux de la NSA.
« L’omniprésence de chiffrement sur Internet est une menace majeure dans la capacité de la NSA à poursuivre ses services secrets en ligne et à déjouer les malwares adverses, » indique pour commencer un premier document top secret. Ce qui pose problème à la NSA, c’est la difficulté à repérer les renseignements sensibles. « Il y a 20 ans, seuls les gouvernements ou les cibles importantes mettaient en œuvre le chiffrement. Des communications chiffrées avaient de grandes chances de contenir des renseignements, » poursuit le document.
Mais contrairement à ce qu’on pourrait espérer, ce n’est pas vraiment son incapacité à déchiffrer les données qui pose problème à la NSA. Le Guardian et le New York Times ont déjà révélé l’année dernière l’existence du programme Bullrun, avec lequel les services secrets américains ont cassé quelques unes des technologies de chiffrement les plus utilisées sur Internet.
Les nouveaux documents du Spiegel permettent quant à eux d’établir la liste des technologies de chiffrement par niveaux de complexité, de « trivial » à « catastrophique ».

HTTPS, VPN sont vains

Tracer la provenance d’un document sur Internet est ainsi trivial. Enregistrer une conversation Facebook est une mission « mineure ». Quant au service de messagerie sécurisée Mail.ru, le déchiffrement des emails envoyés par son biais ne présente qu’une difficulté « modérée ». Ces trois premiers niveaux ne posent pas vraiment de problème à la NSA.
Des protocoles largement répandus et réputés sécurisés ne le sont pas. C’est tout particulièrement le cas du HTTPS, avec chiffrement SSL ou TLS, qui s’est récemment démocratisé sur un grand nombre de services en ligne. Les connexions VPN, qu’elles utilisent le protocole PPTP ou IPsec, sont facilement démasquées par la NSA. L’agence américaine et son homologue britannique surveillent ainsi des millions et des millions de connexions jugées sécurisées chaque jour.
Article complet sur Clubic.com

La gauche morale est devenue le substitut de la religion, par Jean Bricmont (Les crises)

Reprise d’un article de 2010 (qui n’a pas pris une ride !) de Jean Bricmont, physicien et essayiste belge, proche de Noam Chomsky…
Jean Bricmont était à Montpellier le 8 avril 2010 à l’invitation des Amis du Monde diplomatique. L’intellectuel belge, proche de Noam Chomsky, a brossé un « panorama idéologique de l’histoire de la gauche et du socialisme ». Il a fustigé « la gauche des valeurs ». Ce qui prend un relief particulier au moment où Martine Aubry, la première secrétaire du PS, et plus localement, Hélène Mandroux, maire de Montpellier, choisissent de mettre en avant « les valeurs de la gauche » (1). Jean Bricmont a aussi évoqué quelques rares pistes pour agir « quand on n’est ni Lénine ni Cohn-Bendit ».
Les questions sont parfois synthétisées ou réduites à un mot ou une expression, et certaines parties des réponses non essentielles pour le discours remplacées par des [...].  Pour écouter l’intégralité de cette partie : télécharger le fichier

Une critique de l’anti-système

Il est possible que je dise des choses qui vous choquent. Ma position dans le fond est très modérée. Sur certaines choses, ma position paraît radicale uniquement parce que l’époque dans laquelle on vit, est radicale. Dans la mauvaise direction mais radicale. [...] Je souhaite faire une critique idéologique de la situation actuelle. Ce n’est pas une critique du système mais de l’anti-système ou une critique de la gauche.  Je fais une critique de la gauche d’un point de vue de gauche. [...]
Jean Bricmont le 8 avril 2010 à Montpellier (photo : Mj)
Je vais partir d’un constat : on se trouve aujourd’hui dans une crise du système. Tout le monde est d’accord y compris les économistes libéraux (qui disent que peut-être la crise est passée mais qui reconnaissent qu’il y a eu une grosse crise). Mais je remarque qu’il n’y a rien comme opposition. La crise de la gauche, à l’heure où il y a crise du système, est d’autant plus grave et manifeste que la crise du système est grave. On peut se réjouir que le système soit en crise mais que fait-on pour y répondre ? Que fait-on ? Rien et personne ne sait que faire. Quand j’ai donné ce titre un peu provocateur ["Que faire quand on n’est ni Lénine ni Cohn-Bendit ?"], je me suis dit que ma réponse n’est pas la réponse communiste classique, ce n’est pas Lénine. Ce n’est pas Cohn-Bendit première version de mai 68 ni Cohn-Bendit deuxième version, social-libérale.
Mais que peut-on faire ? Et en fait je n’ai pas beaucoup de réponses à la question. Mais je voudrais commencer par faire un panorama de l’histoire de la gauche et du socialisme depuis les origines jusqu’à la crise de 1981-1983, me concentrer sur ce qui s’est passé après et expliquer pourquoi la gauche mitterrandienne nous a mis dans une impasse, dont je ne sais pas très bien comment sortir.

La gauche est toujours anti

Marx est un enfant des Lumières et du libéralisme des Lumières, il ne faut pas l’oublier. Rien ne m’énerve plus que l’expression « gauche anti-libérale » parce que, quand la gauche se dit anti-libérale, elle veut dire qu’elle est anti-néolibérale et elle devrait dire qu’elle est anti-capitaliste. Mais elle ferait mieux de dire qu’elle est pro quelque chose. La gauche est toujours anti. : anti-raciste, anti-fasciste, anti-capitaliste, anti-libérale, anti-OGM, anti-nucléaire. Mais pourquoi ? On y reviendra.
Les libéraux actuels n’ont rien à voir avec le libéralisme classique. Les libéraux classiques étaient des gens qui voyaient deux pouvoirs oppressifs en face d’eux, l’État absolutiste et l’Église, et qui pensaient s’en libérer afin que l’individu puisse réaliser son plein potentiel. Leur version du marché libre n’avait rien à voir avec la version actuelle parce que c’était une société essentiellement de petits producteurs. Et disant : si ces petits producteurs peuvent se libérer de la tutelle de l’État absolutiste et de l’Église, ils pourront alors interagir et ça mènera à une situation d’humanité. [...] Ce projet a échoué parce qu’en libérant les forces du marché, on a eu, en même temps, avec la révolution industrielle, la naissance de la grande industrie. Et, avec celle-ci, on a eu une concentration de pouvoir entre les mains des capitalistes qui n’était pas tellement différente du pouvoir concentré contre lequel les libéraux s’étaient battus : celui de la féodalité, de la monarchie, de l’Église.
La concentration des médias fait que l’information et la liberté de débat sont perverties
À partir du moment où des individus possèdent les moyens de production, ils peuvent dicter aux gens qui n’ont à vendre que leur force de travail, leurs conditions de vie, d’habitat, etc. qui fait que la réalisation de l’individu, dans ses aspirations personnelles, devient de facto impossible même si, en principe, les droits de l’homme existent, il y a la démocratie, etc. De plus, le processus démocratique est intrinsèquement perverti par cette concentration entre quelques mains des moyens de production puisqu’ils peuvent acheter les députés, faire pression sur les parlements, sur les gouvernements en disant (ça c’est la version moderne) : « Si vous n’êtes pas gentils avec nous, on délocalise. » De plus, j’anticipe mais au XXe siècle, la concentration entre quelques mains des médias fait que même l’information, la liberté de discussion et de débat qui étaient les conquêtes du libéralisme classique, sont perverties parce que finalement les médias sont entre les mains de quelques puissants. Alors que de ces processus de discussion libre devraient émerger les solutions d’un point de vue libéral.
Ce n’est pas parce que le libéralisme classique a échoué qu’il faut rejeter les idéaux qu’il défendait. Tous les socialistes du XIXe siècle (Marx, Engels, Bakounine, Kropotkine, etc.) qui avaient certes des différences mais qui ne sont pas si grandes comparées à ce qui est venu après, avaient pour leitmotiv que, pour résoudre cette concentration, il fallait supprimer la propriété privée des moyens de production et les socialiser. Cela ne veut pas dire étatiser, nationaliser ou mettre sous le contrôle du gouvernement. Au XIXe, ce n’était pas ça : la socialisation c’est le contrôle effectif par la population de la production qui est déjà socialisée. À partir du moment où elle est socialisée, l’idée libérale fondamentale de la démocratie exige que cette production, tellement essentielle à la vie des gens, soit soumise à un contrôle démocratique. Le socialisme, pour moi, n’est rien d’autre que l’extension du libéralisme ou de la démocratie à la sphère économique qui est rendue nécessaire par l’émergence de la grande production.
La question n’est pas l’État ou le marché mais plutôt : qui décide dans les entreprises ?
C’est une idée qui est totalement oubliée aujourd’hui parce que quand vous avez le débat entre la gauche et la droite, c’est presque toujours un débat entre l’État et le marché. Pour moi la question n’est pas l’État ou le marché mais plutôt : qui décide dans les entreprises ? Les travailleurs ou la collectivité ? Pas nécessairement l’État : on pourrait imaginer une société où toutes les entreprises sont autogérées par les travailleurs et sont toutes en relation par des mécanismes purs de marché. Je ne dis pas que c’est souhaitable mais on pourrait l’imaginer pour comprendre la différence entre le contrôle social de la production et l’Étatisation. Je ne suis pas contre une intervention de l’État dans l’économie mais c’est un tout autre débat. C’est important de comprendre que le socialisme émerge d’une façon naturelle comme une réaction à l’échec du libéralisme mais il n’est pas anti-libéral dans le sens profond du terme. Il accepte la liberté d’expression, de débat, la démocratie, le pluralisme, les conquêtes des lumières mais il dit : il y a ce problème de la concentration.
Ce mouvement a crû tout au long du 19ème siècle mais il s’est effondré avec la guerre de 1914. […] Il est très intéressant de lire des textes de socialistes classiques avant la guerre de 14. Par exemple Kautsky, le « renégat Kautsky » comme disait Lénine. [...] C’est un social-démocrate allemand mais il avait un programme de socialisation de l’économie. Vous en avez d’autres. Même ceux que l’histoire a gardé comme étant des gens compromis, des traites, etc., sont beaucoup plus radicaux que ce que vous avez aujourd’hui. Même le NPA ne va pas signer des choses pareilles.

Le bolchevisme et le fascisme

La guerre de 14 a marqué l’effondrement du socialisme classique pour deux raisons. De la guerre de 14, sont nés le bolchevisme et le fascisme. Loin de moi l’idée de dire que c’est la même chose mais ce sont deux phénomènes qui ont profondément handicapé le projet socialiste. [...] L’interprétation que je donne au mouvement bolchevique en Union soviétique est tout à fait différente de celle qui en a été donnée en occident. En particulier par les partis communistes mais aussi par leurs adversaires : trotskystes, maoïstes, etc. Pour moi, l’aspiration fondamentale du bolchevisme, c’est la modernisation d’un pays arriéré qu’était l’Union soviétique. Ce n’est pas moi qui l’ai inventé, ça a été remarqué en 1920 par Bertrand Russell (2). [...] Il décrit ça très bien : « Ce sont des fanatiques de l’industrialisation, ils vont poursuivre l’œuvre de Pierre Legrand et s’ils le font, c’est très bien mais s’ils prétendent être les représentants de ce qui a de plus avancé dans le socialisme européen, alors il faut les condamner pour cela. »
L’erreur des communistes occidentaux est d’avoir détruit l’idée du socialisme
Et c’est exactement ce qu’on n’a pas fait. On aurait dû dire : eux, c’est eux, nous c’est nous. Nous socialistes européens, nous n’aurions pas dû nous déterminer en fonction de l’Union sociétique. Mais dans beaucoup de pays européens, la gauche s’est divisée en deux : une partie radicale majoritairement communiste qui a fait exactement l’erreur qu’il ne fallait pas faire, c’est-à-dire de voir dans les réalisations soviétiques ce qu’il y avait de plus avancé dans le socialisme. [...] L’erreur des communistes occidentaux n’est pas qu’ils ont commis le crime de soutenir l’horrible Staline mais qu’ils ont détruit, d’une certaine façon, l’idée du socialisme ici en identifiant les aspirations du socialisme avec ce qu’il se passait en Union soviétique, (qu’ils enjolivaient pendant un certain temps puis quand ils se sont rendus compte que ce n’était pas si joli, ça s’est retourné contre le socialisme) ; l’autre partie, sociale-démocrate, a regroupé les éléments les plus mous, qui dérivaient le plus vers les compromis de classe… [...] Il y a quand même cette erreur fondamentale, cette identification du socialisme à ce qui se passait en Union soviétique. En particulier ça a renforcé l’idée que le socialisme, c’est l’étatisme. Alors que c’est la socialisation.
D’autre part, on a eu le fascisme et le nazisme. Une grande partie de l’énergie de la gauche, pendant toutes ces années, a été consommée dans le combat contre le fascisme. Qui s’est terminé en 1945 par la victoire de l’armée rouge qui a encore renforcé le problème de l’identification du socialisme avec l’Union soviétique.
Le développement de l’occident a toujours dépendu de l’existence d’un monde extérieur à nous où on pouvait aller déverser nos problèmes et chercher des richesses
Un autre problème qui se posait au socialisme, c’est qu’il y a un impensé du socialisme du XIXe siècle – et ça, c’est leur erreur : c’est le colonialisme et l’impérialisme. Je ne crois pas que l’occident soit purement un produit de l’exploitation coloniale. En revanche, je crois que l’existence d’un arrière monde, d’un hinterland, [...] par rapport à l’Europe a toujours biaisé notre développement. [...] Pour expliquer ça simplement, je vous demande d’imaginer le scénario suivant. Imaginez que l’Europe occidentale soit une île entourée de mer et tout le reste du monde est la mer. […] A quoi ressemblerait notre développement ? Il n’y aurait pas d’or d’Amérique, de commerce des esclaves, de colonisation de l’Afrique, de pétrole du Moyen Orient, de travailleurs immigrés… Tout est changé ! Contrairement aux sociétés traditionnelles qui vivaient en autarcie, le développement de l’occident a toujours dépendu de l’existence d’un monde extérieur à nous où on pouvait aller déverser nos problèmes et chercher des richesses. Déverser nos problèmes, c’est par exemple l’émigration quand les Européens deviennent trop nombreux et qu’on envoie en Australie, en Amérique… [...]
Après guerre, bien sûr, il y a eu les luttes anti-coloniales, une partie qui a absorbé une certaine énergie de la gauche. Mais il y a eu, pendant la période qui a commencé dans les années 30, quelque chose qu’on a tendance à sous-estimer : les gains sociaux-démocrates. Ce sont la sécurité sociale, la démocratisation de l’enseignement, les pensions, l’assurance chômage et maladie. Tous ces gains vont contre l’idéologie libérale classique. Pas celle du XVIIIe mais telle qu’elle devient au moment du développement du capitalisme où ce qui se dit libéralisme n’est plus du tout libéralisme.
Le véritable héritier du libéralisme c’est le socialisme. Mais ce qui devient le libéralisme, c’est la défense du grand capital, de la propriété privée des moyens de production au nom de la défense de la petite entreprise, au nom des idées libérales. On transpose les idées libérales à une situation nouvelle et on dit : « Ah ! L’épanouissement de l’être humain c’est le libre marché. » Y compris quand il y a des immenses capitalistes qui sont en concurrence avec des petits commerçants ou des travailleurs et qui peuvent les écraser. Ce libéralisme-là était toujours opposé à tout ce qu’on a. Si vous regardez l’histoire de la droite, elle s’est battue contre toutes les conquêtes sociales-démocrates. [...] Elles n’ont pas transformé le capitalisme mais dans un certain sens, elles l’ont fait. Si vous prenez le capitalisme à la fin des années 70 où on est au sommet de la montée des conquêtes sociales-démocrates, vous arrivez à un capitalisme très différent de ce que vous avez aujourd’hui et de ce que vous aviez 50 ans plus tôt. Une moitié de la vie a été socialisée : l’enfance, le chômage, la vieillesse…
Le Parti communiste était en principe révolutionnaire mais a été socio-démocrate
En France c’est un peu particulier puisque celui qui a fait le plus ces programmes socio-démocrates, c’était un catholique de droite maurassien qui s’appelait De Gaulle. Vous n’avez pas eu à l’époque quelqu’un comme Olof Palme, par exemple, Kresiki en Autriche ou Atlee en Angleterre, des sociaux-démocrates classiques. [...] De Gaulle l’a fait parce que c’était dans l’esprit du temps. Et, en face de lui, il avait un Parti communiste qui était en principe révolutionnaire mais qui, en pratique, comme le PCI en Italie, a été social-démocrate. A aucun moment il n’y a eu de possibilité de prises du pouvoir de type léniniste et d’instauration de la dictature, certainement pas en 1968 et même à la fin de la guerre. Le Conseil national de la résistance est un programme social-démocrate, similaire à d’autres pays comme dans les pays scandinaves. Particulièrement en France il y a un décalage entre la réalité et l’imaginaire avec un président, ayant un programme social démocrate, mais de droite classique, et un parti communiste qui recrutait au nom de la révolution mais qui parce qu’il ne pouvait pas faire autrement soutenait des programmes sociaux-démocrates, et en Italie aussi. Tout ce courant social-démocrate classique pour lequel j’ai évidemment de la sympathie parce que je le vois comme une résurgence, après tous les problèmes du fascisme et de l’effondrement de la guerre de 14, de l’idéal socialiste classique du XIXe siècle, s’est effondré curieusement, en France particulièrement, mais aussi ailleurs en Europe, à partir de 68 et particulièrement lors de l’accession de Mitterrand au pouvoir en 81-83. La France est le pays de tous les paradoxes de mon point de vue puisque le meilleur social-démocrate est un catholique réactionnaire qu’était De Gaulle et la mort de la social-démocratie est liée à l’arrivée au pouvoir du parti socialiste sous Mitterrand. [...]
Il y a eu de tout en mai 68 […] mais ce qui est massif aujourd’hui, c’est son institutionnalisation. C’est la lente montée des soixantuitards dans les institutions (dans la presse, les ministères, etc. ) et qui commencent à prendre le pouvoir en 81. Vous avez Kouchner, certains nouveaux philosophes sont un produit de cette époque, Lang, etc.[...] Tout s’est passé à contretemps. La social-démocratie était faite (sous la 4ème république, dès la libération et encore plus sous De Gaulle) mais Mitterrand est venu avec un programme beaucoup plus radical, social-démocrate, de nationalisations (qui n’avaient pas eu lieu autant en France qu’en Angleterre par exemple) qui pour moi n’était pas nécessairement bien pensé et pas adapté à l’époque. Parce qu’à l’époque la crise de la sociale-démocratie et du keynésianisme se faisait sentir, et il n’y avait pas un programme cohérent. En 81 il commence à appliquer son programme et en 83, il y a des déficits, des problèmes avec le franc, il prend le tournant de la rigueur. Je ne vais pas le condamner mais tel qu’il a été fait, ça a été une rupture complète avec les idéaux de la gauche classique. Et on a eu vraiment une nouvelle gauche qui s’est instaurée, qui a pris le pouvoir et qui est la gauche qu’on rencontre aujourd’hui dans laquelle je ne me reconnais pas même si je me dis de gauche.
Si vous parlez de la gestion et du contrôle de l’économie, la gauche ne vous dit rien
Sur le plan intérieur, l’idée de socialisme, de socialisation des moyens de production, a été remplacée, dans le discours, par les Droits de l’homme. Si vous écoutez la gauche, elle est toujours pour les Droits de l’homme, contre les discriminations,… Mais, si vous parlez de la gestion et du contrôle de l’économie, elle ne vous dit rien. Celui qui incarne ça encore plus que les socialistes français, c’est Tony Blair. [...] Il a dit : « La gauche a appris qu’il n’y a pas une façon de gauche et une façon de droite de gérer l’économie, il y a une seule façon de gérer l’économie et la gauche a appris à le faire aussi bien que la droite. » Donc il n’y a pas de débat sur la propriété privée des moyens de production, sur le contrôle démocratique de la production. Ça n’existe plus. Parce qu’il y a, soi-disant, une science économique qui est, en fait, la version néolibérale de la science économique, le paradigme dominant (parce que si vous regardez dans l’histoire il y a de tout dans les économistes). La gauche comme la droite l’applique, ce sont des recettes économiques et on ne discute pas. Et c’est ce que Blair exprime de façon crue mais tous les socialistes y compris français font ça.
Mais quel peut-être le débat gauche/droite ? Quel peut être le débat gauche-droite si on admet que le marché domine, que la démocratie formelle est indépassable et que l’idéal, ce sont les droits de l’homme ? Parce que c’est exactement ce que les libéraux disaient ! Donc on est obligé de dire qu’on est d’accord avec les libéraux. Au lieu de dire qu’on fait kamikaze, qu’on supprime le PS et qu’on rejoint [la droite] (mais ce n’est pas possible car il y a trop de fromages à distribuer) […], vous devez trouver un sens à être de gauche qui n’est pas de droite. Alors qu’a-t-on inventé ? Je vais peut-être être méchant mais je pense que c’est une invention, une arnaque : on a inventé l’antifascisme et l’antiracisme. On a fait mousser le Front national et du coup on a créé un danger fasciste contre lequel on a mobilisé la jeunesse. [...] On a aussi mobilisé les gens contre le racisme en faisant croire que la droite était d’une certaine façon nostalgique de Pétain, de l’Algérie, une droite raciste, etc. Ça a été le tournant idéologique autour des années 80. Évidemment, il y avait la crise du communisme. Ce qui avait été un avantage pour le PC c’est-à-dire le prestige de l’URSS devient un inconvénient c’est-à-dire le discrédit de l’URSS ; tout se retournait : alors que les communistes avaient été les sociaux-démocrates européens, ça se retournait contre eux. Tout ce qui avait été l’essence du socialisme et de la social-démocratie européenne était discrédité au nom de l’anticommunisme avec lequel il n’avait rien à voir : la social-démocratie suédoise n’a rien à voir avec le communisme ! Mais le même processus de diabolisation et de discrédit de la social-démocratie s’est passé. Alors on a introduit la gauche morale qui est une gauche des valeurs. Vous entendez ça tout le temps : on a des valeurs, on est féministe, anti-raciste, anti-fasciste, pour la démocratie, pour les Droits de l’homme.

Alors qu’a-t-on dit aux travailleurs ?

L’astuce la plus scandaleuse, c’est qu’on a perdu la classe ouvrière. Parce que, en même temps qu’il y a ce processus de création la gauche morale, on a eu les pertes d’emplois, les délocalisations, les fermetures d’entreprises. Alors qu’a-t-on dit aux travailleurs ? « Écoutez, c’est l’économie, c’est géré scientifiquement, on ne peut rien y faire. Mais surtout ne soyez pas racistes, n’allez pas voter pour le Front national. » Et s’ils vont voter pour le Front national – et les statistiques montrent qu’ils le font – on dit : « Voyez, ça c’est des Dupont la joie, des beaufs, etc. » Et donc on a renforcé la stigmatisation du peuple qu’on était en train justement d’abandonner de toutes les façons possibles dans le programme même de la gauche. Et on a trouvé l’argument idéologique ! La petite bourgeoisie intellectuelle a trouvé le « politiquement correct », le féminisme, l’antiracisme, etc. pour montrer les ouvriers du doigt et leur dire « vous avez perdu votre emploi, mais n’allez pas voter pour le front national et on ne peut rien faire pour vous ». On s’est mis dans une situation de plus en plus insupportable : la gauche morale, la gauche du discours sur les valeurs, les gens qui font claquer leurs bretelles en disant qu’ils sont des bons démocrates. Comme le dit Régis Debray : « La morale c’est quelque chose qu’on s’impose à soi-même, pas quelque chose qu’on fait aux autres. » Or, dans le discours dominant, c’est quelque chose qu’on fait aux autres, au peuple essentiellement à qui on dit : le racisme… Je ne conteste pas qu’il y a beaucoup de racisme mais je ne suis pas convaincu que l’anti-racisme du discours dominant fasse avancer les choses. [...]
Si vous voulez changer les choses, vous devez vous attaquer aux structures sociales.
On a fait un retour en arrière gigantesque : avant 1845, avant les premières critiques que Marx faisait, dans l’idéologie allemande, à ce qui était la gauche morale de son temps. C’est Marx et les autres qui ont dit : « Le problème ce n’est pas la morale, les idées, la dialectique hégélienne, la religion. Ce n’est pas de ça dont il faut parler. C’est des structures sociales. Si vous voulez changer les choses, vous devez vous attaquer aux structures sociales. » Ils étaient tous comme ça. Ils avaient raison. Et tout ça, on l’a perdu. On l’a oublié. La gauche morale est devenue le substitut de la religion. On a une religion des Droits de l’homme, de la démocratie. [...] On fait des lois pour sanctionner les gens qui dévient de la religion. Mais comme la religion n’est pas le christianisme, ça passe pour de gauche mais ça a des effets catastrophiques.
Tous les problèmes qui sont au cœur de la réflexion de la gauche classique ont disparu et sont gérés par la Commission européenne
Le premier effet catastrophique que ça a, c’est l’Europe. On l’a faite avaler au nom de l’anti-fascisme, de l’anti-nationalisme, comme si la souveraineté française à l’époque de De Gaulle (Qui a fait la réconciliation allemande ? Ce n’est pas l’Europe qui l’a faite, c’est De Gaulle et Adenauer) allait mener à la guerre, comme si les nations européennes souveraines allaient nécessairement s’entretuer et qu’il fallait créer cette bureaucratie européenne supranationale pour résoudre le problème. Si vous prenez le traité de Maastricht, en 1992, ça a été vendu au peuple français et au peuple de gauche sur des arguments antinationalistes et antifascistes : Le Pen était contre donc on était pour, etc. Sans réfléchir. Je n’ai rien contre l’Europe (on ne peut pas être contre un continent), contre l’unification de l’Europe, je trouve ça bien comme l’unification de l’Amérique latine. Mais je suis contre la perte de souveraineté. Parce que vous pouvez très bien imaginer une unification de l’Europe qui se fait par des accords gouvernementaux, sanctionnés par le parlement  et révisables. [...]
La commission européenne est un pouvoir non démocratique, bureaucratique qui est pire que le pouvoir des capitalistes sur le peuple parce qu’on a recréé une espèce de monarchie absolue sauf que c’est une bureaucratie plutôt qu’une seule personne. Elle a un pouvoir énorme, elle prend énormément de décisions qui sont entérinées ensuite par les gouvernements nationaux qui sont obligés de le faire. Tous les problèmes économiques, de libre-échange, de commerce, de monnaie, tous les problèmes qui sont au cœur  de la réflexion de la gauche classique ont disparu et sont gérés par la Commission européenne. Et tout ça, on l’a fait au nom de fantasmes. Encore une fois, je ne suis pas contre la coopération mais on devrait le faire comme le fait la Suisse qui a fait de la coopération avec le reste de l’Europe sur une base souveraine. [...]

« Les gens ne votent plus »

On a abandonné la démocratie. Un des résultats c’est la dépolitisation. [...] Les gens ne votent plus. [...] Vous n’avez pas d’autre politique possible. Si vous veniez avec un programme commun de gouvernement comme en 78 ou 81, l’Europe ne l’accepterait pas. Ça entrerait en contradiction avec toutes les règles de libre-échange de l’Europe. Et vous ne pouvez pas l’imaginer. Et si vous ne pouvez pas l’imaginer, de quoi discute-t-on ? Ah ! De la burqa. Eh oui ! On trouve ça ridicule de discuter de la burqa mais qui a créé ce problème si ce n’est la gauche morale qui a remplacé le discours sur les structures sociales par un discours sur les valeurs ? À partir du moment où on a porté le discours sur les valeurs, on se ramasse dans la gueule, le discours sur les valeurs de droite. [...]
Parce que de même que le discours des valeurs de gauche (antifasciste, antiraciste, etc.) est parfaitement compatible avec une droite libérale, à la Giscard d’Estaing, capitaliste, qui s’en fiche (ils sont pour le libre marché, pour l’Amérique…), on a aussi alors une droite qui est beaucoup plus efficace sur le discours des valeurs,  la droite de l’autorité, (l’autorité du père de famille, du maître d’école, chanter la Marseillaise, se lever en classe, l’identité française, la burqa, l’agitation contre l’islam, etc.). Une fois qu’on a mis le discours sur les valeurs, elle récupère ce discours et elle est beaucoup plus efficace que nous, et on est coincé, coincé, coincé !
Quelqu’un m’a demandé, avant de venir, si j’allais parler de « la vraie gauche ». Je veux bien mais le problème c’est que je ne sais pas où elle est parce que quand je regarde l’extrême gauche, en France du moins, j’ai l’impression qu’elle est comme la gauche morale. Mais en plus fort. Elle hurle encore plus fort par exemple quand il y a une petite phrase d’un président de région qu’on peut critiquer comme raciste. Je ne sais pas si vous pensez à quelqu’un… Ils n’ont pas d’alternative réellement et ils sont rentrés dans le discours des valeurs. Ou bien parfois, il y a le discours du retour à Marx, avant Lénine, Staline. [...] Mais on fait un Marx complètement utopique, découpé de l’histoire du XXe siècle, des transformations sociales. Et donc on a un Marx politiquement correct, lié à aucune guerre, aucun crime, aucune lutte, rien. Et franchement je ne vois pas grand-chose d’autre, alors, que faire ?

« Pas de perspective de changement radical »

D’abord on pourrait dire : on va faire la révolution. [...] Les révolutions au sens où elles ont été fantasmées par les mouvements trotskystes, maoïstes, etc. non seulement n’ont pratiquement jamais eu lieu mais les vrais changements de régime violents ont presque toujours été de droite. [...] Je suis prêt à parier – je ne tiens pas à ce que ça arrive – que s’il y avait vraiment un effondrement économique (je ne parle pas de la crise actuelle qui est grave mais si vous aviez une crise “à l’Argentine”), vous auriez une révolution d’extrême droite. [...] Donc il n’y a pas de perspective de changement radical. Donc on est obligé de revenir à des choses simples, petites et de commencer par là. Ceci dit, les néolibéraux et les néo conservateurs n’ont jamais fantasmé la révolution. Ils ont dit : « On va changer les choses petit à petit. » Mais en 20 ans, ils ont changé beaucoup de choses. Ils ont détruit beaucoup mais ils ne l’ont pas fait d’un seul coup.
Premièrement, c’est très important de re-légitimer, de rétablir la perspective socialiste fondamentale de la socialisation des moyens de production. Même si ce n’est pas demain qu’on va le faire, même si on ne peut pas le faire, ça change tout, à mon avis, dans les luttes. [...] Parce que si vous partez de l’acceptation de la légitimité de la propriété privée des moyens de production alors vous dites simplement : les travailleurs doivent avoir une part de gâteau, un peu plus de dignité, de considération, etc. Mais si vous dites : « Non, tout est à nous rien n’est à eux. » Pour le moment on ne peut rien faire mais quand on se bat on part d’un point de vue de légitimité qui est très différent et ça, c’est très important psychologiquement.

Il faut ne pas se soumettre au diktat européen

Le deuxième point concerne le court terme. Il faut tout faire pour sauver les acquis sociaux-démocrates. Il en reste : la sécurité sociale, l’enseignement… ils n’ont pas tout détruit, mais enfin ils font le processus de saucissonnage. [...] Mais comme l’Europe qui a été faite avec l’approbation de la gauche, de la nouvelle gauche, de la gauche morale, a été construite institutionnellement pour rendre le détricotage des acquis sociaux inévitable, il faut ignorer l’Europe. Alors je ne sais pas comment faire, je ne suis pas technicien de la politique mais il faut ne pas se soumettre au diktat européen. Je ne pense pas qu’on puisse sortir de l’Europe comme ça du jour au lendemain mais on peut faire comme si elle n’existait pas sur un certain nombre de choses. Ce que les pouvoirs actuels ont fait lors de la crise financière en créant des déficits qu’ils n’étaient pas supposés faire. Si on l’avait fait pour des raisons sociales, ça aurait été considéré comme totalement illégitime. [...]
L’Europe et les citoyens européens peuvent être un facteur de paix dans le monde par rapport aux Américains. Mais pour ça, il faut regagner notre souveraineté par rapport aux États-Unis. De même qu’il faudrait ignorer l’Europe, il faudrait ignorer l’Otan. C’est une catastrophe par exemple que la France qui était le seul pays qui, bien que de façon modérée et symbolique, était un peu en dehors de l’OTAN y soit rentrée complètement grâce à notre ami Sarkozy. […] Par exemple la Hollande très pro-américaine vont se retirer d’Afghanistan. […] C’est très important symboliquement de se retirer d’Afghanistan [...] Il ne faut pas oublier que pendant la guerre du Vietnam, avec un anti-communisme fanatique dans les gouvernements européens, il n’y avait pas un soldat européen au Vietnam. Harold Wilson n’aurait jamais envoyé de soldats anglais, De Gaulle n’aurait jamais envoyé de soldats français. Maintenant tous les soldats européens servent de supplétifs aux Américains. [...] Ça n’indigne personne, il n’y a pas de manifestation, pas de protestation, pas de pétition, pas d’agitation dans les facultés, parmi les intellectuels. Le mouvement de la paix a complètement disparu. Il faut recréer ça. La Palestine est un truc où l’Europe pourrait avoir une position moins alignée sur les États-Unis et par conséquent sur Israël. [...] Par exemple appuyer par toutes les façons imaginables le mouvement Boycott désinvestissement sanctions (BDS).
Je ne vois pas de sujet collectif qui puisse être l’agent d’un renouveau
Le premier obstacle c’est que je ne vois pas de sujet. Avant, la vieille gauche avait un sujet actif qui était en gros la classe ouvrière, le prolétariat autour duquel pouvaient se faire des alliances. Mais maintenant je ne vois pas de sujet collectif qui puisse être l’agent d’un renouveau. Ce qui était la classe ouvrière est terriblement divisé en raison de la question de la religion et en particulier de l’Islam. La droite évidemment a cette astuce très intelligente d’agiter le problème de l’Islam (voile, burqa, etc.) mais la gauche tombe trop souvent dans le piège. Je pense le plus grand mal des religions mais je pense qu’il faut une laïcité honnête qui ne soit pas sélectivement contre une religion particulière. Il faut un mouvement dans la population, un processus de paix comme on dirait au moyen orient avec les musulmans de France – et de Belgique. [...] On n’unifiera pas les forces populaires en France ou en Belgique ou ailleurs en Europe si on n’unit pas les musulmans et les non musulmans parce que les musulmans représentent une partie importante de ce qui, dans le temps, aurait été appelé la classe ouvrière, le prolétariat. Vous ne pouvez pas les ignorer. Particulièrement sur la Palestine. En France, le discours est tellement biaisé en faveur d’Israël, que les gens deviennent fous furieux.

On ne contrôle plus le reste du monde

Autre problème auquel je n’ai pas de réponse, c’est le « déclin de l’occident ». Utiliser cette expression est particulièrement provocateur puisque c’est le titre du livre de Spengler qui était un proto Nazi après la guerre de 14 mais l’expression me paraît très juste. [...] S’il y a une transformation sociale importante au XXe siècle, c’est la décolonisation. C’est l’émergence de cet hinterland que nous avions au moment de notre développement et ce monde-là nous échappe complètement. [...] On ne contrôle plus le reste du monde et c’est un fantasme qui continue à exister à gauche et à droite de faire comme si on contrôlait : on va dire aux Chinois ce qu’ils doivent faire au Tibet, aux Russes ce qu’ils doivent faire ici, aux Iraniens. Ça ne marchera pas ! Les Iraniens font ce qu’ils veulent et les Chinois aussi. La seule chose qu’on a à faire c’est de nous occuper de nos affaires et de vivre en paix avec eux.[...] De même, les transformations de l’Europe font que vous ne pouvez plus trouver des dizaines et des dizaines de milliers de jeunes Français prêts à aller se faire tuer à Berlin ou sur la Somme. [...] On décline ça veut dire aussi qu’on se retrouve face à des Chinois qui disent, quand on veut faire des restrictions d’importation textile de la Chine : « Oui mais nous on doit vendre 20 millions de chemises pour construire un Airbus. » Et comme j’ai écrit dans l’article du Monde diplomatique : le jour où ils construiront des Airbus, qui fabriquera nos chemises ?
On doit gérer notre déclin. Or tout le problème que je vois dans les manifestations culturelles et intellectuelles en France avec particulièrement un type qui est vraiment scandaleux pas seulement pour ses remarques racistes, Zemmour, c’est qu’on vit dans une France, une Europe qui est dominée par la nostalgie de notre glorieux passé – avec ses aspects pas très jolis – mais on ne regarde pas vers l’avenir. On n’essaye pas de s’inventer un avenir dans lequel nous devons vivre, dans un monde que nous ne contrôlons pas et où nous ne sommes pas les plus forts. Et ça, c’est vraiment le défi auquel je n’ai pas de réponse. Pour moi c’est le défi le plus important de notre époque qui justifie à la fois la défense de la paix et du socialisme. Mais comment l’accomplir ? Je vous laisse réfléchir à ça.
Deuxième partie (à venir) : les questions de la salle
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(1) Lire La gauche que veut Martine Aubry (Mediapart, sur abonnement), Le Languedoc-Roussillon, village gaulois ? par Hélène Mandroux (lemonde.fr)
(2) La Pratique et la théorie du bolchevisme, Paris, Ed. de la sirène, 1921
Source : Montpellier journal, avril 2010