lundi 30 mai 2016

Michel Onfray : La loi travail et les hostilités des manifestations

Ajoutée le 28 mai 2016 par Socrate Le Sage sous Youtube)
Michel Onfray : La loi travail et les hostilités des manifestations

Présidentielle 2017 : Michel ONFRAY candidat ? (2016)


 
Ajoutée le 21 mai 2016 par Euro Trahison sur Youtube)
Le philosophe Michel ONFRAY réagit, lors d'une interview organisée par le journal "Le Figaro", sur le fait que son nom se retrouve fréquemment cité dans le microcosme parisien (qui décide pour le reste du pays) pour son éventuelle candidature à l'élection présidentielle de 2017. Il convient de noter qu'il se retrouve en quasi convergence totale avec les analyses de François Asselineau (UPR) qu'il connaît très bien malgré ce qui est dit ça et là.

Nicole Delépine – Les conséquences de la loi Touraine (news360)

 
Le docteur Nicole Delépine revient sur la loi Tourrain, ses applications et ses conséquence sur la santé et la protection sociale.

ZOOM – Marc Lagrange : Médecine : de la dérive au Chaos (news360)

 
Marc Lagrange est chirurgien à la retraite. Après plusieurs décennies de pratique, Marc Lagrange nous dresse un portrait sans concession du système de santé français dans son ouvrage “Médecine : de la dérive au chaos”. Entre numerus clausus et médecins usurpateurs venus de l’étranger, l’ancien homme de terrain nous livre sa critique dans un langage fleuri et imagé… Comme l’auteur le dit si bien, écoutez ou lisez-le, ça va saigner !

La vague de grèves contre l’austérité se propage en France et en Belgique (news360)

La vague de grèves contre l’austérité se propage en France et en Belgique

s et les occupations continuent en France contre la loi-travail réactionnaire imposée plus tôt ce mois-ci par le gouvernement du Parti socialiste (PS), malgré les attaques contre les grévistes par la police antiémeute, des protestations et des grèves contre l’austérité éclatent en Belgique voisine. Mardi, quelque 60 000 travailleurs ont défilé à Bruxelles contre les mesures d’austérité du gouvernement conservateur du Premier ministre Charles Michel.
La manifestation de Bruxelles vise des réductions prévues dans le système de protection sociale, les compressions budgétaires dans les services publics et l’éducation national, et une réforme du travail permettant aux patrons d’introduire une semaine de travail de 45 heures et d’imposer des heures supplémentaires sans rémunération supplémentaire.
Avant la manifestation de mardi, le gouvernement Michel a renforcé les mesures de sécurité draconiennes imposées après l’attaque terroriste du 22 mars à Bruxelles. Il est maintenant clair que le gouvernement belge, qui a ignoré les mises en garde des agences de renseignement étrangères concernant l’identité et les plans des attaquants du 22 mars, a utilise les mesures de sécurité pour réprimer l’opposition interne de la classe ouvrière. La police anti-émeutes a utilisé des canons à eau et des gaz lacrymogènes contre la manifestation de mardi, blessant plusieurs personnes. Dix personnes auraient été arrêtées.
Le mouvement grandissant contre l’austérité en Belgique coïncide avec une vague croissante de grèves en France. La loi travail régressive du PS permet aux entreprises de négocier avec les syndicats pour allonger la semaine de travail jusqu’à un maximum de 46 heures et de réduire les salaires. Il assouplit également les conditions de licenciement des travailleurs. La loi, majoritairement refusée par les travailleurs et les jeunes, est largement considérée comme une attaque illégitime contre les droits sociaux des travailleurs acquis par des décennies de lutte.
En France, les grèves se produisent dans les raffineries de pétrole et les ports et dans l’aviation civile, les chemins de fer, l’énergie, le transport et la construction. Des manifestations à échelle national ont lieu jeudi, après que des dizaines de milliers de personnes ont participé à des manifestations le 19 mai.
Une grève dans le secteur pétrolier qui dure depuis une semaine paralyse l’économie française et provoque des pénuries de carburant à grande échelle. Trente pour cent des 12 000 stations-service en France seraient totalement ou partiellement à sec.
Le gouvernement PS a réagi en dénonçant hypocritement les travailleurs qui protestaient. Le Premier ministre Manuel Valls a déclaré que « la démocratie est prise en otage par une minorité ».
C’est un mensonge éhonté et provocateur. C’est le gouvernement PS qui se comporte comme une dictature, forçant le passage de cette loi socialement régressive sans vote parlementaire face à l’écrasante opposition populaire, en utilisant les pouvoirs d’urgence des dispositions de l’article 49.3 de la Constitution française, antidémocratique, pour le faire.
Une grande majorité de la population tient le président François Hollande et le Premier ministre Manuel Valls pour responsables des tensions sociales et des perturbations industrielles causées par les grèves. Une enquête Elabepubliée mercredi a révélé que près de 70 pour cent de la population pour que le PS recule, et non pas les grévistes, en retirant la Loi travail.
Les grèves minent le gouvernement PS, déclenchant une crise profonde et des demandes du retrait de la loi, même au sein du PS lui-même. Bruno Le Roux, chef du groupe PS à l’Assemblée nationale, a appelé le gouvernement à retravailler la loi travail. Il a particulièrement distingué l’article 2, qui permet aux syndicats de signer et de mettre en œuvre des contrats violant le Code du travail et les accords de branche.
Valls s’est opposé à cette proposition au Parlement, affirmant qu’il n’y aurait « ni retrait du texte, ni remise en cause de l’article 2 car c’est le cœur de la philosophie du texte ».
Au lieu de cela, le gouvernement du PS est déterminé à utiliser la répression policière pour écraser les grèves et les blocus des travailleurs du pétrole.
Après l’envoi des CRS, mardi, pour attaquer les travailleurs qui bloquaient la raffinerie de pétrole à Fos-sur-Mer près de Marseille, la police est intervenue hier pour rétablir l’accès à un dépôt de carburant clé à Douchy-les-Mines près de Valenciennes dans le nord de la France. Le dépôt avait été bloqué par les membres de la Confédération générale du travail (CGT) et les syndicats Solidaires depuis le 19 mai.
L’attaque a commencé mardi matin à environ 5h, lorsque 20 camions de police ont convergé sur la raffinerie et les CRS ont utilisé des canons à eau pour déloger les 80 travailleurs qui bloquaient l’accès.
Malgré la répression policière, les grèves se propagent à travers les installations pétrolières de la France. Huit raffineries du pays sont toutes touchées par la grève. La raffinerie Total de Feyzin près de Lyon et celle de Normandie ont arrêté la production. L’installation de Grandpuits, près de Paris sera bientôt à l’arrêt complet et celle de Donges, près de Nantes, va fermer plusieurs unités, tandis que celles de La Mède de Fos-sur-Mer et Lavéra dans la région de Marseille fonctionnent au ralenti. Des dizaines de dépôts de carburant, sur un total de 78 en France, sont également bloqués.
Avec la pénurie de carburant qui s’aggrave, le gouvernement a commencé à entamer ses stocks de réserve stratégique de carburant. Francis Duseux, le président du groupe UFIP (Union Française des Industries Pétrolières), a déclaré à la radio RMC : « Depuis deux jours, comme il y avait des problèmes de fonctionnement de raffinage, des blocages de dépôts, on a commencé, en collaboration avec les pouvoirs publics, à utiliser les stocks de réserve ».
Terrifiés par ces protestations, les cercles dirigeants demandent au gouvernement de fouler aux pieds le droit de grève protégé par la Constitution et de forcer les employés à reprendre le travail. Les républicains de droite (LR) ont demandé au PS de réquisitionner des travailleurs du pétrole et de les obliger légalement de reprendre le travail. Le députe Eric Ciotti a dit : « Il faut réquisitionner, comme Nicolas Sarkozy l’avait fait en 2010. C’est une mesure d’intérêt général, on ne peut pas laisser le pays bloqué par une petite minorité ».
Pendant ce temps, les grèves éclatent dans d’autres industries françaises contre la loi Travail. La fédération CGT-énergie a appelé à une action de grève à la compagnie publique d’électricité française EDF et prévoit des blocages de sites pour couper la production d’électricité. Cela conduirait à des coupures de courant à travers le pays. Hier, les travailleurs de 19 centrales nucléaires, y compris Nogent-sur-Seine au sud-est de Paris et Gravelines dans le Nord, ont voté pour faire grève jeudi.
Les syndicats de la SNCF ont appelé à faire grèves hier et aujourd’hui, et la CGT a émis un préavis de grève reconductible à partir du 31 mai. Une grève illimitée est prévue dans le métro parisien (RATP), à partir du 2 juin, contre la loi Travail et les conditions de travail médiocres ainsi que pour de meilleurs salaires.
Les travailleurs aéroportuaires, dont les aiguilleurs du ciel, le personnel administratif et les ingénieurs et techniciens sont en grève aujourd’hui, ce qui provoque l’annulation de vols dans plusieurs aéroports. Une grève nationale est prévue entre le 2 et 5 juin impliquant les aiguilleurs du ciel et les travailleurs de l’aviation civile pour protester contre la loi Travail et la baisse des effectifs.
Les dockers et travailleurs des ports entrent également en lutte, avec les dockers à Marseille et Le Havre, où transite 40 pour cent des importations françaises, ayant voté pour faire grève jusqu’à vendredi pour protester contre la répression policière mardi à l’installation pétrolière de Fos-sur-Mer.
Depuis lundi, les dockers de Marseille ont refusé de décharger des marchandises, y compris les produits pétroliers bruts et raffinés, en direction des raffineries. Quelque 29 navires transportant du pétrole brut étaient encore bloqués hier, la CGT appelant à la grève dans les installations portuaires publiques de Marseille ainsi que chez Fluxel, l’opérateur privé qui gère deux terminaux pétroliers.

mardi 24 mai 2016

Raffineries : à Saint-Nazaire, les grévistes prêts à « aller jusqu’au bout » contre la loi travail (basta)

Raffineries : à Saint-Nazaire, les grévistes prêts à « aller jusqu’au bout » contre la loi travail

Les huit raffineries françaises sont désormais en grève. Plusieurs dépôts de carburants sont bloqués. A Donges, près de Saint-Nazaire, où se ravitaillent une bonne partie des stations du grand ouest, le blocage dure depuis une semaine. Posé à la croisée de deux routes qui desservent la raffinerie, le terminal charbonnier, le port et d’autres terminaux industriels, le piquet de grève rassemble des dockers, des salariés de Total ou de la chimie, des sous-traitants, des intérimaires... Présents jours et nuits, ils affichent une détermination sans faille contre une loi qui, selon eux, va tirer tout le monde vers le bas, menaçant l’avenir de leurs enfants. Reportage sur place, alors que les forces de l’ordre menacent d’évacuer les grévistes et leurs soutiens.
Le feu de la nuit crépite encore ce lundi matin devant le dépôt d’essence de Donges, au pied de la barricade sud, située non loin des berges de la Loire, à proximité de Saint-Nazaire. Juste derrière, des gravats et des parpaings bloquent la route. Plus loin, un piquet de grève veille sur l’entrée du dépôt SFDM (Société française Donges Metz, qui appartient au groupe Bolloré), où sont stockés des dizaines de millions de litres de carburant [1]. Alimenté par un pipeline qui arrive de la raffinerie toute proche, le dépôt SFDM se fait également livrer du carburant par bateau. C’est aussi là que sont mélangés le gazole et des biocarburants. « Tout arrive ici. Et tout en part », résume Patrick, salarié pré-retraité de la SFDM. Le dépôt ne compte qu’une petite vingtaine de salariés, quasiment tous en grève, mais alimente une grande partie de l’Ouest de la France.  « Il suffit d’être un ou deux pour charger les camions, explique Patrick. C’est pour cela qu’on bloque l’entrée. Pour être sûr que le carburant ne sorte pas. »

« Plus d’autre choix que de bloquer l’économie »

Au blocage du dépôt, qui dure depuis une semaine, s’est ajouté depuis le 20 mai l’arrêt de la raffinerie du groupe Total où, selon la CGT, 90 % des 800 salariés sont en grève. On compte aussi des grévistes parmi les 800 sous-traitants qui assurent la maintenance au sein de la raffinerie. « Il faut plusieurs jours pour arrêter une raffinerie sans prendre de risques, explique François, salarié de Total [2]. Nous sommes obligés d’abaisser la température des fours par pallier, pour ne pas endommager le matériel. » Pour le redémarrage, il faudra compter au moins trois jours. « Et trois jours encore pour avoir à nouveau du carburant prêt à l’emploi », précise un autre employé. Voté pour une semaine, l’arrêt total pourrait être reconduit. « De combien va être amputé notre salaire avec ces jours de grève ? Nous n’avons pas compté, mais la fin du mois sera difficile, c’est évident », confie Jules, sous-traitant sur les chantiers navals.


Les dockers, présents en nombre vers 4h du matin alors que courraient des menaces d’intervention policière, reviennent de leur assemblée générale. Ils ont décidé de reprendre partiellement le boulot, quelques heures par jour, après d’être arrêtés en fin de semaine dernière. Pas une cale n’a été déchargée ce week-end. Une dizaine de bateaux chargés de soja, de taules ou de bobines de fer attendent dans la rade. Aucun biocarburant ne sera produit cette semaine à Donges. Une bonne partie des salariés de Saipol-diester (groupe Avril) ont aussi cessé le travail. « Nous n’avons plus d’autre choix que celui de bloquer l’économie. Manifester, cela ne marche pas. Faire grève non plus », regrette Sabine, auxiliaire de puériculture dans une crèche publique, syndiquée à la CGT, et venue en soutien. De nombreux occupants partagent son avis.

« Je suis là pour défendre le droit de ne pas perdre sa vie au travail »

« Cela fait une semaine que nous sommes là, de jour comme de nuit », raconte Sabine. « Il y a toujours de quoi manger, ou boire un petit café. Nous vivons une vraie solidarité. Cela nous rend plus forts, et plus déterminés. Plus ils serrent la vis, plus on est déterminés et furax. » Si la CGT est présente en force, tous les participants au piquet de grève n’ont pas forcément leur carte syndicale. « Nous ne sommes pas obligés d’être syndiqués pour nous mobiliser, dit Romain, 28 ans, intérimaire pour une entreprise sous-traitante des chantiers navals. Je suis là pour défendre le droit de ne pas perdre sa vie au travail. » Plombier de formation, Romain est tuyauteur. Il travaille 35 heures sur quatre jours, et fait une journée d’heures supplémentaires le vendredi, soit des semaines de 41 heures. « Travailler fatigué sur un chantier, c’est vraiment dangereux, constate-il. Si demain, on augmente encore le temps de travail, nous aurons davantage d’accidents » (lire aussi : Pourquoi la réforme du code du travail met en péril la sécurité et la santé des salariés).


Tous les salariés présents sur le blocage de Donges ce lundi matin évoquent une accélération de leurs cadences de travail, qui mine leur possibilité de repartir satisfaits du boulot, autant qu’elle augmente les risques d’accidents. « La direction nous demande de faire attention, pour éviter les accidents, décrit Dominique, salarié dans l’usine d’engrais du groupe norvégien Yara. Normalement, il ne faut pas courir. Mais on entend de plus en plus souvent "aujourd’hui, exceptionnellement, on est pressés, courrez !". Et le jour suivant, pareil. Les choses exceptionnelles deviennent la norme. Avec toujours moins de personnel... Les chutes, les brûlures, les doigts cassés, il y en a de plus en plus. »

La loi travail, « c’est du foutage de gueule »

« Pour souder, nous devrions disposer de masques spéciaux, qui protègent nos voies respiratoires, renchérit Quentin, 21 ans, tuyauteur intérimaire chez un sous-traitant des chantiers navals de Saint-Nazaire. Mais quand, sur un chantier, nous le faisons remarquer, l’encadrement nous répond de voir ça avec notre employeur. Quand nous allons le voir, il nous rétorque que c’est trop cher ! » La sous-traitance en cascade est omniprésente dans le secteur industriel à Donges et à Saint-Nazaire. « C’est catastrophique pour la santé et la sécurité des travailleurs, estime Cédric Turcas, secrétaire général de l’union locale CGT de Saint-Nazaire. C’est aussi un problème pour les actions collectives. Nous souhaitons rompre cette division et nous serrer les coudes. Si la loi passe, nous serons tous dans le même merdier. »


« Nous sommes tous concernés par cette menace, explique doucement un électricien, lui aussi gréviste, qui travaille comme sous-traitant dans la raffinerie Total depuis plus de 15 ans. Il y a plus de monde qu’en 2010 », constate-t-il. Il y a six ans, sous Sarkozy, plusieurs raffineries avaient été bloquées lors du mouvement social contre la réforme des retraites. « Ce qui est plus difficile comparé à 2010, c’est quand le gouvernement prend la parole pour nous expliquer que tout cela, c’est pour notre bien. C’est du foutage de gueule », tempête un docker. Plusieurs des occupants du dépôt ont voté pour François Hollande en 2012. Ils n’auraient « jamais cru » vivre une telle situation sous un gouvernement de gauche.

« Ils vont tirer tout le monde vers le bas : c’est le modèle grec »

« Avec les accords d’entreprise, si un syndicat, même minoritaire, accepte des conditions de travail au rabais, nous sommes bons pour tous affaiblir nos conditions de travail, proteste Hervé, salarié chez Saipol-diester. Si la direction n’obtient pas d’accord, il y aura un référendum. Nous savons bien ce qu’est un référendum en entreprise : c’est du chantage à l’emploi fait aux salariés, point. » « Tout est fait pour passer outre les syndicats », ajoute l’un de ses collègues. Autre sujet d’inquiétude : la facilitation des licenciements. « On invente le CDI précarisé, lâche Hervé. Le CDD deviendra – chose incroyable – plus sûr ! Du coup, il y en aura moins c’est clair. Mais qui pourra signer un prêt bancaire avec un CDI devenu précaire ? Personne ! »


Réunis par petits groupes, au coin du feu, ou accoudés au zinc de fortune où l’on sert de la bière et du café, les travailleurs s’inquiètent pour leurs enfants. Auront-ils la possibilité de travailler dignement ? Sans craindre à chaque instant de se faire virer ? Pourront-ils envisager des projets ? Ou simplement prendre des vacances ? « Nous sommes aussi là pour eux », dit Hervé, très préoccupé par les effets à plus long terme de la loi. « En cassant le droit du travail, ils vont tirer tout le monde vers le bas : c’est le modèle grec. Il n’y a pas que les salariés qui vont être touchés. Des tas de petits patrons et d’artisans seront impactés : les petits commerçants, ceux qui tiennent des restaurants ouvriers, les boulangers... toute cette activité alimentée par les revenus des salariés comme nous, que va-t-elle devenir quand tout le monde sera précarisé ? »

« Il y a un vaste mouvement social, et c’est le moment de le rejoindre »

« Les gens n’osent pas tous se mettre en grève et manifester. Mais beaucoup ont peur de ce que prépare cette loi, estime Patrick. Contrairement à ce que l’on entend en boucle dans les médias, les gens ne sont pas si énervés que ça par les blocages ! Quand nous avons bloqué les routes la semaine dernière, en distribuant des tracts aux automobilistes, beaucoup nous encourageaient. Plusieurs nous ont dit : s’il n’y a plus d’essence, on n’ira plus au boulot. Point. Rappelons qu’il suffit que le gouvernement retire la loi pour que nous arrêtions immédiatement de bloquer. » Ce 24 mai, ce sera au tour des chantiers navals de se mettre en grève.


« Nous voulons que tout le monde sache qu’il y a un vaste mouvement social et que c’est le moment de le rejoindre », lance Cédric Turcas. « Les salariés doivent comprendre qu’on a besoin d’eux, ajoute Sabine. Je sais que c’est compliqué pour beaucoup de gens de se mettre en grève. Ils ont tellement peur de ne pas pouvoir payer leurs factures. » « Dans les ports, nous sommes déterminés, martèle un docker. Nous irons jusqu’au bout. » Malgré les forces de l’ordre, qui ont débloqué à grand renfort de gaz lacrymogène et de canons à eau le terminal de Fos-sur-Mer, près de Marseille, ce 24 mai à l’aube. « S’ils nous délogent, on ira sur tous les ronds points de la zone bloquer les camions. Nous savons faire ça très bien. » En 2010, le blocage du dépôt de Donges avait duré trois semaines.
Nolwenn Weiler
Photos : © Laurent Guizard / Basta !

Notes

[1Le dépôt était relié à un pipeline qui traverse la France. Mis en place après la guerre, il alimentait les troupes américaines basées en Allemagne.
[2Plusieurs personnes ont demandé à ce que leur prénom soit modifié.

Scoop ! Le chômage va baisser (son expression statistique tout du moins…) (Le grand soir)

Scoop ! Le chômage va baisser (son expression statistique tout du moins…)

Depuis plusieurs semaines, ils sont nombreux à se sentir privilégiés. Non parce qu’ils sont fonctionnaires. Mais parce qu’ils peuvent assister, de l’intérieur, à un abus de biens sociaux à grande échelle. Un scandale auquel ils apportent leur modeste contribution. Sans aucune gloire (pour la plupart d’entre eux, en tout cas).
Tout le monde n’a pas une telle chance ! Vivre un « événement » en direct. En acteur et non en spectateur. Un événement que les chaines de désinformation continue passent sous silence. Elles parleront du résultat (évidemment !) mais certainement pas du processus ayant conduit au résultat en question.
Mais de quoi s’agit-il exactement ?
« Le président de la République a annoncé le 18 janvier dernier les grandes orientations du plan d’urgence pour l’emploi et plus particulièrement un plan massif de 500 000 actions de formation supplémentaires. Cela revient à doubler le nombre de formation au bénéfice des personnes en recherche d’emploi. » lit-on sur le site du Ministère du Travail.
L’objectif « officiel » de ce plan est simple : faire baisser le chômage.
Personne ne sait si cet objectif sera atteint. Pour le coup, il faudrait être devin…
Mais, une chose est d’ores et déjà acquise, sans nécessité de recourir à une boule de cristal, les chiffres du chômage vont diminuer.
Et comme les chiens de garde confondent allègrement les chiffres du chômage et le chômage, le Gouvernement ne manquera pas de se vanter des résultats obtenus sur le « front » de l’emploi.
N’est-ce pas là l’essentiel pour des politiciens obnubilés par les prochaines échéances électorales ?
Vu les volumes en jeu – on parle de 500 000 formations supplémentaires qui devraient concrètement être mise en œuvre d’ici la fin de l’année 2016… une bagatelle – le résultat devrait être mécanique.
En effet, un chômeur inscrit à Pôle emploi change de catégorie lorsqu’il entre en formation financée sur fonds publics. Il passe en catégorie D. [1]
Or, les chiffres du chômage, relayés tous les mois par nos inénarrables médias de à la masse, portent sur les chômeurs inscrits en catégorie A. [2]
Toute l’astuce est là.
Chapeau bas, messieurs de l’Elysée et Matignon ! Personne n’y avait pensé avant… La seule différence avec vos prédécesseurs, c’est que vous y mettez le paquet : «  L’État accompagne financièrement la réalisation de ce plan, par un effort exceptionnel à hauteur de 1 Md€. » (Ministère du Travail, op. cit.)
1 milliard d’euros : c’est là que commence l’abus de biens sociaux à grande échelle.
1 milliard d’euros pour un plan qui fera baisser les chiffres du chômage (intérêt « politicien » du tandem élyséeno-matignonesque) sans aucune garantie quant à la réduction du chômage réel (enjeu politique de premier plan). Le détournement de l’argent public à des fins électoralistes est incontestable.
Et que dire du détournement des missions des agents de l’Etat, de Pôle emploi et des Régions ? Eux qui, du global au local, sont sommés de s’activer pour que ces « 500 000 actions de formation supplémentaires » se mettent en place rapidement et, surtout, trouvent preneur.
- Identifier les besoins de formation au plus près des entreprises et des territoires,
- Solliciter les organismes de formation quant à leurs capacités d’accueil supplémentaires,
- Compiler les « données » pour permettre aux décideurs d’effectuer des arbitrages,
- Lancer les consultations (marchés publics) supplémentaires ; étudier les offres ; organiser les CAO (Commissions d’appel d’offres) ; préparer les décisions ; notifier les attributions de marchés,
- Mener des actions d’information diverses et variées auprès des institutions et surtout des demandeurs d’emploi (campagnes de mailing, entretiens individuels, réunions collectives, forums « formation », etc.)
J’en passe… Un travail de l’ombre effectué par les milliers de salariés des services publics de l’emploi et de la formation professionnelle. Salariés dont, en principe, la raison d’être n’est pas d’agir sur les chiffres du chômage mais sur le chômage lui-même.
Sans compter l’exigence de répondre en « urgence » aux impératifs gouvernementaux. Dans certains cas, 48h ou 72h étaient accordées aux agents de base pour identifier les formations nouvelles qui « [répondront] aux besoins en compétences des entreprises et des branches professionnelles, territoire par territoire. » (Ministère du Travail, op. cit.). Autant dire : mission impossible.
Aussi, en plus du milliard d’euros dépensé à la va-vite, combien d’heures de travail d’agents publics (dont les salaires sont financés par les contribuables) auront été utilisées, mieux dénaturées, pour rendre possible cette mascarade ?
En définitive, à combien se chiffrera le coût de cette opération bassement politicienne ?
La Cour des comptes, et ses petites sœurs les Chambres régionales des comptes, nous renseigneront-elles sur cette gabegie ? Pourra-t-on compter sur une Commission d’enquête parlementaire ?
Las, indignation de masse il n’y aura certainement pas. Lutter contre le chômage, c’est un peu comme lutter contre le SIDA : qui pourrait décemment être contre ? Tout heureux d’être associé à une cause si noble, le lampiste jettera-t-il la lumière sur ce qui est hors-cadre ?
Et pour les petites mains (qui ne se résignent pas à devenir des petites frappes) aller au clash avec la hiérarchie n’ira pas de soi. Alors, on se rassurera en se répétant que ces formations supplémentaires seront, malgré tout, une opportunité pour toutes celles et tous ceux qui en bénéficieront… Ce qui n’est pas totalement faux. Alléluia !
Heureusement, en attendant une improbable insurrection des professionnels de l’emploi et de la formation qui contribuent depuis plus de 30 ans à la mise en œuvre de politiques inefficaces [3], il est encore possible de participer à la convergence des luttes.
Car, comme l’écrit à deux reprises dans son journal intime Winston Smith, le personnage principal de 1984, « s’il y a un espoir, il réside chez les prolétaires » [4]. Et il se trouve que nombre d’entre eux sont en grève et dans la rue. Ici et maintenant.
Lambert OLIVA-TORRES
Notes

[1] Pour une présentation claire et simple des cinq catégories de demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi, on se reportera au site internet www.service-public.fr


[2] Parfois, les médias de masse comparent les évolutions des catégories A, B et C. Ce fut le cas, par exemple, à l’occasion de la publication des chiffres du chômage du mois de mars 2016. En revanche, la catégorie D est étrangement passée sous silence. Ce propos est illustré par les deux références suivantes :

[3] cf. Philippe Askenazy, Les Décennies aveugles, Seuil, 2011. Analyse de 40 années de politiques de l’emploi (1970-2010) inefficaces contre le chômage.
[4] cf. George Orwell, Nineteen Mighty-Four, Secker and Warburg, 1949. Cette phrase rythme 1984 (quatre occurrences) et donne quelques lueurs d’espoir à l’œuvre sombre d’Orwell.

URL de cet article 30397 

Emmanuel Macron : «  Il faut aller plus loin que la loi El Khomri » (news360)


Emmanuel Macron : «  Il faut aller plus loin que la loi El Khomri »

Dans un entretien aux Échos, le ministre de l’Économie dresse un état des lieux de la santé de l’industrie française, un an après le lancement de la deuxième phase de la Nouvelle France industrielle. Il invite les dirigeants d’entreprise à privilégier l’investissement productif et la formation plutôt que les salaires et les dividendes. Emmanuel Macron demande également aux conseils d’administration de plus respecter les actionnaires, tout en rappelant que la loi ne peut pas plafonner la rémunération des dirigeants. Le ministre de l’Économie veut également « élargir la loi travail ».
Un an après le lancement du plan Industrie du futur, quel est votre diagnostic de l’état de l’industrie française ?
Regardons d’où nous venons. L’industrie française s’est développée via un capitalisme d’État et un capitalisme familial. Elle s’est appuyée sur des entreprises fortes sur leur marché domestique, qui sont ensuite allées sur les marchés internationaux. À partir des années 1990-2000, l’industrie française a raté, dans l’ensemble, le tournant de la montée en gamme et de la robotisation. Certains secteurs ont réussi en se différenciant par la qualité comme le luxe ou l’aéronautique. Cela n’a pas été le cas de l’électronique ou de la machine-outil. L’automobile, qui s’est plutôt positionnée sur le moyen de gamme, a vécu des moments très durs. Ces erreurs ont eu un coût. Nous avons perdu plus d’un million d’emplois depuis 2000. Et nous avons débuté cette décennie dans une situation historiquement fragile.
Et aujourd’hui, est-ce que « ça va mieux » dans l’industrie ?
Le retournement est en cours. On a parlé secteur, examinons la situation, fonction par fonction. Sur la R&D, nous sommes compétitifs parce qu’on a une recherche académique efficace, un bon niveau de formation et un dispositif attractif avec le crédit impôts recherche. Mais l’interaction entre l’écosystème académique et entrepreneurial doit encore s’améliorer, même si, ces quinze dernières années, elle a beaucoup progressé. À l’inverse, sur les centres de décision, nous avons un véritable sujet d’attractivité : nous ne sommes pas compétitifs au plan fiscal et des pays sont plus avantageux sur le plan réglementaire ou de la gouvernance. Dans ce contexte difficile, il nous faut absolument des règles plus stables et prévisibles, une situation fiscale plus attractive et une gouvernance irréprochable.
Vous demandez aux industriels français de tenir les salaires ?
Je leur dis : « Ayez une préférence pour l’investissement et l’emploi-formation plutôt que pour les dividendes et les salaires ! » Pour relancer l’industrie française, il faut du temps et il faut privilégier l’investissement productif . Pour les salaires, il faut privilégier des négociations salariales au plus proche de la situation de l’entreprise.
Cela veut dire aller plus loin que la loi El Khomri, qui se limite essentiellement au temps de travail ?
Oui. Il faudra élargir le champ de la négociation collective au niveau de l’entreprise à d’autres domaines. Plus on ira vers l’entreprise, plus ce sera efficace. On ne peut pas prétendre aimer l’industrie et refuser les conditions de son succès. L’opinion est intelligente et elle évolue. La majorité des Français veut travailler, veut des progrès, est lucide.

Coupes budgétaires | Une France irresponsable qui abandonne la recherche aux Etats-Unis ! (news360)

Coupes budgétaires | Une France irresponsable qui abandonne la recherche aux Etats-Unis !


NDLR : Quand on sait l’argent qui est généré sur le long terme par la R&D en France (malgré le faible budget y étant accordé), et le nombre d’emplois et donc de cotisations que cela représente, cette mesure peut tout à fait être considérée comme un acte de sabotage délibéré de l’économie française..
Nous acceptons de suivre une idéologie budgétaire irresponsable et terriblement coûteuse. L’Histoire prendra note de ceux qui auront amené au déclin d’une France qui se portait  alors tellement mieux que ses voisins…


Un projet de décret a été présenté en commission des finances de l’Assemblée nationale, mercredi 18 mai, annulant 256 millions d’euros de crédits sur la mission « recherche et enseignement supérieur ». La commission doit se prononcer sur ce texte mardi. Dans une tribune, publiée par « Le Monde », sept Prix Nobel et une médaille Fields (une récompense équivalente pour les mathématiques), dénoncent « un coup de massue » et décrivent des mesures qui « s’apparentent à un suicide scientifique et industriel ».
Hasards de l’actualité : nous avons appris le même jour que les dépenses de recherche et développement (R&D) de l’Etat fédéral allemand ont augmenté de 75 % en dix ans, et que le gouvernement français annulait 256 millions d’euros des crédits 2016 de la Mission recherche enseignement supérieur (Mires), représentant un quart des économies nécessaires pour financer les dépenses nouvelles annoncées depuis janvier.
Au sein de ces mesures, on note que les principaux organismes de recherche sont particulièrement touchés, le CEA, le CNRS, l’INRA et Inria, pour une annulation globale de 134 millions d’euros.
Nous savons combien les budgets de ces organismes sont tendus depuis de longues années. Ce coup de massue vient confirmer les craintes régulièrement exprimées : la recherche scientifique française, dont le gouvernement ne cesse par ailleurs de louer la grande qualité et son apport à la R&D, est menacée de décrochage vis-à-vis de ses principaux concurrents dans l’espace mondialisé et hautement compétitif de la recherche scientifique. Exemple parmi d’autres, le gouvernement américain vient de décider de doubler son effort dans le domaine des recherches sur l’énergie. (NDLR : Le budget américain étant pourtant terriblement plus déséquilibré que le notre …)
Ce que l’on détruit brutalement, d’un simple trait de plume budgétaire, ne se reconstruit pas en un jour. Les organismes nationaux de recherche vont devoir arrêter des opérations en cours et notamment limiter les embauches de chercheurs et de personnels techniques.
Ce coup d’arrêt laissera des traces, et pour de longues années.

lundi 23 mai 2016

Les cinq méthodes de l’industrie pharmaceutique pour nous bourrer de médicaments inutiles, par Sarah Lefèvre (les crises)

Très bonne enquête du site Reporterre, que je vous recommande
Source : Reporterre, Sarah Lefèvre, 10-02-2016
arton8970-d92b6
L’industrie pharmaceutique va bien, très bien même. Grâce aux Français, leurs plus fidèles clients au monde, mais d’abord grâce à un intense et efficace travail de l’ombre auprès des autorités politiques et sanitaires et des médecins. Si la santé des laboratoires est renforcée par ces pratiques, ce n’est pas le cas de celle des patients.
Au concours des consommateurs du comprimé, les Français figurent toujours sur la première marche du podium. En moyenne : quatre comprimés avalés par jour pour l’ensemble de la population et une facture de 34 milliards d’euros en 2014. Soit 2,7 % de plus que l’année précédente, dont 20 milliards pris en charge par la Caisse nationale d’assurance maladie. Parallèlement, l’industrie pharmaceutique s’affirme comme la plus rentable au monde et elle ne cesse de progresser : 639 milliards d’euros de chiffres d’affaires global pour le secteur en 2013, en croissance de 4,5 % par rapport à 2012. Il y a 10 ans, un rapport de la Chambre des Communes anglaises sur l’industrie pharmaceutique concluait : « Elle est maintenant hors de tout contrôle. Ses tentacules s’infiltrent à tous les niveaux » (texte en bas de cet article). Le constat est-il toujours d’actualité ? Comment s’y prend-elle, dans quelles strates se fond-elle pour maintenir notre dépendance et commercialiser toujours plus de nouvelles molécules ?
addiction-71574_1280
Tout commence par le cabinet du médecin traitant : le principe concurrentiel de la médecine libérale et payée à l’acte implique la notion de satisfaction. Claude Malhuret, sénateur UMP, a proposé plusieurs amendements en faveur de l’indépendance du corps médical face au lobby pharmaceutique lors du vote de la loi santé. « Les médecins sont prêts à tout pour garder leurs patients. Alors ils répondent à leurs demandes. Les somnifères, les benzodiazépines[anxiolytiques]… C’est un scandale, ça tue les vieux ! C’est normal, quand on est vieux, de ne dormir que cinq heures par nuit. Tous ceux qui en prennent à long terme – pas plus de six semaines normalement – sont finalement dépendants et subissent un déficit cognitif d’autant plus fort qu’ils sont âgés. » Dans ce système régi par la rentabilité et la réponse aux besoins immédiats du patient, pas le temps de s’intéresser en profondeur aux origines des troubles du sommeil ou d’une dépression, comme l’explique Jean-Sébastien Borde, président du Formindep, collectif de médecins qui œuvre pour une formation indépendante. « Nous sommes parmi les champions du monde de la consommation des anxiolytiques. Or l’accompagnement de ces pathologies prend du temps si l’on veut comprendre ce qu’il se passe, tandis que la prise d’un médicament va soulager automatiquement. C’est la conjonction d’un manque de praticiens et d’un nombre de consultations très élevé pour chacun qui conduit à ces prescriptions très importantes. »

 1. Manipuler le baromètre thérapeutique

Cette surconsommation de médicaments est encouragée par les labos. Première technique : modifier le seuil à partir duquel le médecin doit prescrire. Prenons l’exemple de l’hypertension, à l’origine de troubles cardiovasculaires, qui représente la moitié du marché médicamenteux de la cardiologie, selon Philippe Even, ex-président de l’institut Necker [1] et fervent militant anticorruption. « L’industrie, puis les agences de santé et les médecins ont redéfini l’hypertension à 14, contre 16 auparavant. Alors que la tension moyenne de la population se situe aux alentours de 13. Ça a l’air de rien comme ça, je n’arrive pas à réveiller les gens à ce sujet, mais qu’est-ce que cela signifie ? » Le professeur émet un bref silence avant de hausser le ton. « Cela veut dire quadrupler le marché des antihypertenseurs, parce qu’il y a quatre fois plus de gens qui ont une tension entre 14 et 16 ! »

2. À nouvelles maladies, nouveaux marchés

Autre tendance, la transformation de facteurs de risque en maladies. Exemple phare : le cholestérol, « notre ennemi à tous ». Parmi les traitements « blockbusters », le Crestor, du laboratoire Astrazeneca. Il est la troisième référence pharmaceutique la plus commercialisée au monde. Cette pilule anticholestérol fait partie de la famille des statines, prescrites à outrance et souvent à vie. « Cinq millions de gens sont traités avec des statines en France, explique Claude Malhuret. Contre un million seulement qui en auraient besoin. » Seules les personnes qui ont déjà eu un accident cardiovasculaire devraient en consommer, selon lui. Quid des quatre millions de personnes qui en prennent inutilement ? Les effets secondaires recensés sont lourds : insuffisance rénale, troubles musculaires, cognitifs, hépatiques, impuissance, myopathie, cataractes. Le sénateur enchérit : « Le jour où toutes ces personnes âgées qui consomment des statines et autres somnifères vont mourir d’un accident médicamenteux, personne ne va s’en occuper ou bien même s’en soucier. Elles seront mortes de vieillesse, comme tout le monde ! » 20.000 accidents dus à de mauvaises prescriptions sont recensés chaque année en France. Un chiffre sous-estimé selon Michèle Rivasi, députée européenne EELV« du fait des carences de notre système de pharmacovigilance ».

3. Chers visiteurs médicaux

doctor-563428_1280
Une vigilance qui doit s’opposer à l’omniprésence du marketing. Les médecins sont quotidiennement sollicités par les visiteurs médicaux qui assurent la promotion des nouvelles molécules. « Les lobbies sont omniprésents dans les couloirs des hôpitaux, affirme Jean-Sébastien Borde, du Formindep. Or, le médicament prescrit par le spécialiste aura tendance ensuite à être prescrit par le généraliste à la sortie de l’hôpital. » Et cette promotion fonctionne à merveille, selon une étude de 2013 publiée dans Prescrire, la seule revue médicale indépendante en France. Les médecins qui reçoivent le plus de consultants ont les ordonnances les plus généreuses. Ces mêmes praticiens reçoivent plus de patients, pour des temps de consultation plus courts et lisent davantage de presse gratuite financée par les firmes elles-mêmes. Les visiteurs tentent d’instaurer « une relation amicale » avec les médecins et offrent petits-déjeuners ou déjeuners, proposent d’organiser le pot de départ des internes… 244.572.645 € : voici le montant total des cadeaux des firmes pharmaceutiques aux médecins entre janvier 2012 et juin 2014, recensés par le collectif Regards citoyens.

4. Séduire les leaders d’opinion

Les Key Opinion Leaders, alias KOL, ou leaders d’opinion, clés de voûte de la promotion des médicaments, interviennent en première ligne, avant et après l’autorisation de mise sur le marché (AMM) des médicaments. Ils sont rémunérés pour réaliser les essais cliniques, les valider puis prêcher la bonne parole durant les congrès de spécialistes, dont les déplacements, frais de bouche et hôtels sont pris en charge par les labos, pour eux comme pour leurs confrères présents sur place. En tant que chef du service de gériatrie à l’hôpital Pompidou, à Paris, Olivier Saint-Jean a le profil parfait. « Je suis un KOL négatif », affirme-t-il pourtant. Le professeur refuse de prescrire les seuls traitements « inutiles voire dangereux » qui existent aujourd’hui contre la maladie d’Alzheimer. « C’est complexe pour nous de dire : “Je n’ai rien à vous prescrire.” Mais à partir du moment où je me suis rendu compte que le traitement était dangereux pour les patients, j’ai basculé et j’ai dit à mes étudiants à l’université que cela ne marche pas. » En 2006, l’Inserm lui demande d’étudier de plus près les analyses de ces médicaments. Résultat : il démontre leur inutilité, et révèle qu’ils peuvent s’avérer toxiques pour des patients justement atteints de troubles de la mémoire. « Je me suis fait insulter par mes confrères, raconte-t-il. Certains, en lien avec les labos, disaient qu’il était criminel de dire que ces médicaments étaient inefficaces. » KOL négatif, donc non rentable, brebis égarée d’un star système qu’il décrit par ailleurs pour y avoir participé quand la recherche était encore teintée d’espoir.
maxresdefault-2
« Il y a trente ans, ces personnes âgées restaient dans les hospices et les fonds de salle des hôpitaux psychiatriques. Puis, les labos ont proposé des médicaments en parallèle de professionnels qui se bougeaient pour avoir une vraie reconnaissance de ces malades. J’ai eu des liens d’intérêts avec les labos à ce moment-là. On avait vraiment envie de faire mieux. Cela m’arrivait d’aller faire des formations à des médecins traitants et puis, c’est vrai que je repartais avec un chèque. Parfois réinjecté dans le service, parfois dans ma poche. » À l’heure où le montant des crédits alloués à la recherche ne cesse de baisser, de plus en plus de chefs de service, les « patrons », comme on les appelle, acceptent la manne des études diligentées par les labos.
Mais alors quelle différence y a t-il entre lien et conflit d’intérêts ? Claude Malhuret s’est battu au Sénat en 2015 lors du vote de la loi santé de Marisol Touraine pour imposer des amendements en faveur de plus de transparence entre les firmes et le corps médical. « Un laboratoire vous demande par exemple d’effectuer des recherches pour approfondir la compétence sur une pathologie. Vous réalisez cette étude, vous amenez donc des résultats et êtes rémunéré pour les services que vous avez rendus au laboratoire mais vous n’êtes pas en situation de conflit. Au contraire, il y a conflit d’intérêts lorsque, en échange d’une rémunération, vous apposez votre signature en bas d’une étude que vous n’avez pas pris le temps de suivre, de réaliser vous-même. » Ceux-ci sont une minorité insiste Philippe Even dans son dernier ouvrage Corruptions et crédulité en médecine : il identifie par exemple « les six cardiologues parisiens les plus liés à l’industrie ». Ce sont eux qui agissent ensuite auprès des autorités publiques, puis qui deviennent membres et présidents des agences de santé et livrent leurs recommandations au ministère pour les autorisations de mise sur le marché (AMM).

5. Contrôler les études et les consciences

Une fois l’AMM obtenue, une grosse machine en trois étapes se met en branle. La première est celle de la diffusion orale : « Il faut que des universitaires aillent de congrès en séminaires répandre la vérité sur la dernière merveille du monde qui vient d’arriver », raconte Philippe Even. Aux États-Unis, des médecins que l’on appelle les « Tour Doctors » passent des contrats d’orateurs avec les firmes.
C’est à ce moment-là que la presse s’en empare, c’est la deuxième phase. Les firmes s’arrangent alors pour faire signer les articles par les spécialistes des pays au plus fort potentiel de marché : États-Unis, Europe, Japon, Chine, Brésil. « Le plus souvent, ils lisent l’article écrit par des sous-traitants de l’industrie et le signent », poursuit l’auteur de Corruption et crédulité en médecine. Nos consultants ou leaders d’opinion ont ensuite la charge de répercuter la promotion dans leurs pays respectifs, dans les journaux locaux, sur les plateaux télé. « Et alors de nombreux journaux, même réputés, tombent dans le panneau : “Un expert mondialement reconnu”, lit-on dans Le Monde ou dans Le Figaro, par exemple… Reconnu à l’intérieur du périph, oui ! » rit Philippe Even, avant de poursuivre. « Or, ces journaux, comme les journaux spécialisés ne vivent plus que grâce à la pub et donc à l’industrie. » D’ailleurs, quel secteur se porte encore mieux que l’industrie pharmaceutique ? Justement celui de ces journaux médicaux. « Alors que les firmes pharmaceutiques réalisent en moyenne 20 % de bénéfices par an, les organes de publication en réalisent 30 % ! » affirme le président de l’institut Necker.
test-214186_1280
Dernière phase : le médicament doit être recommandé par les prescripteurs et les sociétés dites savantes, comme les fédérations de santé, qui sont des centaines en France. La fédération de cardiologie par exemple, celle de l’hypertension, la société d’athérosclérose, etc., financées par les laboratoires : « Elles émettent des recommandations officieuses. Pour les rendre officielles, la Haute Autorité de santé reprend les articles d’experts qui les ont rédigés pour les firmes. À travers ces trois étapes, les congrès, les journaux, les sociétés et agences de santé, on peut dire que les sociétés tiennent directement la plume des prescripteurs. »
Sur les 2.000 médicaments commercialisés (10.000 au total avec les copies), seuls « 200 sont utiles », selon Philippe Even. Michel Thomas, professeur en médecine interne [2] à Bobigny, va plus loin. Il a publié une étude en 2013 recensant 100 médicaments vraiment indispensables. « On considérait qu’il y avait beaucoup trop de consommation de médicaments en France et qu’il fallait se pencher sur l’essentiel. » Après validation auprès d’une centaine de médecins internistes français, la liste se réduit aujourd’hui à 85 références, hors traitements de maladies rares et anticancéreux, pour une prise en charge de « 95 % des pathologies de départ ». Michel Thomas attend avec impatience de voir si, comme prévu dans la loi de santé, une liste des médicaments « préférentiels » inspirés de la sienne verra le jour. « Le Leem, le syndicat des firmes pharmaceutiques en France, a fait une offensive lors de la discussion de cette loi pour tenter de l’interdire, mais cette proposition a retenu l’aval de l’Assemblée et du Sénat », se félicite-t-il. Reste à savoir quand et comment sera promulguée cette loi de santé, car, comme il le dit, « les décrets d’application peuvent tout changer ».

« L’INDUSTRIE PHARMACEUTIQUE EST MAINTENANT HORS DE TOUTCONTRÔLE »

Voici un extrait d’un rapport de 2006 de la Chambre des Communes anglaise sur l’industrie pharmaceutique, dont les conclusions ont été reprises par l’ONU en 2008. Selon les médecins contactés, ce rapport est toujours valable.
house_of_commons
« L’industrie pharmaceutique trahit ses responsabilités à l’égard du public et des institutions. Les grandes firmes se sont de plus en plus focalisées sur le marketing, plus que sur la recherche, et elles exercent une influence omniprésente et persistante, non seulement sur la médecine et la recherche, mais sur les patients, les médias, les administrations, les agences de régulation et les politiques. (…) Elle s’est imbriquée dans tout le système, à tous les niveaux. C’est elle qui définit les programmes et la pratique médicale. Elle définit aussi les objectifs de recherche de médicaments sur d’autres priorités que celles de la santé publique, uniquement en fonction des marchés qu’elle peut s’ouvrir. Elle détermine non seulement ce qui est à rechercher, mais comment le rechercher et surtout comment les résultats en seront interprétés et publiés. Elle est maintenant hors de tout contrôle. Ses tentacules s’infiltrent à tous les niveaux. Il faut lui imposer de grands changements. »
Source : Reporterre, Sarah Lefèvre, 10-02-2016



Marie-France Garaud : « l’élection présidentielle n’a strictement aucune importance » (news360)

Salaire amputé, logement indécent et droits bafoués : bienvenue dans la vie d’un travailleur détaché (basta)

Salaire amputé, logement indécent et droits bafoués : bienvenue dans la vie d’un travailleur détaché

par
Vingt ans après la directive européenne sur le détachement des travailleurs, la pratique est devenue courante au sein de l’Union européenne, en particulier dans le secteur du bâtiment. Les travailleurs polonais y représentent l’un des plus gros contingents de salariés détachés. Ces travailleurs migrants, condamnés à passer une grande partie de leur temps à distance de leur foyer, sont-ils les principaux bénéficiaires du système ? Rien n’est moins sûr, tant la face cachée du marché du travail européen révèle le chemin de croix vécu par ces travailleurs hyper-flexibles. Témoignage de Piotr, grutier polonais, réalisé en partenariat avec le magazine Hesamag, consacré à la santé et à la sécurité au travail.
Depuis 1996, les entreprises de l’Union européenne (UE) peuvent faire appel aux salariés d’un autre État-membre sous le statut de « travailleur détaché », aux conditions sociales du pays d’origine. Une aubaine pour les employeurs, qui peuvent faire venir des Polonais, des Bulgares ou des Roumains, pour des salaires bien moindres que ce qu’ils devraient payer à des Français, des Belges ou des Allemands. Un piège pour les travailleurs, mis en concurrence les uns avec les autres à l’échelle du continent tout entier. L’UE promet de réformer ce statut depuis des années pour lutter contre le dumping social généralisé qu’il permet. Pour l’instant, en vain. Une nouvelle initiative de la Commission européenne veut imposer l’égalité de salaires entre travailleurs locaux et détachés. Pour quels résultats quand sur le terrain, les travailleurs détachés sont des ouvriers nomades envoyés dans un pays dont ils ne connaissent pas la langue, sans représentation syndicale, et qui doivent souvent réclamer pour être payés ?
Au sein de l’UE, la Pologne fait partie des États qui exportent le plus de travailleurs détachés. En 2013, le pays a envoyé plus de 260 000 ouvriers dans les autres États-membres de l’Union [1]. Les salariés polonais sont notamment très nombreux dans le secteur de la construction, particulièrement friand d’un statut qui autorise de substantielles économies salariales. Ils seraient 200 000 à œuvrer sur les chantiers allemands, suédois, belges, français… dont les trois quarts sous le statut de travailleur détaché [2]

De Bagdad à Francfort, itinéraire d’un travailleur détaché

Piotr, un grutier de 60 ans, fait partie de ces travailleurs nomades. Il vit dans une ville moyenne du nord-est de la Pologne. Mais une partie de l’année seulement, car il ne travaille qu’à l’étranger. « En Pologne, dans mon domaine, les salaires ne suffisent pas pour survivre », explique l’ouvrier. C’est à Bagdad, en 1982, que Piotr s’exile pour la première fois. Avec la fin du régime communiste en Pologne, l’ouverture au marché commun et la création du statut de travailleur détaché, il officie ensuite en Europe de l’Ouest.
Jusqu’à une période récente, Piotr manœuvrait surtout sa grue sur des chantiers allemands. Par exemple à Francfort, sur la construction du siège de la Banque centrale européenne (BCE), ou du gratte-ciel emblématique de la Main-Tower. En Allemagne, le nombre de travailleurs détachés dans la construction n’a cessé d’augmenter ces dernières années. La caisse d’assurance sociale allemande du BTP en a enregistré 57 000 en 2010, 89 000 en 2013, plus de 98 000 en 2014. Parmi eux, 26 000 Polonais, plus de 10 000 Roumains, et 9 500 Hongrois [3].

Toucher son salaire, une vraie galère

Plus récemment, Piotr a travaillé en Suède et en Belgique. Il revient d’un chantier de quatre mois près d’Anvers, pour la construction d’une maison de retraite. « Une fois de plus, je me suis fait arnaquer, déplore le grutier. Chaque mois, ils sous-estimaient le nombre d’heures travaillées. Sur le paiement des salaires, il faut toujours se battre. Et en fin de compte, on reçoit toujours moins que prévu. » Mais les abus ne s’arrêtent pas aux montants des salaires. « Sur un contrat en Belgique, nous étions même payés en zlotys polonais ! Pour acheter ce dont nous avions besoin sur place, nous devions changer nos zlotys en euros. »
Question logement, ça n’est pas mieux. « Il y avait des souris, des champignons sur les murs. » Qu’à cela ne tienne, son employeur, qui est toujours une entreprise polonaise, a réclamé 250 euros de loyer à Piotr et à ses collègues, qui devaient aussi payer leur transport vers le chantier. « Souvent, nous sommes deux ou trois par chambre, parfois plus, décrit-il. Une fois, en Belgique, nous étions logés dans un foyer qui n’était pas terminé. Nous respirions les produits chimiques du chantier. » En Allemagne, Piotr raconte avoir connu des conditions d’hébergement encore plus indignes. Des contrôles sur les logements des travailleurs détachés ? Il n’en a jamais vu.

Du salariat détaché à l’auto-entrepreneuriat forcé

Dans le secteur allemand de la construction, 90 % des salariés détachés sont embauchés pour des missions de moins de six mois. Piotr ne fait pas exception à la règle. « Pour les conducteurs de grue, il y a toujours du travail », précise-t-il. Mais la précarité s’accroit. Sur l’un de ses derniers chantiers, Piotr n’avait même plus le statut de salarié détaché, mais celui de travailleur indépendant. Il a dû créer sa propre entreprise, enregistrée en Pologne, dont il est l’unique associé et employé. « On voit ce nouveau modèle se répandre en Allemagne aussi », déplore Ilona Jocher, conseillère à Francfort de l’Association européenne des travailleurs migrants et du programme syndical Faire Mobilität, qui vient en aide aux travailleurs migrants d’Europe de l’Est.
« Les employeurs attirent les gens avec des annonces sur lesquelles ils promettent un emploi. Mais quand les travailleurs arrivent en Allemagne, ils leur disent “Si tu veux travailler pour moi, tu dois créer ta propre entreprise”. Comme ça, ils ne paient aucune cotisation sociale. » Lorsqu’il travaille comme auto-entrepreneur, Piotr doit payer lui-même ses cotisations en Pologne. Pour seize euros de l’heure gagnés sur un chantier, il doit en reverser une bonne partie. Et là encore, il faut se battre pour se faire payer. « Il faut que j’envoie les factures, et que j’insiste, toujours. C’est beaucoup d’énergie. Alors parfois, je laisse tomber. »

Dans les méandres de la sous-traitance

Ce type d’emploi nomade, temporaire, sur des statuts toujours plus précaires, empêche toute forme d’organisation collective de ces travailleurs migrants du bâtiment. Sur chaque nouveau chantier, Piotr se retrouve avec des collègues différents. « Ce ne sont jamais les mêmes. Beaucoup viennent de villages reculés. Ils ne savent pas forcément qu’on les arnaque, ne se défendent pas », regrette le Polonais. « Pour des Roumains ou des Bulgares, par exemple, un montant de 500 euros est déjà énorme, vu le coût de la vie dans leur pays. Alors ils ne réclament pas forcément, même s’ils devraient être payés bien plus », témoigne Ilona Jocher. Piotr, lui, se bat. Il est en procédure judiciaire en Pologne, avec un ancien employeur qui devait le payer neuf euros de l’heure, mais ne lui en a versé que quatre.
Pour ne rien arranger, dans la construction, les entreprises sous-traitent en cascade. « L’entreprise qui gère le chantier sous-traite à une autre, qui sous-traite à une autre, qui sous-traite à une autre, explique Ilona Jocher. Celle qui est au sommet de la chaîne gagne de l’argent. Mais les travailleurs détachés, à l’autre bout, n’en voient pas la couleur. Alors, ils viennent nous voir. Malheureusement, les entreprises sous-traitantes disparaissent parfois de la circulation. Et en cas de procédure, même si les travailleurs obtiennent souvent justice, les entreprises font appel. Avant d’être indemnisé, il faut parfois des mois, voire des années. »

À 60 ans, pas de retraite en vue

Pour un travailleur détaché, le temps passé loin de sa famille peut paraître une éternité. « Parfois, quand il n’y a pas de jours fériés, comme je suis le seul conducteur de grue sur le chantier, je dois travailler trois ou quatre mois de suite sans pouvoir rentrer chez moi », témoigne Piotr. Le grutier n’a pas non plus beaucoup de contact avec la population du pays d’accueil, quel qu’il soit. Après dix ans passés sur les chantiers allemands, il n’a jamais eu l’occasion d’en apprendre la langue. « Je travaille toujours avec des firmes polonaises. Ce que je sais de l’allemand, je l’ai appris tout seul. Ce sont quelques phrases du quotidien, et un peu de vocabulaire du chantier. »
Pourquoi, alors, continuer cette vie de travailleur migrant, exposé à toutes les arnaques et à des conditions de travail si précaires ? Piotr refuse de dire combien il gagne en moyenne par mois. Mais assure que sans le salaire de son épouse, laborantine dans un hôpital en Pologne, le couple ne s’en sortirait pas. Quant à la retraite, il va falloir attendre. En principe, il y a droit. Mais sa pension ne suffirait pas. Sa carrière est entrecoupée de périodes considérées comme non travaillées : des périodes sans emploi entre deux chantiers, d’autres pour lesquelles certains employeurs ne l’ont tout simplement pas payé, ou n’ont pas versé les cotisations pour sa pension. « Alors, je continue », conclut le grutier.
Rachel Knaebel

Cet article a été réalisé en partenariat avec le magazine Hesamag, consacré à la santé et à la sécurité au travail et édité en français et en anglais par l’Institut syndical européen. A commander ici (le premier numéro commandé est gratuit).

Notes

[1Source : Commission européenne, Study on wage setting systems and minimum rates of pay applicable to posted workers in accordance with Directive 96/71/EC in a selected number of Member States and sectors, 2015.
[2Source : Report implementation of directive 96/71/EC, Poland, 2014, European Federation of Building and Woodworkers, European Construction Industry Federation.
[3Source : Rapports annuels 2013 et 2014 de la caisse d’assurance sociale allemande du secteur du bâtiment, Soka-Bau.

samedi 21 mai 2016

Retrait de la loi "travail" : « Montrer que le gouvernement peut céder » (l'Humanité)

Retrait de la loi "travail" : « Montrer que le gouvernement peut céder »

Marc Bussone (à Marseille) et Clotilde Mathieu (à Saint-Nazaire)
Vendredi, 20 Mai, 2016
L'Humanité

À l’issue de la manifestation qui a rassemblé 10000 personnes, jeudi à Saint-Nazaire, les différents représentants syndicaux ont réaffirmé la nécessité d’une convergence des luttes.
Photo : Patrice Morel
Blocages de raffineries, opérations escargot et barrages filtrants : les opposants à la loi travail ne désarment pas. Nos reportages à la raffinerie de Donges, près de Saint-Nazaire, et dans les Bouches-du-Rhône, où les routiers ont bloqué jeudi des sites stratégiques.
Très rapidement, les barrières de la voie ferrée sont baissées afin d’empêcher les camions de se rendre sur le site. Les conteneurs déposés par les dockers empêchent définitivement tout passage. Certains partent en quête de gravats, de pierres, d’autres vont chercher des pneus. La terre s’empile. Quelques minutes plus tard, la tranchée est formée, elle permettra aux grévistes de partir manifester en toute tranquillité, même si une poignée restera pour empêcher « les tauliers de reprendre possession du site, le temps de la manifestation, en forçant le barrage », explique Pascal Pontac.

« Nous sommes là pour les autres »

Autour du café, les trois cents salariés se sont rassemblés, rejoint par une délégation du PCF. « Beaucoup d’entreprises qui n’étaient pas en grève mardi le sont aujourd’hui », confie le syndicaliste des ports et docks. Reste l’inconnue : « Les salariés sont-ils prêts à y aller ? » C’est la question que tous se posent ici. « Pour nous, c’est différent, nous sommes 130 salariés, tous syndiqués à la CGT. Si la loi El Khomri passe, nous aurons le rapport de forces dans la boîte pour faire renoncer l’employeur en cas d’accord d’entreprise défavorable permis par l’inversion de la hiérarchie des normes contenue dans le projet gouvernemental », confie Fabien Crand, secrétaire du comité d’entreprise (CE) de GMOP, groupement des employeurs portuaires. Une logique qui fait que le contenu des accords négociés entreprise par entreprise s’imposera sur les accords de branche et sur les dispositions légales en cas d’absence d’accord, favorisant la mise en concurrence des salariés d’une entreprise à l’autre.
« Nous sommes là pour les autres, pour ceux qui sont dans les petites boîtes et qui se feront laminer. » Une motivation partagée par le secrétaire du CE de la centrale électrique de Cordemais, Mathieu Pineau. « Le dumping social à Saint-Nazaire, on connaît ça par cœur avec les travailleurs détachés. Le seul effectif croissant dans le bassin, ce sont les travailleurs détachés. » Un « avenir » que ses camarades de la raffinerie refusent. « Si cette loi passe, c’est la foire d’empoigne du dumping social. Le but, ce n’est pas de créer des emplois mais de baisser le niveau de vie de tous les Français », renchérit Frédéric. Car la désindustrialisation est une réalité.
Deux semaines plus tôt, les salariés de la centrale de Cordemais étaient quasiment tous en grève. Leur direction a brutalement décidé de fermer l’activité fioul de la centrale, mesure accompagnée par un plan social de 136 postes supprimés et sans perspectives pour l’activité charbon. « La direction a vite compris que nous étions nombreux et déterminés, raconte le syndicaliste. En deux jours, nous avons “gagné” que le plan social soit divisé par deux, sans aucun départ contraint, mais surtout avec un engagement d’investissement pour la modernisation de la partie charbon, afin de pérenniser l’activité de la centrale. Nous restons méfiants, même si nous avons conscience que nous avons remporté la bataille. »
« Montrer que c’est possible, que le gouvernement et les patrons peuvent céder », c’est l’ambition des grévistes, qui souhaitent encore durcir le mouvement. « Nous sommes partis un peu plus tard que nos camarades du Havre et des Bouches-du-Rhône. Il y a encore du gazole (dans les stations-service – NDLR), mais ce ne sera bientôt plus le cas », affirme Christophe Hiou, secrétaire du CE de la raffinerie. « Lorsque le dépôt sera plein, la production devra s’arrêter dans la raffinerie, précise le syndicaliste. Nous avons eu une assemblée générale, où nous étions plus de 200. Mardi, à 92,4 %, nous avons voté la grève de vingt-quatre heures. Quand on est 92 %, on ne se pose pas trop de questions sur notre capacité à reconduire la grève. »

Les blocages relevent de « la responsabilité du gouvernement »

Chez les dockers, la décision a été prise. La grève est reconduite jusqu’à lundi matin. Mais tous ne sont pas aussi déterminés. Boutaleb et Jérôme, syndicalistes chez Fouré Lagadec Atlantique, une PME d’une centaine de salariés, sont moins confiants. « Ça commence à bouger mais c’est timide, ce mouvement est trop long. Chez nous, si on est dix à sortir pour la manifestation, ce sera déjà bien », confient-ils. Une réalité qui n’échappe pas au secrétaire général de la CGT de Saint-Nazaire : « C’est bien de brûler des pneus, mais il va falloir encore convaincre beaucoup de salariés. »
Au même moment, leurs collègues des bords de la Méditerranée sont entrés dans une nouvelle phase de leur mobilisation. Dans les Bouches-du-Rhône, tandis que la grève tournante dans les raffineries de l’étang de Berre monte en puissance et le Grand Port Maritime de Marseille est toujours à l’arrêt, un millier de camions ont bloqué hier des sites stratégiques dans les zones industrielles de Fos-sur-Mer, de Martigues et de Vitrolles. « Manifester dans la rue c’est une chose, mais il faut passer à une autre méthode. On y arrivera si on s’y met tous, plaide Jean-Charles Pascal, salarié à la centrale de Gardanne. On est tous connectés : sans énergie pas d’industrie, sans industrie pas de santé… On doit avoir une démarche commune et converger pour obtenir le retrait de la loi. »

La CGT Total partira en grève reconductible à partir de lundi

Pour beaucoup, l’exemple est à prendre en Normandie, où l’action des routiers et des raffineries a déjà conduit à des pénuries locales de carburant. « Chez nous, les salariés sont demandeurs d’un blocage total, constate Frédéric Lomini, de la CGT dockers. On est motivés mais on attend un signal des autres secteurs. Gagner, c’est possible ! Même si Hollande a dit qu’il ne céderait pas, il vaudrait mieux qu’il cède. Pas pour lui, car il ne pourra jamais être réélu, mais parce que, au-delà de sa personne, en continuant comme ça, il est en train de détruire la gauche. »
Très visibles et ayant un impact immédiat sur le fonctionnement de l’économie, les salariés des raffineries ont mis en place un véritable calendrier des luttes s’étendant jusqu’à la semaine prochaine, en répartissant les jours de grève sur les sites. Mais l’arrêt général est aussi en discussion, un éventuel blocage relevant de « la responsabilité du gouvernement ».
« L’utilisation du 49-3 nous oblige à nous lancer dans la bataille maintenant, tous les sites de chimie et de pétrochimie entrent dans le mouvement, explique Daniel Bretones, délégué CGT chez Ineos à Lavéra, vaste site de raffinage pétrochimique. L’étang de Berre va pousser vers l’arrêt dans les semaines qui viennent, on va commencer avec des baisses d’allure et des blocages, ensuite les salariés décideront, mais, comme 70 % des Français, ils ne veulent pas de cette loi scandaleuse. » « C’est un coup de semonce. On ne se contentera pas d’arrêts de production, on bloquera s’il le faut les dépôts pour pénaliser l’économie dans son ensemble », prévient de son côté Sébastien Varagnal, également délégué CGT d’Ineos. « On travaille dans l’unité avec les autres syndicats de la pétrochimie quand on partage le même objectif : faire tomber la loi, complète Yann Manneval, secrétaire de la CGT des Bouches-du-Rhône. La CGT Total a décidé au niveau national de partir en grève reconductible à partir de lundi. »

Les cheminots renforcent le mouvement

Les dockers et les salariés des raffineries peuvent aussi compter sur le renfort des cheminots : « On est sur deux luttes actuelles, pour l’aménagement de notre temps de travail et contre la loi El Khomri, raconte Natacha Malet, cadre CGT de la SNCF. C’est compliqué de mener ces deux luttes de front mais quand je vois qu’aujourd’hui on a réussi à mobiliser trois fois plus de monde qu’en avril, je pense que le discours passe. Les gens commencent aussi à comprendre que la loi travail peut impacter nos conditions de travail actuelles mais qu’elle va aussi toucher nos enfants. »

Valls menace de débloquer les raffineries par la force. « L’accès aux ports, l’accès aux centres névralgiques économiques, l’accès aux aéroports doit être possible et on ne peut pas tolérer ces barrages, même si c’est une difficulté supplémentaire pour les forces de l’ordre », a menacé le premier ministre, Manuel Valls, hier sur Europe 1. Un avertissement déjà proféré par Nicolas Sarkozy, qui était passé aux actes pendant le conflit sur les retraites en 2010, en ordonnant aux préfets de réquisitionner les raffineries. Mais le tribunal administratif de Melun avait suspendu la procédure de réquisition de Grandpuits, assimilée à « une atteinte grave et manifestement illégale au droit de grève ». L’Organisation internationale du travail (OIT) avait aussi épinglé la France pour le même motif, créant une jurisprudence sur le sujet.