mardi 12 juillet 2016

Un médecin grec raconte : « Celui qui n’a pas d’argent meurt » (Le grand soir)

Un médecin grec raconte : « Celui qui n’a pas d’argent meurt »

La Grèce doit faire des économies, en voilà les conséquences : les malades souffrant d’un cancer n’ont pas de soutien, la poliomyélite est de retour, les malades souffrant du diabète perdent la vue. Le médecin Georgis Vichas nous parle de son travail quotidien.
Harald Schumann : Monsieur Vichas, ne craigniez vous pas de subir un infarctus ?
Giorgios Vichas : Non, pourquoi ?
Parce que vous accomplissez parallèlement deux activités professionnelles à plein temps. D’une part, vous êtes cardiologue à temps plein dans un hôpital et d’autre part, vous dirigez une structure, où vous et vos collègues soignez gratuitement des milliers de patients qui, sans vous, ne recevraient aucune aide médicale. Cela doit être difficile à supporter à long terme.
Je travaille beaucoup et ne dors que cinq heures par jour, c’est vrai. Mais je suis en excellente forme et je tomberais certainement vraiment malade si je ne le faisais pas et restais les mains dans les poches alors que nombre de nos compatriotes luttent dur et souffrent.
Votre famille l’accepte ?
Depuis six mois, mes filles ont arrêté de demander quand la crise se terminerait. Ma femme travaille avec nous, elle voit bien à quel point cet engagement est nécessaire.
Comment avez-vous fait pour créer une clinique avec des bénévoles pour offrir des traitements gratuits ?
Depuis de nombreuses années, je travaille dans un hôpital public. Au printemps 2011, j’ai vu les conséquences, lorsque des centaines de milliers de personnes ont soudainement perdu leur emploi et par la suite leur assurance maladie. A cette époque, j’avais un patient quinquagénaire souffrant du cœur qui faillit mourir parce qu’il n’avait pas obtenu les médicaments nécessaires depuis six mois. Cela m’a touché profondément, je me sentais coupable.
Pourquoi donc ? Vous n’y étiez pour rien.
Je voyais la souffrance des gens sans rien faire, car je ne savais pas comment. Cela a changé au mois d’août 2011. J’ai assisté à un concert de Mikis Theodorakis, notre grand compositeur. Il a fait un discours passionné et dit entre autre, ce que je pensais depuis un bon moment, que les médecins devaient entreprendre quelque chose pour aider dans leur misère et leurs angoisses, les gens ayant perdu leur assurance maladie. Cela m’a beaucoup perturbé. Le concert eut lieu ici, sur le terrain de l’ancien aéroport. Alors, j’ai eu l’idée : il y avait tous ces bâtiments vides et j’ai pensé qu’on pourrait éventuellement établir un établissement médical ambulatoire libre dans un de ces bâtiments. Nous avons eu la chance que le maire de la région était prêt à nous aider. Il nous a prêté ce bâtiment tout en prenant en charge les frais d’électricité et d’eau.
Votre patron vous laisse sans rien dire, exercer un deuxième emploi ?
Le directeur de notre hôpital fut le premier que j’ai convaincu de ce plan. Il voyait la détresse et y participe lui aussi. Les conditions des bailleurs de fonds et de leur Troïka, composée du Fond monétaire international, de la BCE et de la Commission européenne, ont mené à une réduction de 40% des moyens financiers pour le service étatique de santé publique. La moitié des médecins travaillant dans les hôpitaux publics et dans les cliniques ambulatoires a été licenciée. En même temps, un quart de la population ne dispose plus de son assurance maladie suite à la perte de leur emploi. Et même ceux obtenant encore leur salaire ou leur retraite ont souvent si peu d’argent qu’il leur est impossible de payer les suppléments élevés pour les médicaments ou les traitements.
Qu’est-ce que cela veut dire au concret de ne plus avoir d’assurance maladie ?
Imaginez que vous tombiez malade et que vous soyez obligé d’aller à l’hôpital pour une opération ou un traitement suite auquel vous recevez une facture s’élevant à quelques milliers d’euros. Si vous ne réglez pas cette facture, l’office des finances transforme le montant en dettes face à l’Etat et les fonctionnaires ouvrent une procédure contre vous en saisissant votre maison ou votre retraite ou vous met même prison.
Et cela se passe vraiment ?
Heureusement pas souvent. La menace est cependant bien réelle et elle a des conséquences sévères : les gens évitent tout traitement aussi longtemps que possible. Ainsi la maladie s’aggrave souvent massivement, sans nécessité.
En Grèce, il y a des gens qui meurent uniquement parce qu’ils ne sont plus assurés ?
Oui, c’est la réalité. Mais cela, vous ne le trouverez pas dans les statistiques. Mais nous l’avons vécu dans notre clinique. Les trois premières années, nous avons traité 200 patients souffrant d’un cancer. 10% d’entre eux sont venus nous consulter dans un stade avancé de la maladie. La moitié est décédée parce qu’ils n’ont pas obtenu de traitement à temps. Les collègues travaillant dans d’autres cliniques bénévoles nous rapportent les mêmes expériences. Nous devons supposer qu’il y a des milliers de malades décédés suite au manque de traitement.
Y a-t-il des maladies typiques de cette crise ?
Le Sida, la tuberculose et l’hépatite. Les personnes infectées sont souvent les pauvres ne pouvant pas s’offrir de traitement. Ils continuent donc à infecter d’autres personnes et les infections se répandent. Les diabétiques sont aussi durement touchés. Ils ne peuvent souvent plus suivre leur régime ou n’obtiennent pas assez d’insuline ; ils risquent donc la cécité ou des amputations. Beaucoup plus souvent qu’auparavant, nous voyons des mamans, bébés et enfants sous-alimentés. Cela va nuire à un grand nombre d’enfants pour toute leur vie.
Si la réalité est ainsi, les coupes dans les budgets de la santé publique sont totalement insensées même sous l’aspect purement économique.
Oui, c’est absurde. Ces mesures d’économies coûteront en fin de compte davantage à l’économie grecque qu’elles ne rapportent au budget de l’Etat. Uniquement ce qu’on a économisé sur le dos des diabétiques au cours des trois années après 2010 causera des frais supplémentaires de 200 millions d’euros. C’est le résultat d’une étude sérieuse.
Cela n’a pas amené les responsables à réfléchir ?
Ecoutez, jusqu’au mois d’août de l’année dernière, nous avions ici un ministre de la Santé publique qui avait exigé des hôpitaux de ne pas remettre les nouveaux nés à leurs mères aussi longtemps qu’elles n’avaient payé leur facture. Les aspects humains ne l’intéressaient pas !
Vous exagérez.
Cela a vraiment eu lieu. Pendant six mois, on a pratiqué cela dans les hôpitaux publics. Et pire encore, on fait des économies sur les vaccinations. La plupart des enfants arrivant chez nous ne sont pas vaccinés. C’est pourquoi nous nous attendons au retour de la poliomyélite. C’est un risque pour toute l’Europe. Les germes ne s’arrêteront pas aux frontières.
Avez-vous pu parlé aux représentants des bailleurs de fonds de la zone euro ou de la Troïka sur la contre-productivité de ces coupes ?
Uniquement avec des députés des Parlements nationaux et du Parlement européen. Récemment, une délégation du Bundestag allemand est venue nous voir. Ils ont admis qu’eux-mêmes avaient fait de mauvaises expériences avec les mesures d’austérité et qu’on avait dû revenir en arrière. Je leur ai proposé de faire pression sur le gouvernement de Mme Merkel pour qu’il fasse marche arrière dans le domaine des coupes budgétaires dans la santé publique grecque. On m’a répondu que cela relevait de la responsabilité de la Troïka, et non pas du gouvernement allemand.
Mais c’est lui qui, de commun accord avec les autres gouvernements de la zone euro, a chargé la Troïka d’imposer ces mesures à la Grèce.
C’est juste. Néanmoins, les députés ne se sentaient pas concernés.
Ni mêmes ceux des partis gouvernementaux de la CDU et du SPD ?
Non. Pas même ceux-ci. En lieu et place, ils nous ont offert des dons pour notre clinique.
Il y avait de bonnes raisons de réformer à fond l’ancien système. Finalement, il était extrêmement dépensier et corrompu.
Certainement, des réformes étaient absolument nécessaires, mais on n’a pas réformé, on a simplement détruit tout le système de santé. On aurait dû mieux répartir les médecins et les cabinets sur tout le pays. On aurait dû réduire les prix des médicaments et l’influence des entreprises pharmaceutiques. Et bien sûr qu’il fallait combattre la corruption. Mais tout cela, on ne l’a pas fait, la seule chose, ce furent des coupes dans les budgets et des licenciements.
Etait-ce la faute des créanciers allemands et de la zone euro ? La responsabilité ne revient-elle pas plutôt à l’ancien gouvernement grec composé de conservateurs et de sociaux-démocrates ?
D’un point de vue formel, la responsabilité principale revient certainement aux anciens gouvernements grecs. Et les fonctionnaires de la Troïka le répèteront toujours. Cependant, en lisant les mémorandums et les rapports de la Troïka, vous verrez qu’elle a planifié ce programme brutal jusque dans les moindres détails.
Pourquoi des fonctionnaires non impliqués de Bruxelles ou de Washington auraient-ils la volonté d’imposer un tel procédé si cela n’apporte rien ?
C’est une question que je me suis souvent posée. Pourquoi nous forcent-ils de faire une telle restriction dans nos dépenses, alors que cela ne mène qu’à davantage de dettes ? Finalement, il ne me reste qu’une seule explication : il s’agit de mettre en pratique une idéologie affirmant que celui qui possède de l’argent a le droit à la vie, celui qui n’en a pas a le droit à la mort.
Autrefois, les médecins grecs demandaient en supplément à leur salaire étatique de l’argent aux patients. Vous aussi ?
Non, je ne l’ai pas fait. C’est insupportable que cela se passe aujourd’hui encore – et qu’aucun de ces médecins n’ait été traduit en justice, pas un seul. Depuis plusieurs mois, j’essaie, au sein de l’association des médecins, d’inciter les comités concernés de s’y opposer. Malheureusement, en vain.
En même temps, il y en a beaucoup qui s’engagent contre la misère. Combien de médecins travaillent gratuitement ici ?
Nous sommes une centaine de médecins de toutes les disciplines et 200 infirmiers et infirmières et aides-soignants.
Combien de cliniques ambulatoires semblables y a-t-il ?
Dans toute la Grèce, il y en a 50, dont huit à Athènes.
Comment vous arrivez à financer cela ?
Nous n’acceptons par principe jamais d’argent, uniquement des dons en nature. Heureusement, nous en obtenons beaucoup de la part de citoyens de toute l’Europe, notamment d’Allemagne et d’Autriche. Une petite partie nous parvient également de France et d’Italie. Le mois dernier, nous avons pu remettre deux chargements de camion de matériel provenant de nos donateurs à des hôpitaux publics.
Ces dons proviennent de Grecs émigrés ?
Non, pas des Grecs, uniquement des citoyens normaux d’autres pays européens.
Donc les citoyens font preuve de la solidarité que leurs gouvernements refusent ?
En Allemagne ou en France, il y des pans entiers de la société qui ne sont pas d’accord avec la politique de leurs gouvernements. J’en ai rencontré beaucoup qui ont honte de ce que leurs gouvernements ont imposé à la Grèce.
Vous et vos collègues, êtes vous en mesure de couvrir les besoins dans les autres centres médicaux gérés par des bénévoles ?
Non, en aucun cas. Nous pouvons soulager la souffrance, mais cela ne peut remplacer les services de santé publique normaux. C’est vraiment tragique. Les hôpitaux publics manquent de tout, pas seulement de médecins, mais même de pansements et de désinfectants. Les conséquences sont souvent graves. L’année passée, il n’y eut, pendant des mois, dans une maternité au Nord de la Grèce, plus de vrais clamps de cordon ombilical. Cela a mis en danger la vie de nombreux bébés.
Si la situation est si grave, il y a certainement de nombreuses personnes qui vous téléphonent jour après jour pour demander de l’aide. Comment arrivez-vous à supporter cela ?
Parfois, c’est terrible. Je me réveille la nuit en pensant à la mère qui ne peut pas sauver son enfant ou au malade cancéreux ayant besoin d’un traitement coûteux que nous ne pouvons lui offrir. Il y a des jours où je me sens très frustré et déprimé.
Le nouveau gouvernement de gauche a promis de combattre cette situation d’urgence humanitaire. La situation ne s’est-elle pas améliorée depuis son entrée en fonction en février ?
Quand une voiture dévale une pente à plein gaz et qu’on change le conducteur, la course vers l’abîme n’est pas encore terminée. Néanmoins, il y a maintenant des bons d’alimentation et de l’électricité pour les plus pauvres. Le nouveau gouvernement a promulgué une loi selon laquelle les non-assurés ont également accès aux hôpitaux publics. En réalité, tout cela n’apporte pas encore de réelle aide, car le système public est totalement débordé par manque de personnel et d’équipement.
Il n’y a pas assez de médecins et de soignants ?
Oui, bien sûr. 4000 médecins sont partis à l’étranger dont 2500 en Allemagne. Même quand les gens obtiennent un rendez-vous, cela ne veut pas dire qu’on pourra les aider. Souvent les appareils nécessaires manquent ou les médicaments sont impayables. Il faut donc continuer à lutter et faire pression sur le gouvernement.
Les chances de pouvoir améliorer la situation sont-elles faibles ?
Honnêtement, je n’attends pas grand-chose des gouvernements, ni d’ici ni du reste de l’Europe. La situation est trop embrouillée et échauffée. Je puise le plus d’espoir dans l’immense solidarité des gens entre eux, chez nous et par le grand soutien de nos amis en Allemagne et dans d’autres pays européens. Cela me donne du courage.
Avez-vous jamais pensé entrer en politique pour changer le système par cette voie ?
Oui, j’y ai pensé. Mais plus par désespoir que par conviction. Je me suis même fait mettre sur une liste de Syriza lors des dernières élections parce que je m’y sentais obligé. Mais je n’en ai parlé à aucun journaliste, je n’ai pas fait de campagne et je n’ai pas été élu. Maintenant, j’en suis content. Ma place est aux côtés des malades, ils ont besoin de moi. •
Pour en savoir davantage sur la « Metropolitan Community Clinic », consultez le site anglais :

Réimpression avec l’aimable permission de l’auteur.
(Traduction Horizons et débats)

* Giorgios Vichas, 53 ans, est médecin et cardiologue dans un hôpital d’Athènes. Parallèlement, il dirige depuis quatre ans une polyclinique, où des médecins et d’autres professionnels de la santé apportent gratuitement dans leur temps libre de l’aide aux patients n’ayant plus d’assurance-maladie. Il est marié et a deux filles.
»» https://solidaritefrancogrecque.wordpress.com/2015/07/06/un-medecin-gr...
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Boire l’eau du robinet, risque d’exposition à des pollutions ou acte écologique ? (basta)

Boire l’eau du robinet, risque d’exposition à des pollutions ou acte écologique ?

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Pollution des sols et des nappes oblige, on se méfie parfois de l’eau du robinet, qui accompagne pourtant notre vie quotidienne. D’où viennent les eaux parisiennes ? De différentes zones de captage, comme dans la vallée de la Vanne, à 120 kilomètres de Paris. Les eaux y sont captées dans le sol, mais c’est bien en surface que les choses sont en train de bouger : de plus en plus d’agriculteurs, incités par différents programmes publics, se convertissent au bio pour contribuer à la qualité des eaux ensuite acheminées vers Paris. Le phénomène est-il suffisant pour éliminer toutes formes de pollutions aux produits chimiques ? Basta ! a enfilé la frontale, pour une plongée en eaux pas si troubles.

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Vaut-il mieux boire de l’eau en bouteille, ou bien au robinet ? D’un côté, la crainte de pollutions aux pesticides ou de traitements au chlore un peu trop offensifs... De l’autre, la privatisation d’un bien commun et la production massive de déchets plastiques. Pour Christophe Gerbier, de l’organisme public Eau de Paris, la réponse est claire, au moins pour la capitale. Non seulement l’eau du robinet des parisiens serait de bonne qualité [1], mais en consommer soutiendrait la protection de l’environnement. « A chaque fois que l’on boit un verre d’eau du robinet, à Paris, on fait un acte citoyen », assure le directeur de la ressource en eau et de la production. L’affirmation est-elle aussi limpide que l’eau de roche ?
Une partie de la réponse se trouve dans la vallée de la Vanne, entre l’Yonne et l’Aube, à 120 kilomètres de Paris. A quelques encablures de Saint-Benoist-sur-Vanne, au pied d’une petite colline et au milieu des arbres, on n’imagine pas l’édifice qui est enfoui sous la terre, depuis plus d’un siècle. La porte d’entrée est imposante, fermée avec un gros cadenas. A l’intérieur, creusées et consolidées dans le calcaire, des galeries drainantes recueillent les eaux de la source dite d’Armentières, qui sont ensuite acheminées vers Paris.

Acheminer 30 000 mètres cubes d’eau, sans électricité

Ce réseau de canaux a été construit entre les années 1866 et 1874, à la main, par une centaine de personnes rémunérées en argent et en vin, pour alimenter la capitale en eau potable. Depuis, l’eau n’a cessé de s’écouler vers Paris, grâce à un aqueduc de 156 km de long. Sa pente douce – dix centimètres tous les kilomètres – permet d’acheminer les 30 000 mètres cubes d’eau qui émergent tous les jours de la source d’Armentières, en 70 heures. Le tout, sans pétrole ni électricité !

Si l’architecte Eugène Belgrand est chargé de concevoir ces ouvrages, dans les années 1860 sous le Second Empire, c’est parce que la qualité de l’eau qui alimente alors les robinets parisiens laisse à désirer. Le baron Haussmann réussit à convaincre le Conseil de Paris : « L’eau de Paris doit être comme le pain, de première qualité. Il ne convient plus de distribuer de l’eau trouble, tiède ou désagréable au goût. ». A l’époque, le pari est gagné : la source d’Armentières est protégée par l’imposante construction. Malgré le changement d’époque, le défi n’a pas changé.

Agir le plus en amont possible

Les flots qui s’écoulent sous nos pieds, en dessous des pontons qui nous mènent à l’intérieur des galeries, ont beau paraître clairs et limpides, la qualité de l’eau est mesurée régulièrement avec attention. La turbidité qui agite de temps en temps les bassins, par exemple après un orage, n’est pas le souci majeur. Depuis quelques années, l’inquiétude porte surtout sur les produits chimiques qui ont envahi notre environnement. Des désherbants, des insecticides, utilisés par l’agriculture intensive, par la SNCF ou les particuliers, qui infiltrent les sols et les nappes phréatiques. Et se retrouvent ensuite dans les verres des consommateurs, avec le risque de provoquer cancers, infertilité, ou malformations.

Comment garantir la qualité de l’eau ? C’est le traitement de l’eau en aval qui a longtemps été privilégié : des usines de dépollution tentent d’éliminer une grande partie des polluants. Au début des années 2000, la ville de Paris décide d’agir aussi en amont. « Nous prenons en compte la qualité de l’eau dès que la pluie touche le sol, relève Claude Vignaud, chef de l’agence Eau de Paris Sens-Provins. On est dans une logique de prévention. » Dans la vallée de la Vanne, autour de la source d’Armentières, et sur l’ensemble des zones d’alimentation des captages d’eau, l’agence Eau de Paris, qui a repris en 2010 la gestion publique de l’eau (lire notre article), travaille auprès des agriculteurs. L’objectif ? Favoriser des pratiques agricoles plus respectueuses de l’environnement.

Le rôle déterminant des agriculteurs

Christophe Dupuis est l’un d’eux. La trentaine, il a repris la ferme de son père en 2008. 160 hectares de céréales et trois en maraîchage, sur la commune d’Arces-Dilo (Yonne), à une vingtaine de kilomètres de la source d’Armentières. « J’ai converti l’exploitation familiale au bio, par conviction personnelle mais aussi pour favoriser la qualité de l’eau, explique le paysan. Je n’avais pas envie que mes activités professionnelles aient un impact négatif sur les sources de la région. » La qualité de l’eau ne dépend pas, en effet, que des terrains situés au dessus des points de captage, mais d’une zone de 47 000 hectares sur laquelle est installée la ferme aux Cailloux de Christophe Dupuis.


Le fermier a d’abord reçu des conseils techniques de l’agence Bio Bourgogne, qui vise à développer l’agriculture biologique sur le territoire. « J’ai par exemple allongé la durée des rotations des cultures pour diminuer le nombre de ravageurs [comme les limaces, ndlr] », explique-t-il. Avec moins de ravageurs, plus besoin d’insecticides. Le paysan a aussi introduit des légumineuses dans ses cultures, de la luzerne, des lentilles, du soja, qui captent l’azote de l’air et nourrissent ainsi mieux la terre. De quoi se passer d’engrais chimique. Contre les mauvaises herbes, c’est par exemple l’enrichissement des sols, en amont, ou le binage mécanique, quand les herbes ont poussé, qui sont privilégiés à l’utilisation d’herbicides.

Très forte dynamique autour du Bio

Ces techniques, Hélène Levieil, animatrice chez Bio Bourgogne, tente de les diffuser auprès des agriculteurs conventionnels. « Nous leur proposons de réaliser des études économiques sur la conversion au bio, nous organisons des réunions de présentation de ces méthodes, indique-t-elle. L’argument économique est très fort : ceux qui sont en bio s’en sortent bien, comparés aux autres. Mais les agriculteurs conventionnels ont parfois des réticences : est-ce qu’on l’on peut nourrir le monde avec la bio ? Comment gérer les mauvaises herbes ? Souvent, ils viennent à la bio à cause d’une prise de conscience de l’impact de leur activité sur leur santé, et sur celle des autres. » Le partenariat monté entre Bio Bourgogne et Eau de Paris permet aussi d’aider les agriculteurs à recevoir des aides européennes de la Politique agricole commune, dédiées à la protection de l’eau.

Résultat : la zone qui ne comptait en 2008 que 286 hectares de surfaces engagées en bio, en compte aujourd’hui 2100. Soit une progression de plus de 700 % ! Le nombre d’agriculteurs bio est significatif : ils étaient cinq en 2008, et désormais 29 en 2015. Une vingtaine d’entre eux se sont regroupés dans une association, Agribio Vanne et Othe, pour tenter de convaincre d’autres agriculteurs de s’engager dans une démarche de conversion au bio. « Une dynamique très forte s’est enclenchée, estime Hélène Levieil. Le bio est devenu une possibilité comme une autre, beaucoup moins marginale qu’il y a quelques années. »

Stabilisation des taux de produits chimiques

Eau de Paris multiplie ces actions de soutien à l’agriculture biologique ou à des pratiques raisonnées sur les 240 000 hectares d’aires d’alimentation des captages d’eau souterraine. Avec des conséquences positives sur la qualité de l’eau ? « Pour les nitrates [2], nous sommes autour de 30 mg/l – pour une norme maximale située à 50 mg/l – et les niveaux se sont stabilisés, indique Claude Vigneaux. Concernant les pesticides, les seuils sont parfois dépassés. Globalement, la qualité de l’eau du bassin de la Vanne est stable grâce à toutes les actions que nous menons. Si ces actions n’existaient pas, la qualité de l’eau se dégraderait. » Les produits chimiques peuvent être décelés dans le sol et les eaux, bien après leur interdiction. On retrouve parfois dans l’eau de la Vanne des traces d’atrazine, une molécule présente dans un pesticide utilisé notamment dans les cultures de maïs, interdite en 2002 par l’Union européenne.

« Aujourd’hui, les pics de pesticides dus aux traitements agricoles ont été réduits, assure Christophe Gerbier d’Eau de Paris. Mais il va falloir attendre 10 à 20 ans pour avoir un véritable effet de diminution. Car ce n’est pas en 10 ans que ces niveaux ont monté ! » Si certains pesticides ne sont plus détectés, d’autres apparaissent... ou ne sont pas encore connus. « Nous renforçons notre recherche sur les nouveaux pesticides », explique Christophe Gerbier. « C’est le système global qui devra être remis en cause, estime Célia Bauel, présidente d’Eau de Paris et adjointe à la mairie de Paris. Actuellement, nous payons la dépollution de l’eau et peut-être les coûts de santé. »

Un processus encore long

En attendant que ces pollutions soient éradiquées, les eaux prélevées dans les différents points de captage sont traitées dans l’usine de « potabilisation » de L’Haÿ-les-Roses, dans le Val-de-Marne. Là-bas, l’eau qui arrive de l’aqueduc de la Vanne est mélangée à du charbon actif en poudre, qui absorbe les molécules chimiques, la turbidité, les bactéries et les parasites, avant d’être filtrée par des membranes. En cas de pollution trop élevée à la source d’Armentières, l’eau, qui met trois jours pour arriver jusqu’à la capitale, n’est pas envoyée dans l’aqueduc. « A force de mettre en place ces actions, nous n’aurons peut-être un jour plus besoin de l’usine de potabilisation de L’Haÿ-les-Roses », espère Claude Vigneaux.

Le processus sera long. Si la situation dans la vallée de la Vanne semble positive, cette dernière n’approvisionne qu’environ 20% de l’eau des robinets parisiens. Et si Eau de Paris poursuit sa politique de protection des ressources sur les autres aires d’alimentation de captage, elle rencontre parfois des difficultés comme la diminution du nombre d’agriculteurs engagés dans le programme d’aides européennes. Mais contrairement à d’autres agences de l’eau, son système de soutien, sur le terrain, à l’agriculture biologique, semble plus efficace. « Eau de Paris a réuni de bonnes conditions pour changer localement la donne », estime Bernard Rousseau, responsable du réseau ressources en eau et milieux naturels aquatiques à France Nature Environnement.

« Changer radicalement le système à l’échelle globale »

A l’échelle nationale, le défi est encore plus important. « Localement, des initiatives intéressantes sont menées, ajoute Bernard Rousseau. Mais il faut réussir à changer radicalement le système à l’échelle globale. » Le Grenelle de l’environnement et le ministère de l’Écologie ont ainsi déterminé 1000 captages d’eau contaminés à protéger prioritairement. Les aires d’alimentation de ces captages représentent plusieurs centaines de milliers d’hectares. « Les résultats concrets de la protection de ces aires sont jusqu’à maintenant très faibles, avance Bernard Rousseau. La question est politique : c’est celle de la mutation de l’agriculture française majoritairement industrielle vers une agriculture biologique. » Les résistances au changement sont fortes du côté de certains acteurs agricoles, des coopératives, de l’industrie chimique. « La catastrophe est que nous avons accepté la dégradation de la qualité de l’eau brute (en amont) au motif que nous avons des techniques (en aval) pour la traiter. Mais ces technologies sont coûteuses, c’est donc un non-sens économique. Toute activité doit intégrer les coûts des dégradations qu’elle provoque. »
C’est la démarche que semble avoir empruntée Paris, comme avant elle, à plus grande échelle, New-York ou Munich- qui n’a pas besoin de traiter son eau potable. Boire l’eau du robinet parisien soutient la diffusion de l’agriculture biologique sur les territoires de captage, et contribue, pour l’instant à petite échelle, à la production d’une alimentation saine et respectueuse de l’environnement. Cela évite aussi des montagnes de déchets plastiques générés par les eaux en bouteille, et économise les énergies fossiles nécessaires à leur confection et leur acheminement. Un acte citoyen, avant un changement du système plus global ?
Simon Gouin
Article réalisé dans le cadre d’un dossier sur les alternatives en Île-de-France, en partenariat avec l’association Attac.
Quelques chiffres complémentaires :
  • Eau de Paris a produit 203 millions de mètres cube d’eau potable en 2015
  • 53% provient des eaux souterraines et 47% des eaux de surface (la Seine et la Marne)
  • les aires de captages d’eau (240 000 hectares de surface agricole) gérées par Eau de Paris sont répartis sur 11 départements et 5 régions.
  • trois millions d’usagers sont branchés au réseau géré par Eau de Paris.
  • les aqueducs acheminant l’eau vers la capitale mesurent 470 km.

Photos :
  • L’Aqueduc de la Vanne, Cuy (89) : Aqueduc de la Vanne © Eau de Paris
  • Christophe Dupuis, © Eau de Paris


Notes

[1Voir les études réalisées par l’Agence régionale de santé, en 2014 : ici et
[2Les nitrates sont un indice de pollution agricole provenant notamment des engrais. En savoir plus ici.

Bruxelles et industriels rêvent de « frontières intelligentes » capables de contrôler automatiquement les individus (basta)

Bruxelles et industriels rêvent de « frontières intelligentes » capables de contrôler automatiquement les individus

par , Morgane Remy


Ce ne sont plus seulement des murs et des grillages qu’on édifie aux frontières de l’Europe. La Commission européenne et les industriels de la sécurité rêvent de « frontières intelligentes » – les Smart borders : une multitude de fichiers et d’appareils de contrôles automatisés et interconnectés, capables de suivre chaque individu. L’objectif ? La lutte anti-terroriste et le refoulement des migrants. Mais ces dispositifs dont l’efficacité reste à prouver risquent de gréver les finances publiques, tout en menaçant les libertés et la vie privée si, demain, certains Etats décident de passer du contrôle de chacun à la surveillance de tous. Enquête.
En matière de politique sécuritaire, le moins qu’on puisse dire est que l’Union européenne et ses États membres ne manquent pas d’idées. Les frontières de l’UE sont régies par pléthore de dispositifs et autant d’obscures acronymes. Le SIS, système d’information Schengen, réunit les données des individus recherchés ou disparus. Le VIS, système d’information sur les demandes de visa, ou encore, Eurodac, pour la gestion administrative des demandes d’asile...
Le 14 avril 2016, le Parlement européen a décidé d’allonger cette liste, en adoptant le Passenger name record, ou PNR. Son but ? Collecter auprès des compagnies aériennes 19 types d’informations différentes sur les voyageurs, du prix du billet au numéro du siège. La Commission européenne n’est pas en reste : elle a de son côté sorti du chapeau une nouvelle version des Smart borders (« frontières intelligentes »), un projet qui lui tient à cœur depuis 2013, mais qui avait été laissé sur la touche par le Parlement. Le dispositif permettra d’enregistrer les entrées et sorties des ressortissants de pays tiers admis pour un séjour de courte durée dans l’espace Schengen — 90 jours maximum sur une période de 180 jours — et sera doublé d’une automatisation des frontières pour lutter contre la fraude à l’identité.

« Projets mégalomaniaques »

Une fois interconnectés, ces systèmes d’information constitueront autant de mailles d’un même filet de contrôle et de surveillance des individus. Un filet, en lieu et place de murs, qui cherche pourtant à remplir la même fonction : remédier aux difficultés européennes face à deux crises majeures : la menace terroriste et la crise migratoire. « Le partage des informations relie les deux. Nos garde-frontières, autorités douanières, policiers et autorités judiciaires doivent avoir accès aux informations nécessaires », a ainsi précisé Dimitris Avramopoulos, commissaire européen pour la migration, les affaires intérieures et la citoyenneté, lorsqu’il a dévoilé le texte sur les Smart borders en avril dernier.
La Commission ne cesse de promouvoir cette idée de « frontières intelligentes », malgré la réticence de certains parlementaires. « Nous avons déjà voté non une première fois contre le PNR et les Smart Borders car nous étions sceptiques face à des projets mégalomaniaques tant sur le plan budgétaire que sur celui d’une collecte massive des données, réagit Sophie In’t Veld, la vice-présidente néerlandaise de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe. Pourtant, ces textes reviennent sur la table, avec une pression de certains États membres pour les faire voter. »

Les industriels dans les starting-blocks

La France n’est pas la dernière à jouer des coudes pour faire aboutir ce dossier. En témoigne la venue de Manuel Valls à Strasbourg lors du vote sur le PNR. Non seulement l’État français a lui-même été victime du terrorisme, mais il soutient aussi ses fleurons industriels, Safran notamment, en première ligne pour remporter les appels d’offres et mettre en place les fichiers de passagers aériens en Europe. Morpho, sa filiale sécurité, gère déjà deux marchés : ceux de la France et l’Estonie. Des PNR nationaux existent en effet dans 14 pays. Pour financer ces dispositifs, avant même que le PNR européen ne soit voté, la Commission a déjà investi 50 millions d’euros.
Derrière les Smart borders, les sommes en jeu et les intérêts des industriels sont encore plus discutés, car ces nouvelles frontières nécessiteraient la mise en place de kiosques spéciaux dotés d’outils biométriques, les e-gates, dont tous les États inclus dans l’espace de libre circulation devront s’équiper. En France, 133 points de frontière Schengen pourront être concernés, soit 86 aéroports, 37 ports, et 10 gares. Sachant que le coût d’une porte est estimé entre 40 000 et 150 000 euros, l’investissement n’est pas négligeable !

Collusions public-privé

La première proposition de Smart Borders chiffrait le projet à 1,1 milliard d’euros. Elle avait provoqué un tollé au sein du Parlement européen en 2013. Depuis, pour apaiser cette ire, la Commission a réalisé un tour de passe-passe : selon son nouveau calcul, le coût pourrait finalement être ramené 480 millions d’euros… Sauf que dans le même temps, la Commission a provisionné 791 millions d’euros dans son budget cadre 2014-2020, avant même que la directive ne soit votée ! « En réalité, pour savoir combien cela va nous coûter, il faudra attendre les réponses des industriels aux appels d’offres et surtout conclure les contrats », note Krum Garkov, le directeur de l’agence Eu-Lisa créée pour mettre en place les Smart borders.
Si ce système n’est pourtant qu’à l’état de projet, l’appel aux géants de la défense est lui déjà lancé. « Pour améliorer la sécurité européenne, nous avons besoin de stimuler nos industriels ! », clame Armand Nachef, du point de contact national du programme européen de recherche Horizon 2020, le 17 novembre au Bourget. Ce représentant du service public s’adresse alors aux entrepreneurs présents au salon de la sécurité intérieure Milipol, où armes, drones, caméras, équipements de maintien de l’ordre et autres gilets pare-balles sont exposés.

Au menu : reconnaissance par l’iris, faciale ou digitale

A l’autre bout du salon, ces mots ne tombent pas dans l’oreille d’un sourd. Un employé de Morpho propose fièrement de faire visiter l’installation type d’une frontière hyper sécurisée : « Là, c’est une machine de reconnaissance par l’iris. Pour le moment, nous en avons surtout vendues en Asie, mais ça va venir ici ». Il présente la porte « intelligente », un sas de verre capable de vérifier votre identité en moins de 20 secondes. Soit deux à trois fois plus vite qu’aujourd’hui, lorsque vous avez affaire à un douanier derrière son guichet. C’est la société Morpho qui a fourni portes automatiques, outils de reconnaissance faciale ou d’empreintes digitales au port de Cherbourg, à la gare du Nord et à l’aéroport international de Roissy.
La Commission européenne investit depuis plusieurs années dans des programmes de recherche. Entre 2007 et 2013, à travers le volet Sécurité du programme FP7 – prédécesseur d’Horizon 2020 – plus de 51 millions d’euros ont été versés à des consortiums, souvent dirigés par des entreprises auxquelles se sont associés des laboratoires et des acteurs publics pour réfléchir à la gestion de ces nouvelles frontières. Dans le programme en cours Horizon 2020, « Sociétés sûres », l’instance européenne a déjà investi plus de 21 millions d’euros. Des sommes non comprises dans le budget Smart borders.
Une petite PME française a ainsi profité de cette manne pour se lancer. « Nous avons touché exactement 328 251 euros, témoigne Raphaël Rocher, gérant de Sécalliance sécurités informatiques. Grâce à cela, nous avons pu nous lancer. » L’entreprise est créée en 2009, en même temps que débute un projet de recherche sur cinq ans, Effisec. La PME développe, avec d’autres partenaires, des kiosques permettant l’enregistrement du passager, la vérification de son passeport ainsi qu’un contrôle biométrique par comparaison d’une photo prise par la borne avec celle enregistrée sur la puce du passeport. Une fois cette étape validée, le kiosque s’ouvre pour un autre contrôle par caméra millimétrique.
Mais le premier bénéficiaire de la subvention versée dans le cadre d’Effisec est encore Morpho, la filiale de Safran, qui a touché 1,8 millions euros [1]. L’entreprise a déjà coordonné la moitié des projets de sécurité aux frontières aéroportuaires dans le cadre du programme FP7 et a reçu quatre millions d’euros à ce titre.

Des multinationales à la fois juges et parties

Certains chercheurs et ONG pointent du doigt le rôle plus discret joué par certaines entreprises consultées par la Commission. Dans le groupe de conseils du programme de recherche FP7, on comptait des représentants des grandes entreprises de la sécurité, dont Morpho et Thalès. « Trop souvent, on se rend compte que les projets sélectionnés sont coordonnées par des entreprises qui sont également dans les groupes de conseil censés donner leurs avis sur les projets reçus, ou sur les orientations à donner aux politiques de sécurité ! En mettant les sommes bout à bout, ces entreprises touchent des milliards de la Commission », regrette Stéphanie Demblon, membre d’Agir pour la paix, qui pose la question des conflits d’intérêts.
Stéphanie Demblon propose des lobby-tours à Bruxelles, et montre ainsi aux citoyens curieux les bureaux que les grandes entreprises de la défense et de la sécurité ont installés dans le quartier des institutions européennes. « La Commission justifie ce recours aux entreprises en disant qu’elle n’a pas les experts nécessaires et que les représentants de ces groupes en sont. Donc pourquoi s’en priver ? », ajoute-t-elle avec dépit.

Une utilité remise en question

Ces investissements dessinent-ils les contours d’une Europe plus sûre ? Beaucoup en doutent. « On nous a présenté le PNR comme la solution miracle, mais il n’en est rien, assure Emmanuel Maurel, député européen membre du groupe Sociaux-démocrates. Comme tout le monde est inquiet, on se raccroche à de tels dispositifs à l’efficacité discutable. Alors que les assassins circulent en voiture, on crée une base de données sur le transport aérien. Savoir ce qu’un passager mange, avec qui il voyage, ça ne sert à rien. Il vaudrait mieux investir sur le renseignement humain, que dans un système aussi démesuré. »
Concernant les Smart borders, la députée et vice-présidente du groupe des Verts-Alliance libre européenne, Ska Keller, est encore plus tranchante : « J’attends de savoir à quel problème cette idée de frontières intelligentes apporte une réponse. La Commission européenne est incapable de nous le dire. En plus, nous ne pouvons pas suspecter tous les citoyens européens d’être des terroristes, mais on se permettrait de le faire avec les autres ? Ce n’est pas normal. Par ailleurs, le fait de rester plus longtemps sur un territoire ne se justifie pas forcément par des motifs criminels. »
Pour la Cimade, association française spécialisée dans les droit des étrangers, le système des Smart borders risque, de surcroît, de créer une discrimination entre les différentes catégories d’étrangers. « L’Europe facilitera le passage des voyageurs à faible "risque migratoire", c’est-à-dire ceux venant de pays riches », analyse Gipsy Beley, porte-parole de la Cimade.

« Il faudrait plutôt voir ce qui peut être réalisé à court terme »

Pour certains, le choix de l’automatisation dans le cadre des Smart borders n’est peut-être pas non plus le meilleur. « Les portes font moins d’erreur que les humains, témoigne le professeur Luuk Spreeuwers, qui a étudié le système déjà installé à l’aéroport d’Amsterdam Schiphol. Cependant, d’autres difficultés apparaissent, comme des photos de passeports qui ne sont pas de qualité suffisante pour la reconnaissance faciale. » Là encore, la culture du secret l’emporte. Si le test de la phase pilote est encourageant, avec un taux d’authentification de 98%, celui des premières années de pratique demeure confidentiel. Impossible de savoir si, confrontés à un plus grande nombre de voyageurs, ils sont encore performants.
Avant de s’engager dans de nouveaux projets, souvent poussés par le marché, peut-être faudrait-il commencer par tirer les leçons du passé ? « Il faudrait plutôt voir ce qui ce qui peut être réalisé à court terme. Il ne faut pas oublier que le SIS est en place depuis les années 90, et vingt-cinq ans après, nous sommes toujours en train de l’améliorer. De SIS 1, on est passé à SIS 1+, puis à SIS 2. Le dispositif arrive seulement à maturité. Il n’est donc pas certain que le prochain projet soit bénéfique avant une vingtaine d’années. Que fait-on entre-temps ? », s’interroge Giovanni Buttarelli, le Superviseur européen de la protection des données.

Protéger les données personnelles

Autre inquiétude : le respect des nombreuses données ainsi collectées sur les citoyens. Comment seront-elles utilisées ? Où vont-elles être stockées ? Pour combien de temps ? En s’opposant une première fois au Passenger name record (PNR) et aux Smart borders, le Parlement a bien fait comprendre à la Commission qu’il ne voterait pas ces textes tant que des réponses précises à ces questions ne seraient pas apportées.
Concernant le PNR, deux strictes conditions étaient posées : qu’il soit voté en parallèle d’un ensemble de textes favorables à la protection des données, et qu’il soit équilibré entre lutte contre le terrorisme et protection de la vie privée. La Commission est ainsi revenue avec un « Paquet protection des données », que le Parlement a ensuite validé. Au lendemain du vote, le groupe Sociaux-démocrates s’est réjoui dans un communiqué d’avoir « veillé à renforcer les droits des internautes (...) Droit à l’effacement, voies de recours, informations sur la façon dont les données sont traitées, encadrement des transferts de données des Européens vers les pays tiers, possibilités de profilage strictement limitées, sanctions en cas de non-respect des règles. » Néanmoins, comme le concède le député Emmanuel Maurel, si le texte est censé apporter des améliorations, « il faudra retravailler sur cette thématique, car la protection de la vie privée est aujourd’hui un véritable casse-tête ».

Vers un « système pan-européen de surveillance » ?

L’intention des Smart borders pose encore plus de problèmes. La gestion des données personnelles, dans ce cas, reste en effet pour le moins floue. Les informations seraient gardées six mois, mais il n’est guère spécifié comment ni ce qu’elles deviendront. Ce qui mène le Superviseur européen de la protection des données à penser que les objectifs de la Commission sont contradictoires. « Elle dit vouloir faciliter le déplacement en gardant les frontières sûres, veiller à ce que les voyageurs soient libres, respecter les droits fondamentaux, mais mener ce projet à bas coût. Cela fait trop en même temps pour être réaliste. »
Surtout, une interrogation plus large demeure : les « frontières intelligentes » ne sont-elles pas une étape vers un « système pan-européen de surveillance », comme le craint Chris Jones, membre de l’ONG Statewatch ? La base d’information sur les voyageurs sera énorme, allant de leurs déplacements dans l’espace Schengen à leurs données biométriques, le tout pouvant être – en fonction du vote des députés – accessible par les polices nationales, Europol et Frontex ! Au risque de mettre en place une « société qui ne fait pas très envie », avertit le député socialiste Emmanuel Maurel. Lors du vote du texte sur les Smart borders d’ici la fin de l’année, le Parlement européen résistera-t-il à nouveau ?
Aline Fontaine et Morgane Rémy
Illustration : CC Ophelia Noor / Owni


Notes

[1La société Safran, en tant que maison-mère de Morpho, a refusé de répondre à nos questions.

Frédéric LORDON « L’ euro, que faire ? » (news360)

 
 
Frédéric Lordon, économiste et sociologue (directeur de recherche au CNRS, chercheur au Centre de Sociologie Européenne) est membre du collectif « Les économistes atterrés ». Il collabore régulièrement au journal Le monde diplomatique.
Dimanche 26 juin 2016 (119 mars selon le calendrier spécifique du mouvement Nuit debout) il est intervenu place de la République à Paris sur le thème « L’ Euro, que faire ? » en répondant aux nombreuses questions qui lui ont été posées par un auditoire attentif et motivé réuni à l’initiative des commissions Europe et Economie politique du mouvement Nuit debout.
Ce thème (défini et annoncé une semaine plus tôt) a pris une intensité particulière en ce dernier dimanche de juin, trois jours à peine après la victoire du « Leave » (51,9%) au référendum britannique à propos du « Brexit ».

samedi 9 juillet 2016

Une nouvelle version de la loi travail passe encore en force à l’Assemblée (basta)

Une nouvelle version de la loi travail passe encore en force à l’Assemblée

par


Faute de majorité, le gouvernement a de nouveau utilisé l’article 49-3 de la Constitution mardi 5 juillet pour imposer sans vote le projet de la loi travail, qui passait en deuxième lecture à l’Assemblée nationale. Aucune motion de censure n’ayant été déposée, ni par la droite ni par la gauche, dans les 24 heures suivantes, le texte est considéré comme adopté depuis mercredi 6 juillet après-midi.
Le gouvernement avait déjà fait passer cette loi travail sans vote lors du passage en première lecture à l’Assemblée nationale en mai. La loi a ensuite été amendée par le Sénat, qui l’a durcie. Les sénateurs ont notamment voté la suppression des 35 heures et l’autorisation du travail de nuit pour les apprentis de moins de 18 ans. La commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale a par la suite supprimé la plupart des dispositions votées par les sénateurs. Elle est ainsi revenue à la version du texte tel qu’il était sorti de l’Assemblée nationale en mai. C’est donc cette version qui a été adoptée mardi.
Le même jour, des dizaines de milliers de personnes ont encore une fois manifesté à travers la France contre cet affaiblissement du droit du travail. L’opposition syndicale au projet ne baisse pas les bras, et prévoit de se réunir le 8 juillet pour décider des modalités de poursuite du mouvement. En réponse au passage de la loi sans vote à l’Assemblée, l’intersyndicale (CGT, FO, CGT, FSU, Solidaires, Unef, UNL, Fidlla) poursuit aussi sa votation citoyenne. Celle-ci a déjà récolté un million de votes. Les résultats partiels (sur plus de 700 000 participants) communiqués fin juin font état de 92 % des votes demandant le retrait du projet. Des voix que n’entendra probablement pas le gouvernement. Selon l’institut de sondage Ipsos, Manuel Valls a battu en juin « un record d’impopularité pour un Premier ministre », avec 77% des sondés qui « portent un jugement défavorable sur son action ».
Dessin : Rodho

Le risque de faillite systémique de l’Eurozone vient de ses banques (partie1). Liliane Held-khawam (news360)



L’enclave helvétique est tout aussi concernée par cet article…
L’action de la Deutsche Bank (DB) est en train de s’effondrer. La banque, autrefois réputée pour être le roc de l’Allemagne serait en phase d’agonie.
Tout comme d’autres de ses collègues européennes, DB est allée se confronter aux banques américaines sur leur propre territoire dans les années 90.
L’idée dominante de l’époque -et toujours d’actualité- était qu’il fallait manger la concurrence pour éviter d’être mangé.
Mais il y avait aussi l’envie d’aller jouer dans la cour des grands outre-atlantique…
Tout était alors bon à prendre. Le bon, le mauvais. Le propre, le sale. L’éthique et le mafieux. Les banques se sont mises à grossir. Démesurément. Une graisse toxique s’est installée toujours plus. Une graisse gourmande en liquidités. Beaucoup de liquidités…
La crise des liquidités additionnée aux pertes liées aux spéculations ont cassé l’économie, le social, l’éthique, les monnaies et le système financier lui-même.
Nous avons vu comment ces banques dites « too big to fail » ont ruiné non seulement leurs actionnaires et leurs créanciers, mais aussi les peuples qui ont eu le malheur de résider dans le même pays que leur siège social.
Nous avons vu comment des américains piégés par les banques ont massivement fini à la rue…

Un sauvetage immoral

Après des sauvetages avec l’argent public, créant des dettes insoutenables, on constate que dans le comportement malfaisant, ces banques n’ont rien appris des différentes crises.
Les dirigeants politiques n’ont demandé aucune contrepartie au sauvetage.
Les « too big to fail » se sont donc gavées avec un argent qui n’est pas le leur et qui a servi à payer royalement des dirigeants pour les féliciter au mieux de leur échec et au pire de leur malhonnêteté.
Quant à la guerre que les banques « too big to fail » européennes  ont livrée à leurs concurrentes -néanmoins partenaires de cartel- américaines, nous pouvons dire qu’elle l’ont  misérablement perdue.

Evolution de l’action de la Deutsche bank sur 10 ans

L’évolution de l’action de la DB montre que la crise de 2007 n’était qu’une étape du processus de destruction de l’établissement.
Le trend de ce graphique laisse supposer que la stratégie du management n’a pas été corrigée. Les mêmes causes ont continué de produire les mêmes effets toxiques.
L’échec est aussi celui des politiques qui n’ont cadré ni le système , ni les hauts dirigeants de ces établissements dont il faudra un jour se poser la question au sujet de leur diligence envers leur employeur, les clients, les pays qui les ont subventionnés…
Deutsche bank juillet 2016
Evolution de l’action de la Deutsche Bank sur 10 ans

Comparaison Deutsche bank et Lehman Brothers

Voici un graphique de Zerohedge où il y est fait le parallèle avec l’évolution de l’action de Lehman Brothers avant sa faillite.

L’apocalypse financière au coeur de la construction bancaire systémique

Le design ci-dessous est hautement intéressant car il présente comment une banque, considérée par le FMI comme la banque la plus risquée au monde, peut torpiller une myriade d’autres avec elle.
Une construction de génie ou diabolique. A choix…
Chacun de ces points de couleur constitue une bombe atomique potentielle prête à déclencher un feu d’artifice général.
Ce dessin cible la Deutsche Bank comme élément central.
On peut répéter l’exercice avec chacun des autres points de couleur.
La réalité est que des dizaines de dessins de banques pourraient s’entrelacer, créant une zone systémique à l’infini impactant de fait la planète entière.
Quand on en vient à parler de risques systémiques, il faut considérer aussi tous les établissements non représentés néanmoins impliqués dans le réseautage financier mondial.
Tout ceci s’ajoute à la situation désastreuse des grandes banques italiennes. les espagnoles, les portugaises et les françaises sont aussi bien placées dans ce marasme. Ce beau petit monde expose l’Eurozone à un risque réel de faillite systémique.
Mais rassurez-vous avant que l’on en vienne à la faillite, les banques centrales vous auront dépouillés grâce à leur politique monétaire non conventionnelle.
Par conséquent, oubliez le Brexit et le tapage stérile qui l’entoure. Une chaîne de bombes atomiques sont  prêtes à exploser sous notre nez mais aucun gouvernant ne se sent d’aborder le sujet de manière globale…
Une fois de plus les Anglais ont été les plus futés…
Liliane Held-Khawam
PS D’autres facteurs de risques systémiques sont logés au coeur de l’Eurosystème. Nous tenterons de les aborder aussi…

jeudi 7 juillet 2016

Etudiants paysagistes et gamins des cités embellissent ensemble un quartier populaire de Seine-Saint-Denis (basta)


Etudiants paysagistes et gamins des cités embellissent ensemble un quartier populaire de Seine-Saint-Denis

PAR 

Découvrir comment poussent les fruits et légumes, apprendre à élever des poules, aménager des balançoires et des jeux alors que le quartier en manque cruellement... À Stains en Seine-Saint-Denis, la mise en culture – et surtout en commun – d’une friche urbaine a fédéré les habitants, et surtout les enfants. Ils découvrent des gestes et des plaisirs aujourd’hui très éloignés du quotidien des citadins, et apprennent à prendre soin d’un bien commun. L’expérience est considérée comme une réussite et promet d’essaimer dans les années à venir. Reportage.
En journée, quand on traverse la Friche Durand, on se retrouve nez-à-nez avec des poules, mascottes du quartier, qui veillent sur un potager, un beau cerisier et quelques pommiers. Seuls quelques murs, vestiges de trois anciens pavillons, sont restés debout. Pourtant nous sommes bien à Stains, juste au nord de Paris. Ici, la superficie du couvert végétal grimpe à 42 %, contre 15% dans la capitale. Des parcs, des jardins et des friches : de la nature en ville, relativement présente dans cette ancienne banlieue parisienne [1].
La Friche Durand, ce sont 3 500 m2 délimités par des immeubles de quelques étages, une rangée de petits pavillons et un complexe scolaire, qui n’ont pas encore été réhabilités malgré un programme de rénovation urbaine engagé il y a dizaine d’années dans ce quartier du Clos Saint-Lazare, où vivent plus de 8 000 personnes. En attendant la rénovation, les projets se sont multipliés.

« On s’est tout de suite mis les gamins dans la poche »

« Nous avons rapidement eu la volonté de "faire quelque chose" de cet espace pour qu’il n’y ait pas d’installation de camps au milieu du quartier, explique Odile Rosset, chef de projet renouvellement urbain basée à la Maison du projet, chargée d’informer les habitants sur les travaux de rénovation en cours. Nous ne voulions pas non plus être dans un "aménagement défensif" avec, par exemple, l’installation de merlons qui auraient condamné tout accès. » La rencontre avec Olivier Jacqmin, enseignant à l’École nationale supérieure de paysage de Versailles (ENSP), est décisive. Un projet est monté à la Friche Durand, avec ses étudiants en première année. « Dès le départ, il était clair qu’il s’agirait d’un aménagement temporaire de quelques années, rappelle Odile Rosset. Il fallait faire en sorte de transformer cet espace en attente en un espace utile et approprié. »
Les étudiants nettoient d’abord le site, imaginent un projet pour cet espace relativement petit et minéral. Premier objectif : enrichir le sol, distinguer les bonnes terre — les anciens jardins des pavillons — de celles polluées par les huiles de vidange, qui ruissellent du parking voisin où la mécanique sauvage est une activité populaire. « La deuxième étape a été l’installation de trois balançoires ; il n’y en avait pas une sur un hectare à la ronde !, se souvient Camille Poureau, l’une des étudiantes impliquées. On s’est tout de suite mis les gamins dans la poche. » En septembre 2013, l’association de paysagistes Chifoumi prend le relais de l’ENSP. En échange de 5 000 euros, elle s’engage à passer six ou sept fois dans l’année pour l’entretien et l’amélioration du site. Encadrés par Chifoumi, les étudiants continuent à s’investir sur leur temps personnel.

« Ce n’est pas parce qu’on est à Stains qu’on n’a pas le droit d’avoir accès à de belles choses »

« L’association se donne pour principe de travailler à partir des ressources qui sont disponibles sur place, d’impliquer les habitants, de contenir et de prendre en charge localement les déchets produits, détaille Sophie Lheureux, une autre étudiante désormais adhérente de Chifoumi. On utilise tout ce qu’il y a sur place, on fait de la récup’, mais ce n’est pas seulement du bricolage. Les gens se disent : "Ce n’est pas parce qu’on est à Stains qu’on n’a pas le droit d’avoir accès à de belles choses". »
Fin 2013, l’idée émerge d’installer un poulailler ainsi qu’un potager ; le terrain est préparé pour le printemps suivant. En janvier 2014, par l’entremise de la Maison du projet, les étudiants et Chifoumi se rapprochent de l’école primaire Romain Roland et prennent contact avec quelques enseignants motivés par le projet. « Nous sommes allés chercher les poules avec les élèves dans le Val d’Oise, dans un bus de la mairie. C’était une expédition, se souvient Jean-Brice Grémaud, enseignant en CM1-CM2. Le premier jour, quand les poules ont été installées, certains élèves partaient en courant tellement ils avaient peur ! »

Gestion collaborative du poulailler

Rapidement, les six poules de la Friche Durand sont devenues des attractions au Clos Saint-Lazare. Outre l’apprentissage des gestes de jardinage et les ateliers pédagogiques animés par les étudiants et par Chifoumi, les élèves des classes impliquées ont appris à s’occuper des animaux. Par groupes de trois, ils vont chaque jour sortir les poules, les nourrir, ramasser leurs œufs, les enfermer le soir venu. Des réunions régulières organisées avec les riverains permettent d’assurer le relais pendant les vacances.
« En 2014, avant la réforme des rythmes scolaires, l’organisation était plus facile et les emplois du temps plus adaptés qu’aujourd’hui, constate Jean-Brice Grémaud, très investi. Les poules sont source de beaucoup de débats, d’implication et d’attachement. Comme tout le monde, on pensait au début que les animaux allaient disparaître tout de suite mais non, au contraire, plusieurs autres poules et même un coq ont été déposés dans l’enclos ; seulement deux ont été volées et je pense qu’il s’agissait d’un pari idiot ! »

« Les enfants sont garants de la protection du lieu »

Pour les étudiants paysagistes, les enfants de l’école et du quartier ont joué un grand rôle dans la prise en compte et l’appropriation de l’espace : « Les enfants sont garants de la protection du lieu, observe Camille Poureau. Ils sont à fond, certains viennent même voir pousser les légumes ! Ils ont ramené leur famille, et instauré de fait un respect des lieu par les plus grands. » Sur la Friche, ouverte sur le quartier, pas de règlement formalisé : les courges, blettes, carottes, pommes de terre, framboises, fraises et autres productions sont accessibles à tout le monde. « Le contact avec la terre et les animaux est important pour les enfants, qui voient comment les légumes poussent, qui les ont ramassés, transformés », constate Jean-Brice Grémaud.
L’enseignant, en poste à Stains depuis trente-cinq ans, déplore que l’éducation à l’environnement se fasse « dans les livres », plutôt que par la pratique. « Au début c’est un peu compliqué de se dire que l’élève va apprendre de cette manière ; et puis pour l’enseignant, il faut être en mesure d’improviser, ça demande du temps et ce n’est pas intuitif pour tout le monde », ajoute sa collègue Stéphanie Nanni. Cela nécessite aussi beaucoup d’implication personnelle… dont les riverains font également preuve : pendant l’été 2015, particulièrement sec, ces derniers venaient avec leur bouteilles d’eau pour arroser le potager.

inversion du rôle de celui qui sait et de celui qui apprend

Dès 2013, la Friche Durand est devenue un terrain d’expérimentation à partir duquel plusieurs projets sont venus se greffer, en plus des interventions des étudiants de l’ENSP : des événements conviviaux, la construction de nichoirs, des graffitis, le recyclage et la fabrication de mobilier avec une l’association Bellastock, ou encore l’installation d’une guinguette, sous les tilleuls, durant l’été dernier. Le week-end, entre trente et quarante personnes passent régulièrement « prendre le vert » sur la Friche.
Si le jardinage et les potagers urbains sont au cœur du projet, la Friche Durand constitue aussi pour les enfants du quartier un espace d’aventure beaucoup plus excitant que les habituelles aires de jeu synthétiques, par ailleurs plutôt rares. Sans être bondé par la foule, la friche est devenue un lieu traversé et commun. « On n’y connaissait rien au jardin, aux poules, s’amuse Violette Arnoulet, chargée de mission à la Maison du projet. Des riverains, beaucoup plus calés en la matière, ont bien ri en nous voyant tâtonner ! Même si nous représentons toujours l’institution, il y a une inversion très intéressante du rôle de celui qui sait et de celui qui apprend. »

La fin est programmée, mais les graines sont semées

Violette Arnoulet estime que le rôle de la Maison du projet a été d’initier et de mettre en lien : « Nous n’avions pas vocation à animer le projet, mais plus à poser un cadre ; il a fallu accepter de se laisser déborder, de ne pas tout contrôler, et le faire accepter aux élus. » Ces derniers ont soutenu le projet et pris le risque d’ouvrir l’espace au regard de tous (le maire de Stains, Azzédine Taïbi, est communiste). « Avec le recul de quelques années, je dirais que le projet de la Friche Durand a marché, car il y a une prise de risque et qu’individuellement des personnes se sont beaucoup investies », considère Camille Poureau.
Fin 2015, les travaux d’une rue qui borde la Friche ont commencé à empiéter sur les aménagements jardiniers, rappelant sa fin programmée à l’automne 2016. D’ici là, plusieurs ateliers sont encore prévus. La disparition de la Friche sera progressive. Pour Sophie Lheureux, « ce caractère éphémère est difficile, mais c’était annoncé. Avec notre action modeste, nous avons planté des choses ; les gens ont vu ce qu’on pouvait faire à partir d’un espace abandonné ».
Les étudiants impliqués, aujourd’hui en dernière année, ont rencontré fin 2015 l’opérateur qui mènera les travaux sur le site, pour transmettre leurs connaissances du terrain et formuler des préconisations. La Maison du projet, Chifoumi et les étudiants recherchent actuellement d’autres lieux à Stains pour déménager la Friche, ou plutôt l’esprit de ce qui a été réalisé sur place. Les quartiers qui « partent en rénovation urbaine » ne manquent pas dans le secteur, et Plaine commune, la communauté d’agglomération, est intéressée par la reproduction de l’initiative. De nouveaux terrains d’expérimentation à défricher ?
Hélène Bustos (Transrural)
Boite à outils :
Crédit des photos : Maison du projet et DR. (Il s’agit de la Friche Durand à différentes époques, et ce sont les élèves de l’école Romain Roland qu’on voit s’occuper du potager. Ils sont accompagnés d’étudiants et de paysagistes de l’association Chifoumi.)

Cet article a été réalisé dans le cadre du projet Médias de proximité, soutenu par le Drac Île-de-France.

Notes

[1
Lire sur Metropolitiques : La « nature en ville » à l’épreuve de la requalification des banlieues - Le cas de Plaine Commune.

200 terroristes sur le territoire ? Entre Ukraine, Irak, Terrorisme, Reporter de Guerre et après ? (news360)


Interview de Paul Moreira, journaliste « d’investigation », reporter de guerre. Enregistrée le 22 juin 2016.

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