26 octobre 2012
Appel de deux jeunes paysans à tout ce qui a un nom dans le ’mouvement social’

le message ci-dessous est un message individuel, de deux jeunes paysans de
la confédération paysanne (Morbihan et Var).
Si on réfléchit à ce qui se passe à Notre Dame des Landes depuis une semaine,
il y a un fait vraiment inquiétant : le silence du « mouvement social
français ».
Depuis mardi matin, plus de 500 gardes mobiles ont envahi la campagne
tranquille du Nord de Nantes, ils ont chassé les gens de leur habitat, détruit
des maisons et enlevées les pierres une par une pour s’assurer qu’elles ne
seraient pas rebâties. Depuis six jours, environ 200 personnes dorment chaque
nuit sur des barricades, respirent des gazs lacrymo, organisent le
ravitaillement des copains en première ligne, tout cela dans une non-violence
exemplaire (sinon, il n’y aurait pas cet assourdissant silence médiatique !).
Depuis quelques jours, des gros ballots de vêtements, de bottes, de chaussettes,
de piles, de pommes, de pâtes, de légumes, de café, de jus de fruits, de barres
de céréales, affluent dans le hangar qui sert de QG à la résistance, témoignant
que si peu de gens osent s’aventurer dans le « territoire en guerre » qu’est
devenu ce beau bocage, il existe une véritable indignation dans la
population.
Et enfin bon, des raisons de s’indigner il y en a tout de même : il n’a rien
d’autres à faire ce gouvernement que de mobiliser des centaines de flics pendant
des semaines pour chasser des gens de leur maison alors qu’il semble qu’il y ait
une crise du logement dans ce pays, rien de plus urgent comme dépense que de
construire un aéroport pour en remplacer un autre loin d’être saturé alors qu’on
nous dit que la priorité c’est de réduire les déficits, rien de plus important
que de développer le trafic aérien alors qu’il paraît qu’il y a un truc qui
s’appelle le changement climatique ???
Alors pourquoi ce silence ?
- Soit, ce qui est une possibilité réelle, le mouvement social est bien mal
en point, tué par la « crise », asphixié par l’arrivée de la gauche au
gouvernement,
- Soit ce combat n’est pas celui du mouvement social, car ceux qui luttent
pied à pied à Notre Dame des Landes ne sont pas très présentables, un peu trop
boueux, avec en prime des têtes un peu trop jeunes et que donc certainement ils
sont violents, donc peu fréquentables,
- Soit encore vous ne savez pas quoi faire. Si c’est cette
dernière option qui prime, quelques idées :
La résistance à Notre Dame des Landes est incroyable. Il est incroyable que
quelques centaines de personnes sans moyen financier, sans soutien logistique
aucun à part celui de quelques habitants et paysans des alentours, logeant dans
des abris de fortune, sans eau, sans électricité, aux vêtements détrempés, aient
résisté une semaine derrière des barricades de bric et de broc face à une
véritable armée. Ils sont encore là et ne vont pas lâcher, même si il leur
faudra probablement se replier à un moment ou à un autre.
Il ne manque pas de courage ni de détermination à Notre Dame des Landes.
Il manque de la légitimité.
Et cela, vous, vous qui savez écrire, qui avez les arguments en tête, qui
êtes reconnus socialement comme des gens « sérieux », qui avez de l’audience
auprès des militants de vos organisations, qui connaissez des journalistes, qui
êtes en contact avec des politiques, vous qui êtes respectés, vous pouvez le
donner à la lutte de Notre Dame des Landes : de la légitimité.
Ce sont des choses que vous savez faire : écrire aux pages débat des
journaux, organiser des conférences de presse, passer des coups de fil à droite
à gauche, signer des tribunes collectives, intervenir lors de conférences,
convaincre des gens connus d’aller à Notre Dame des Landes, ne serait-ce qu’une
demi-heure, pour qu’ils puissent dire leur indignation devant les médias,
puisque ces médias n’ont rien à faire de l’indignation des gens ordinaires.
Vous savez faire cela et c’est vraiment le moment de le faire maintenant.
Cette lutte est exemplaire et c’est aujourd’hui à chacun-e d’entre vous de
permettre au mouvement social dans son ensemble de faire preuve d’une solidarité
exemplaire.
EN COMPLEMENT
Une cause nationale
"Si ceux pour qui les mots ’crise écologique’ veulent dire quelque chose
perdent cette bataille, si cet aéroport se faisait, le mouvement écologique en
serait aussi durablement affaibli qu’il l’avait été, en 1977, par les événements
de Creys-Malville."
Le lourd silence de Cécile Duflot, de José Bové, de Daniel Cohn-Bendit, de
Nicolas Hulot et de tant d’autres sommités, le désintérêt des médias, la
passivité d’Europe Ecologie Les Verts, le « courage fuyons » des élus PS
informés des enjeux écologiques, l’apathie de la grande majorité des
associations environnementales, le désir si manifeste de tout ce joli monde de
tourner la page n’y font rien : ce qui s’est déroulé cette semaine et se
poursuit ces jours-ci autour de Notre Dame des Landes, en Loire-Atlantique, est
vital, crucial, essentiel.
Si ceux pour qui les mots « crise écologique » veulent dire quelque chose
perdent cette bataille, si cet aéroport se faisait, le mouvement écologique en
serait aussi durablement affaibli qu’il l’avait été, en 1977, par les événements
de Creys-Malville.
On s’étonne que ne soit pas comprise l’importance de ce bras de fer. Mais
peut-être faut-il, de nouveau, en expliquer les enjeux. Il s’agit, donc, d’un
projet d’aéroport qui occuperait près de 2000 hectares de terres au nord de
Nantes. Vieux d’une quarantaine d’années, il a ressurgi au début des années
2000. La résistance tenace, non violente, assise sur des expertises solides, de
paysans, d’élus, d’écologistes, de citadins, d’habitants anciens et nouveaux, a
retardé le projet. Elle a permis de voir que se cristallisent ici toutes les
problématiques qui forment le complexe écologique de ce début du XXIe siècle. Ce
n’est pas Trifouilly-les-Oies, c’est une cause nationale.
Alors que le Programme des nations unies pour l’environnement vient
d’annoncer que les zones humides, essentielles à la biodiversité et à la
régulation des écosystèmes, ont perdu dans le monde la moitié de leur superficie
depuis un siècle, on s’apprête en France à détruire un site dont 98 % des terres
sont des zones humides. Alors que semaine après semaine, les climatologues
publient des études montrant la gravité du changement climatique, on s’apprête
en France à construire un aéroport qui stimulera le trafic aérien, important
émetteur de gaz à effet de serre. Alors que l’artificialisation des sols et la
disparition des paysans sont officiellement déplorées, on la planifie ici, ce
qui la justifiera ailleurs. Alors que le pouvoir du capital et les partenariats
public-privés sont partout dénoncées, on donne les clés du projet à la
multinationale Vinci.
Il y a des moments où il faut savoir dire non. Il est temps que se fassent
entendre ces « Non »
Hervé Kempf - 21 octobre 2012
Source : Cet article est paru dans Le Monde daté du 21 octobre 2012.