mardi 29 janvier 2013

Loi bancaire : rions un peu avec les créateurs du projet de loi…(lescrises.fr)

29 Janvier 2013

[Vidéo] Loi bancaire : rions un peu avec les créateurs du projet de loi…

J’ai participé le 21 janvier au passionnant débat organisé par Gaël Giraud et la Revue Projet : Banques : une loi pour que rien ne change ?
Ce débat a eu lieu entre partisans et opposants de la loi bancaire, à La Sorbonne ; il réunissait en plus de moi-même, Thierry Philipponnat de Finance Watch, Laurence Scialom, le directeur adjoint du Trésor et Thomas Philippon, conseiller économique de Pierre Moscovici.
Je reprends le compte rendu réalisé par la revue – et je vous recommande toutes les vidéos, en particulier les 3 dernières pour les plus pressés… N’hésitez pas à visiter leur site Revue-Projet.
Le débat que vous présente Revue-Projet.com est unique : enfin, partisans et opposants au projet de loi bancaire trouvent l’occasion de s’expliquer. Une question au moins reste entière : en quoi l’activité des banques s’en trouvera-t-elle modifiée ? À présent, au Parlement d’en débattre !
Ce lundi matin-là, une centaine de professionnels de la finance, chercheurs, fonctionnaires, attachés parlementaires, journalistes ou étudiants, avaient fait sonner leur réveil aux aurores. Nous sommes le 21 janvier 2013, dans un amphi de la Sorbonne, à l’entrée d’une place du Panthéon inhabituellement enneigée. Pour rien au monde ces participants attentifs n’auraient entamé leur semaine sans suivre la première passe d’arme publique à laquelle se livrait le gouvernement sur son projet de loi bancaire. À l’initiative de ce débat, le LabEx sur la régulation financière[1]. Pour l’animer : Gaël Giraud, chercheur au CNRS et à l’École d’économie de Paris, jésuite et figure familière des lecteurs de la Revue Projet.
Le matin même, le chroniqueur éco de France Inter, Philippe Lefébure, faisait monter la pression : selon ses dires, une note de Gaël Giraud qui circule parmi les parlementaires ferait trembler Bercy au point que Pierre Moscovici, le ministre des Finances, ait dépêché en dernière minute son conseiller pour le débat. Cette note, publiée sur Revue-Projet.com, présente a) pourquoi il faut scinder les banques et en quoi le projet de loi Moscovici n’en fait rien; b) pour quelles raisons – bonnes ou mauvaises – les banques françaises applaudissent au projet du gouvernement.
 

MICHEL ROCARD LANCE LE BAL


Le débat réunit parmi les meilleurs spécialistes du sujet : Thomas Philippon, économiste et proche conseiller de Pierre Moscovici ; Hervé de Villeroché, de la direction générale du Trésor ; Laurence Scialom, professeure en économie à l’Université de Paris Ouest Nanterre; Olivier Berruyer, actuaire, président deDiaCrisis et animateur du blog Scinder les banques ; Thierry Philipponnat, secrétaire général de Finance Watch, le contre-lobby citoyen de la finance.
Le plus médiatique des intervenants, l’ancien Premier ministre Michel Rocard, est absent « à cause des intempéries ». Mais il fait lire ses propos récemment tenus dans le Nouvel Obs’, qui campent le décor : « La dette de la Grande-Bretagne dépasse 900 % du Pib (…). Nous ne sommes pas à l’abri d’un nouveau krach mondial. Pour protéger l’économie réelle, il faut une séparation totale des banques de dépôt et des banques d’affaires (…). La France n’est pas un pays négligeable. Elle doit montrer la voie[2] ».
Laurence Scialom, elle, égrène l’un après l’autre les arguments en faveur d’une séparation entre banques de crédit et banques de marché : « L’hypertrophie de la finance finit, de l’aveu du FMI, par avoir un effet négatif sur la croissance », or la France compte quatre banques obèses[3], qui font peser un risque systémique sur nos économies ! D’où des prises de risque excessives (misant sur le secours de l’État en cas de faillite) ; la possibilité de se refinancer moins cher que les concurrentes ; un mode de financement très dépendant des marchés. Elle rappelle que si la protection des dépôts, un service public assuré par les banques, justifie la garantie de l’État, il n’en va pas de même pour les activités de trading par exemple, avant de conclure qu’en renonçant à vraiment séparer les activités bancaires, le projet Moscovici est le moins ambitieux des textes européens et américains aujourd’hui sur la table.

Scission bancaire, débat: Laurence Scialom par cerasvideo

« TOUT ÇA POUR PROTÉGER DES INTÉRÊTS PRIVÉS ? »

Thierry Philipponnat se veut d’abord constructif : « Une finance qui ne se sert pas elle-même, qui réduit le risque systémique, qui finance l’économie réelle… Les objectifs de la loi sont excellents ! » Mais les amabilités s’arrêtent là. Car pour l’ancien professionnel de la finance, passé du trading à Euronext, via UBS ou BNP-Paribas, aucun des objectifs fixés n’est atteint. Le projet de loi veut distinguer les activités utiles et cantonner la spéculation dans une filiale ? Dès lors qu’est tenu pour utile le fait d’avoir un client, pour Philipponnat rien ou presque n’est séparé : tenue de marché, activité de produits dérivés, prêts auxhedge funds, spéculation sur les produits agricoles, trading à haute fréquence… resteront logés au cœur de la banque. « Avec une telle loi, [l’assureur américain] AIG ferait encore faillite[4] ! » Le porte-parole de Finance Watch, inquiet aussi que le régime de mise en faillite des banques ne protège guère le contribuable, s’indigne enfin que l’étude d’impact de la loi reste confidentielle. « Tout ça pour protéger les intérêts privés des banques ! » « Cette mesure est-elle constitutionnelle ? », s’interroge-t-il. Après le camouflet sur l’impôt à 75%, Bercy appréciera.

Thierry Philipponnat : « BNP pourra continuer à prêter à un hedge funds des Îles Caïmans qui spécule sur les marchés dérivés agricoles avec la garantie de l’État ! »


Scission bancaire, débat 2/5: Thierry Philipponnat par cerasvideo

 

LE GOUVERNEMENT SUR LA DÉFENSIVE

Quand la parole est à la défense du projet, elle semble d’abord gênée. Le public doit tendre l’oreille. Le haut fonctionnaire de Bercy semble réciter : « La France est précurseur. Il s’agit du texte le plus important depuis la loi bancaire de 1984 ». Hervé de Villeroché défend d’abord le caractère strict de la séparation : « La banque doit démontrer au régulateur que la faillite de sa nouvelle filiale – qui abrite les activités pour compte propre – ne met pas en péril le groupe. » Il plaide surtout pour le régime de résolution d’éventuelles crises bancaires, qui anticipe le partage des pertes et permet au régulateur d’analyser la structure des banques. Quant à la taille excessive des banques ? « Nous nous posons la question de façon récurrente », admet-il.

Scission bancaire, débat: Hervé de Villeroché par cerasvideo

Le conseiller du ministre, plus pédagogue, est aussi plus énergique. Pour lui, le projet répond aux trois problèmes relevés depuis le début de la crise : mauvaise compréhension des risques, mauvaises incitations, focalisation des régulateurs sur la situation individuelle des banques, au détriment d’une approche systémique. Thomas Philippon voit dans le régime de résolution la mère des réformes : « Faire payer aux gens les conséquences de leurs bêtises ! », jugeant annexe la question de la scission bancaire : « Elle n’aurait rien changé à la crise. Au contraire, l’Espagne est tuée par ses petites banques. » Il défend la solidité des banques dites universelles et juge leurs pertes liées à leur activité de crédit plus qu’à celle de marchés. Il surprend quelque peu l’auditoire quand il avance : « Nous ne prétendons pas prévenir les problèmes de demain, mais entériner que les erreurs commises depuis 2006 ne le seront plus », ou quand il renvoie à l’échelon européen ou à plus tard les sujets non traités : hypertrophie de la finance, trading à haute fréquence, produits dérivés…

Thomas Philippon : « La séparation des banques n’aurait rien changé à la crise. Au contraire. »



Scission bancaire, débat: Thomas Philippon par cerasvideo

DE L’INFLUENCE DES BANQUIERS

Sur un ton plus militant, Olivier Berruyer n’y va pas par quatre chemins : selon lui, en ne cantonnant dans une filiale que les activités pour compte propre pas utiles à l’économie, le projet Moscovici ne filialiserait que 0,5 à 1 % du chiffre d’affaires de BNP-Paribas, alors que la portée du rapport Liikanen, au niveau européen, serait vingt-cinq fois supérieure ! Et la question, pour lui, n’est pas tant de savoir ce qui est utile ou non à l’économie que d’identifier ce qui relève d’un service public : « Sinon, pourquoi ne pas accorder de garantie publique à l’industrie automobile ou agro-alimentaire ? » L’actuaire voit dans le régime de résolution une stratégie d’apprenti sorcier : on laisse les banques continuer de jouer et on prévoit le cas où… « Mais prendra-t-on le temps de lire les 1800 pages de mémorandum si BNP-Paribas fait faillite demain ? » Citant enfin les nombreux partisans d’une véritable scission bancaire, dont la majorité sont des cadres bancaires, il devient sarcastique : « Qui défend vraiment les banques universelles, hormis les banquiers universels ? » Et appelle les parlementaires à auditionner d’autres voix.

Olivier Berruyer : « Un banquier payé 20 000 euros par jour par une banque ne dira évidemment jamais qu’il faut couper la banque… »



Scission bancaire, débat: Olivier Berruyer par cerasvideo

Le décor étant planté, les esprits s’étant quelque peu échauffés, l’échange s’annonçait intense. Le temps d’une salve instructive entre le conseiller de Moscovici et Philipponnat sur l’utilité d’un mécanisme de résolution dans le cas où des géants bancaires feraient faillite, le débat tournera court hélas, faute de temps. Laissant l’audience sur sa faim… et impatiente aussi qu’il se prolonge dans les enceintes de l’Assemblée et du Sénat.
Aurore Chaillou pour la vidéo, avec l’assistance précieuse de Camille Tourneboeuf.
Jean Merckaert pour le texte.


[1] Le laboratoire d’excellence sur la régulation financière (LabEx RéFi) réunit l’Ena, l’Enass, l’ESCP Europe, le Cnam et l’Université de Paris 1.
[2] Interview de Michel Rocard (et Pierre Larrouturou) au Nouvel Observateur, 17 janvier 2013, pp. 59-60.
[3] BNP-Paribas, Société générale, Banques populaires Caisses d’épargne, Crédit agricole.
[4] AIG, qui doit d’ailleurs sa quasi faillite à une minuscule filiale française, a été finalement sauvé sur le dos des contribuables américains, pour éviter un cataclysme supérieur à la faillite de Lehman Brothers. La Société générale, par exemple, renflouée à hauteur de 12 milliards d’euros à l’issue de ce plan de sauvetage, n’y aurait peut-être pas survécu.