En cavale !
le 01 février, 2013 dans Asservissement moderne, Journal d'un vaurien par Yohan De Doncker
Trop souvent les gens veulent savoir ce que vous faites dans la vie, quel est votre statut… C’est pas qu’ils s’intéressent à vous, ça non !… Mais c’est plutôt une façon de faire pour pouvoir vite vous classer dans leurs casiers plus ou moins larges, et surtout jauger ce que vous pouvez leur apporter.
À cette arrogance, il n’y a encore pas si longtemps, je ne savais trop comment répondre. Mon parcours marginal et mes rêves en exil faisaient qu’à l’énoncé de leurs questions je me sentais déjà condamné. Car je voyais bien qu’au fond de leurs yeux je n’étais qu’un type qu’a raté le coche, qu’avait trop tardé, loupé la combine, laissé passer le train de la réussite sociale…
C’est la vie qui m’a prise, voilà tout ! Je voyais pas de meilleure école et j’étais pressé d’y entrer. Car l’instruction publique ne me comprenait plus et je la lui rendais bien. Ce monstre froid n’avait que faire de mes aspirations, fallait mentir, prétendre savoir ce qu’on voudrait faire quand on serait grand, préparer le rôle, répéter par cœur, en choeur assis sur une chaise à compter les minutes qui vous sépare de la prochaine heure, et ainsi de suite jusqu’au crépuscule d’une liberté provisoire…
C’est mon instinct qui m’a sauvé, là où d’autres c’est l’école !
Car seule la vie semblait pouvoir répondre à mes réelles prétentions. En six mois et dans des circonstances favorables, j’ai pu m’enfuir, me faire la belle, passer sous les grilles du temple de l’instruction. C’était pas sans risque, mais à cet âge là, on le défie facilement l’avenir, car on se croit bien plus fort que leurs recommandations aux sages… Mon âme était pleine, tellement débordante de velléité, de liberté que l’école ne savait plus l’accueillir, ni la contenir pour tenter de la distiller et d’en extraire son parfum.
Beaucoup sont laissés au bord de la route, on les rattrape une fois ou deux, mais lorsque viennent les 16 ans, alors on peut foutre le camp et quand on veut. La preuve il suffit d’une signature. Le système s’en arrange bien, ça lui fera des petites mains mal payées et coupables d’avoir démissionnées du lycée.
C’est vraiment l’élève qui démissionne vous croyez ? Ou bien le Maître qu’a mal fait son travail ? À moins qu’on nous dise pas tout, et qu’ils savent très bien qu’il n’y aura pas de place pour tout le monde. Dans ce cas là autant être clair : désormais c’est d’instruction minimum obligatoire dont on a besoin, et plus du vertueux modèle républicain qui offrait la chance à tous d’accéder au savoir. C’est donc pour ça qu’ils nous notent ? Qu’ils hiérarchisent ? Qu’ils distribuent les bons et les mauvais points ? Pour ensuite dire à ceux qu’ont pas les armes que la sortie c’est par ici, parce qu’ils sont en échec ?!!…
Éduquer c’est donc exclure ?
Voilà 12 ans déjà que je me suis fait la malle, c’était au printemps. Je lisais Les fleurs du mal en bordure des champs. Rien n’était impossible et aujourd’hui encore, je façonne ma vie malgré les affres des temps…