vendredi 1 février 2013

La ballade des banquiers heureux (Le blog de Seb Musset)

La ballade des banquiers heureux

"Vous donnez l’impression que vous [les banquiers] n’êtes pas spécialement gênés par cette loi."
Karine Berger, Députée PS, rapporteur du projet de loi visant à séparer les activités spéculatives des banques de leurs activités de dépôt.

J'écrivais hier sur la ferveur des débats sur le mariage pour tous aspirant l'espace d'information à consacrer au social ou à la vie de nos institutions. Au même moment, dans les sous-sols de l'Assemblée nationale, se déroulait devant la commission des finances l'audition de trois banquiers (Jean-Paul Chifflet, président de la fédération bancaire et DG du Crédit Agricole, Frédéric Oudéa, PDG de la Société Générale, et Jean-Laurent Bonnafé, DG de BNP Paribas) au sujet du projet de loi bancaire concocté par Pierre Moscovici.

Lors de notre rencontre en novembre dernier, le ministre des Finances nous prévenait au sujet de cette réforme: "je sais que je vais mécontenter tout le monde, c'est que je suis sur la bonne voie". Tout le monde sauf un petit village d'irréductibles. Si j'en crois les comptes-rendus de l'audition par Mediapart et Arrêt sur images, les banquiers vivent à la cool ce projet de réforme qu'ils n'auront de cesse de défendre durant les deux heures d'audition devant des députés excédés.

La séparation des activités spéculatives des banques de leurs activités de dépôt (sur la base du Glass-Steagall act), promise par Montebourg puis Hollande lors de la campagne présidentielle, n'aura pas lieu. Ou alors en version cosmétique, à bien étaler devant la caméra par un as de la langue de bois en troisième partie de soirée.

Le lobby bancaire a opéré comme a son habitude, avec sa vision bien à lui de l'arithmétique, coupant la poire du 50/50 en 98/2.

Dans le projet de la loi, les activités spéculatives (trading haute fréquence, financement des hedge funds) seront bien circonscrites dans des filiales à part, financées indépendamment. Mais les banquiers les annoncent généreusement entre 0.75% et 1,5% de leur activité.

T'es sur ? Non, je t'avoue, j'ai quand même un petit doute. Mais bon, nos banquiers sans le sou font comprendre à la commission, aussi convaincue que moi, que tout ça est trop compliqué et bien trop entremêlé pour y voir clair. Et quand les députés veulent en savoir plus, les banquiers opposent une fin de non-recevoir. Ils ne livreront pas les chiffres et volumes de transactions, ni quoi que ce soit concernant les paradis fiscaux, rapport au "secret commercial" (pourquoi diable faire des commissions alors ?).

Les banques seraient-elles devenues sages ? Les mêmes qu'il fallait renflouer à coup de centaines de milliards de dollars il y a quatre ans pour leur abus dans le domaine ne se consacreraient au casino financier qu'à hauteur de 1 à 2% de leurs activités ?

Sur ce projet de séparation "équilibré", Pierre Moscovici apporte des précisions dans l'après-midi:

« Si j’avais estimé qu’aller au-delà était une solution efficace, je l’aurais fait. Mais la séparation stricte n’est pas une solution. Couper les banques en deux, créer des banques d’investissements n’en est pas une. ». Circulez y a rien à voir, attendons le prochain crash systémique avec sérénité. Il sera, comme de coutume, renfloué par les particuliers, les pays et un peu plus de dette.

Quelles sont les justifications de cette nanoréforme par les banquiers et leur ministre ? En substance: les banques françaises sont plus petites que la concurrence (le modèle anglo-saxon sur lequel il faut s’aligner. Les mêmes de préciser à d'autres moments que c'est précisément parce qu'on n'a pas suivi jusque-là ce modèle qu'il y a eu moins de dégâts ici). Des banques trop petites certes, mais représentant tellement de salariés que tout remettre en cause nous exposerait aussi au niveau national (Un Florange de la banque ? On ne peut pas se le permettre. Euh... enfin si).
Voilà. A défaut d'une profonde remise en cause par François Hollande, le grand projet de loi bancaire de "mon ennemi c'est la finance" est en passe d'accoucher d'une réformounette. Le plus ironique, c'est qu'elle est bien partie pour être encore moins ambitieuse que la directive de l'Union Européenne qui tombera d'ici quelques mois.

En attendant, comme il faut bien financer tout ça, vos frais bancaires sont déjà réformés:

60% des banques les augmentent cette année.