jeudi 6 février 2014

Pas de majorité pour la politique que conduit actuellement François Hollande (Blog de G. Filoche)

Pas de majorité pour la politique que conduit actuellement François Hollande

Mécontenter son électorat ne permet pas de séduire celui d’en face. A ne pas répondre aux aspirations de la gauche, on ne capte pas pour autant les adversaires de droite. Ca déçoit les deux camps et à la fin, il n’y a ni majorité dans le pays, ni majorité dans la gauche. Et inéluctablement ça se reflète au Parlement : il faut dorénavant tordre le bras aux parlementaires pour qu’ils.. suivent. Cela rappelle ce moment de fin 1994 ou Jacques Delors renonça à se présenter à l’élection présidentielle en expliquant « il n’y a pas de majorité pour ma politique ». Sauf que là, c’est le président élu qui doit dire : « pour retrouver ma majorité il faut que je ré oriente ma politique ». Remettre le cap à gauche, car dans les eaux intermédiaires, en effet, il n’y a pas de majorité et on s’y perd.
Depuis plus d’un an, François Hollande s’efforce de séduire et mobiliser le patronat pour que celui-ci l’aide à « inverser la courbe du chômage ». Il a proposé le « Pacte de compétitivité » puis le « Pacte de responsabilité ». Il distribue des dizaines de milliards aux « entreprises ». Et il prend ces dizaines de milliards qui manquent aux retraites, aux salariés, aux services publics et à la protection sociale
Le patronat veut bien encaisser les milliards, il en redemande même inlassablement mais sans prendre de responsabilités. Le patronat ne veut pas être compétitif ni donner de contreparties, il ne veut qu’augmenter ses marges. Il continue donc plus que jamais de licencier, de précariser, de spéculer. Les salariés, eux ne voient que leurs salaires bloqués, le chômage monter, leurs droits reculer.
Les pigeons, les poussins, les abeilles, les bonnets rouges, les patrons fraudeurs du bricolage obtiennent satisfaction. L’Ani est imposé sous forme de loi de « sécurisation de l’emploi » mais les patrons multiplient les plans de licenciements, explosent les contrats courts, violent leurs promesses sur les temps partiels, spéculent sur les complémentaires santé, baissent les prestations chômage. Les syndicalistes ne sont pas amnistiés, les élections prud’hommes sont supprimées, le repos du dimanche encore diminué, l’inspection du travail est passée à la moulinette.
C’est pareil dorénavant sur les questions dites sociétales : à vouloir concilier avec l’adversaire, on mécontente son camp. On a laissé trainer cinq mois le débat parlementaire sur le mariage pour tous, et l’extrême droite a profité de ce temps pour se mobiliser et se renforcer. L’ANI a été expédié en « urgence » ne laissant pas le temps aux syndicats de mobiliser et de se faire entendre.. La loi contre les retraites ne fut pas reportée alors qu’il y avait 370 000 manifestants le 7 septembre : elle fut expédiée en deux mois. Par contre la loi sur la famille est reportée d’un an (nous dit-on) à la suite d’une simple manifestation de quelques dizaines de milliers de traditionnalistes.
La loi sur l’amnistie syndicale avait été discutée, amendée, et adoptée en première lecture, rien ne s’y opposait plus. La procédure a tout simplement été interrompue.
L’affaiblissement du Président dans les sondages vient de là, il mécontente ses électeurs de gauche et les électeurs de la droite se radicalisent contre lui. La preuve du pudding c’est quand on le mange, la preuve de l’impasse de la politique actuelle c’est qu’il n’y a plus la majorité de gauche acquise en mai juin 2012. Sentant cela, les grands médias organisent la curée (ils appellent ça « bashing ») et font avancer l’idéologie libérale du type « baisser le coût du travail » – a contrario de ce qui se passe dans le monde. Même quand Obama augmente le Smic de 40 %.
Sénat et Parlement reflètent cela. La belle et double majorité du Sénat et de l’AN en juin 2012 s’érode. Au Sénat, il n’y a plus guère de votes de la gauche unie sur les questions essentielles. Les parlementaires du FdG ne votent quasiment plus. Les Verts sont un élément instable de la majorité. Même les PRG se sont fait prier et ont négocié certains votes (retraites)
Dans le groupe PS à l’Assemblée qui a légèrement diminué, il y a eu 17 députés socialistes qui n’ont pas voté le TSCG, 41 qui n’ont pas voté l’ANI, et encore une quinzaine qui n’ont pas voté des articles de la loi anti retraites.
Parce que sur les retraites, cela a suffi à empêcher des articles importants (43 annuités, et baisse des petites retraites..) l’exécutif a donc imposé un « vote bloqué« . Il a pris des mesures contre les droits « normaux » des parlementaires : interdiction des assistants parlementaires d’être présents aux réunions de groupe, interdiction de déposer des amendements sans les avoir soumis au bureau du groupe, interdiction de se coaliser pour rédiger des amendements. Le caporalisme s’est intensifié dans le fonctionnement et les rappels à l’ordre se sont faits plus fréquents et plus rudes, avec menaces à la clef. Les appels à « serrer les rangs » ne sont pas tenus sur un ton joyeux.
C’est pourquoi depuis début 2014, on n’entend plus parler que « d’ordonnances », de « votes de confiance ». Il n’y a plus, pour le moment, de libre majorité de confiance, plus de majorité d’adhésion. Pour cadrer l’expression des parlementaires, il faut mettre la barre plus haut, et exiger leur fidélité en bloc. Car en détail, elle n’existe plus. Si les députés sont libres, beaucoup ne votent plus. Ils ont été élus sur une majorité constituée sur le discours du Bourget, ils ne sont pas à l’aise dans la politique actuelle.
Confidentiellement, en douce, en aparté, des dizaines de députés vous diront qu’ils votent mais parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement. Parce qu’ils ne veulent pas faire tomber le gouvernement. Parce qu’il y a les élections municipales et européennes. Mais pas à cause du fond des textes de loi
Si la loi contre l’indépendance de l’inspection du travail n’était pas intégrée dans l’ordonnance sur la formation professionnelle, elle ne serait pas votée.
Si la loi contre les élections prud’hommes n’était pas intégrée dans la loi globale sur « la démocratie sociale », et à l’intérieur de la même ordonnance, elle ne passerait pas davantage. Il n’y a pas de majorité pour. Et s’il y en a une, c’est par ces mécanismes qui forcent la volonté des élus.
Les députés essaient de maintenir la loi famille, mais ils vont se heurter à l’agenda du gouvernement qui en a décidé autrement.
Quelques voix s’élèvent : le sénateur socialiste Jean-Pierre Michel dit clairement ce qu’il pense : « J’attends de voir si Dominique Bertinotti va rester au gouvernement. Si j’étais à sa place, je démissionnerais tout de suite. Elle travaillait ce texte avant même la loi mariage. Il y a beaucoup de choses très utiles prévues dans la loi, comme la possibilité de connaître ses origines. Et beaucoup sont consensuelles. Or finalement, on recule… « devant une poignée de réactionnaires« , à savoir les participants à la « Manif pour tous » du 2 février. « Si le gouvernement est effrayé par quelques dizaines de milliers de manifestants qui battent le pavé, il ne faut plus gouverner. »
Mais le gouvernement se montre plus déterminé à contrôler sa majorité parlementaire, qu’à reprendre l’affrontement avec la droite et le patronat. Il se montre plus convaincu dans sa recherche d’accords avec le Medef, et d’apaisement avec lesdits réactionnaires. Pourtant les deux s’opposent : le Medef refuse tout « pacte », les réactionnaires se sentent pas « apaisés » par le recul du gouvernement, mais encouragés à continuer. La majorité de gauche dans le pays ne se reconnaît pas dans cette politique qu’elle n’a pas votée, pas souhaitée, pas voulue. La majorité parlementaire d’adhésion n’existe plus : elle subit l’autorité telle qu’elle fonctionne dans la Ve République.
Bien sur il y a toujours une majorité de gauche dans le pays, mais majorité de gauche et politique de François Hollande ne coïncident plus, ne sont plus superposables. C’est le pouvoir de l’Elysée comme toujours dans la Ve République (elle ne permet pas un « président normal ») qui s’impose par dessus la réalité du Parlement, par dessus la gauche.