Pour la énième fois, le Conseil fédéral pratique la politique de « there is no alternative » à la Thatcher. Pire, il veut imposer au peuple le fameux TTIP ou « traité transatlantique » dont strictement personne ne veut.
Mais voilà, ce traité géré dans le plus grand secret par les Etats-Unis est honni par les populations européennes. En 60 jours, un million de signatures avait été collecté pour organiser une audition publique au parlement européen. Cette démarche appelée ICE pour « initiative citoyenne européenne », prévue pourtant par les règles européennes a été balayée par la Commission européenne.
En 2015, on a remis ça pour bien marquer le rejet. Selon Le Monde, une « coalition d’organisations de la société civile, de syndicats et de citoyens défavorables au traité transatlantique Tafta/TTIP ont en effet remis à la Commission européenne une pétition signée par 3,2 millions d’Européens appelant à l’arrêt immédiat des négociations de cet accord de libre-échange géant entre l’Europe et les Etats-Unis. »
Bien que la 2ème opération était menée à titre symbolique, dénier la demande de débat public à 3,2 millions de citoyens est un acte fort et puissamment anti-démocratique.L’institution bruxelloise aurait même justifié son refus par son incapacité à stopper le processus basé sur un mandat octroyé par l’ensemble des Etats membres…
Que craint-on au juste de ce traité? Les divergences sont bien sûr nombreuses. Mais nous retiendrons deux points. Le premier qui semblerait poser de gros problèmes aux citoyens européens concerne la capitulation des normes européennes face à celles présentes sur territoire américain. L’exemple qui symbolise la tension est le poulet américain à la Javel.
Par ailleurs, même l’étiquetage des aliments pourrait être revu, pour éviter de favoriser l’industrie locale…
Le deuxième point concerne les arbitrages entre firmes transnationales et Etats. Alain de Benoist explique que « le différend serait arbitré de façon discrétionnaire par des juges ou des experts privés, en dehors des juridictions publiques nationales ou régionales. Le montant des dommages et intérêts serait potentiellement illimité (c’est-à-dire qu’il n’y aurait pas de limite aux pénalités qu’un tribunal pourrait infliger à un État au bénéfice d’une multinationale), et le jugement rendu ne serait susceptible d’aucun appel. »
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Un peu plus loin, A de Benoist cite quelques exemples, effets vécus avec d’autres traités mis en place dans d’autres régions du globe: « Grâce à des mécanismes de ce genre, des entreprises étrangères ont d’ailleurs déjà engagé des poursuites contre l’augmentation du salaire minimum en Égypte, ou contre la limitation des émissions toxiques au Pérou ! La multinationale Lone Pine a demandé au gouvernement canadien de lui accorder 250 millions de dollars de « réparations » pour les profits qu’elle n’a pu réaliser à cause du moratoire sur l’extraction du gaz de schiste mis en place dans la vallée du Saint-Laurent. En 2012, l’OMC avait déjà infligé à l’Union européenne des pénalités de plusieurs centaines de millions d’euros pour son refus d’importer des organismes génétiquement modifiés (OGM). Plus de quatre cent cinquante procédures de ce genre sont actuellement en cours dans le monde. »

Bruxelles, présence puissante des lobbies

C’est pourtant dans ce contexte de rejet massif par les populations que se poursuivent les tractations avec l’institution européenne. Rappelons au passage que la politique s’y déroule sous la présence attentive et massive des lobbyistes. L’opacité qui entoure cette présence avait été relevée par l’ONG Alter EU. Elle avait accusé « la Commission d’échouer dans sa mission sur la transparence financière des lobbies, en ne révélant pas le nom et les opérations de nombre d’officines.«
Mais quelques chiffres impressionnants de sommes versées par des entreprises du genre de Goldmann Sachs, UBS ou Deutsche Bank donnent le vertige. Cette dernière aurait à elle seule fait passer son budget de 2 à 4 millions en 2014 …
Fut un temps pas si lointain où ces versements portaient le nom de corruption et les personnes investies d’autorité publique auraient dû démissionner. Dans des pays comme l’Islande, la prison les aurait même accueillies.
Mais tout n’est pas perdu puisque récemment de nouvelles règles interdisent aux commissaires européens et aux représentants des sociétés de se réunir.

Qu’en est-il en Suisse?

La RTS, média d’Etat en Suisse relaie l’information qui lui provient du Conseil fédéral au sujet du traité transatlantique. En voici 4 extraits:
1.- « Après un échec en 2006, la Suisse se prépare à signer un traité de libre-échange avec les Etats-Unis (TTIP), dans le sillage de l’accord transatlantique que les Américains entendent conclure avec l’Union européenne. »
Ce point est absolument FAUX. Il n’y a pas eu d’échec en 2006! Nous avions eu l’occasion déjà en 2013 de présenter un document signé par M Deiss en 2006 dont la totalité est reprise ci-dessous (sous Annexe).
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Le document est en anglais. Il s’agit d’un Forum de coopération tant au niveau des échanges commerciaux que des investissements. C’est une sorte d’accord bilatéral entre les deux pays qui fait la part belle aux acteurs privés. Les deux pays sont partenaires à tous les niveaux du processus. Un 3ème partenaire est officiellement inclus dans l’accord : les firmes privées. Ce document est entré en force le 25 Mai 2006!
2.- « On a demandé à chaque occasion d’être informés, ces dernières années, et ce qu’on a régulièrement entendu c’était qu’on recevrait un jour les résultats et que cela serait à prendre ou à laisser ».
Le Conseil fédéral utilise inlassablement une stratégie de communication envers le peuple suisse qui ne lui laisse plus aucune chance de négocier quoi que ce soit. Cela fait une dizaine d’années que cette stratégie de communication déploie TOUS ses effets pour mener les négociateurs suisses vers un échec garanti. Mme Widmer-Schlumpf en a fait de nombreuses fois l’expérience.
3.- « Il semble donc bien en l’état que la Suisse n’aura aucune marge de manœuvre, reconnaît le ministre de l’Economie »
Une fois de plus l’image de l’impuissance est caricaturée par ces paroles navrantes et humiliantes. Il est vrai que avec un accord déjà signé en 2006, il n’y a en réalités plus rien à faire que d’adopter la forme définitive de l’Union Européenne pour rentrer dans les rangs.
4.- « Le Conseil fédéral devra aussi convaincre l’opinion publique, car il y aura à coup sûr des résistances – à commencer par les milieux paysans, déjà sous pression aujourd’hui. »
M le Conseiller fédéral a raison. Il faudra convaincre un peuple qui ne veut pas de la privatisation du pouvoir et des institutions publiques…
Ce genre d’assertion cherche à prévenir toute initiative populaire…
Quant aux paysans suisses, ils ont d’ores et déjà été tellement trahis depuis les années 2000 avec les accords bilatéraux européens qu’ils sont à genoux. Quant à leurs champs, ils servent de terrain à bâtir des hangars commerciaux qui défigurent le paysage et amoindrissent les capacités de la Suisse à être autonome au niveau agricole.
Mais c’est bon pour le business, spécialement celui qui donne des petites couleurs pas durables au PIB.
Nous ajouterons un 5ème point. Il convient de republier ici un extrait de l’accord qui s’appelle Safe Harbor qui s’appuie sur le précédent accord. Il y est dit ceci:
« Dans le cadre du Forum de coopération sur le commerce et les investissements Suisse – Etats-Unis, le Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence a signé aujourd’hui un échange de lettre établissant un «U.S.-Swiss Safe Harbor Framework». Ce cadre bilatéral pour la protection des données simplifie le transfert de données personnelles d’entreprises établies en Suisse vers des entreprises aux Etats-Unis. Il facilite non seulement les procédures administratives pour les entreprises, mais renforce également les droits en matière de protection des données des personnes concernées.«
Dès 2008, le secret bancaire et autres données personnelles ont été gracieusement offerts à nos partenaires commerciaux américains. Ce que la Finma a fait en 2009 était une formalité au vu de cet accord.
Même la Cour de Justice de l’Union européenne a invalidé récemment ce document. Mais pour notre Conseil fédéral le business a des impératifs supérieurs à ceux des individus.
Enfin, pour décrire la lune de miel imposée avec nos amies multinationales de Wall Street, le contribuable suisse serait probablement intéressé de savoir que 3 des 4 liquidateurs de la structure qui a sauvé avec l’argent public UBS et qui porte le nom de SNB StabFund, sont Américains et que le 4ème est britannique.
liquidateurs stabfund
Quand le business devient affaire d’Etat, le peuple doit boire la coupe jusqu’à la lie…
Liliane Held-Khawam
Annexe
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