vendredi 1 juillet 2016

Mépriser le peuple, le censurer, le déconstruire, par Mathieu Bock-Côté (les crises)

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Le référendum britannique n’a pas donné le résultat escompté par les élites. Elles se demandent dès lors, de plus en plus ouvertement, comment neutraliser son résultat. Une chose est certaine: on se jure qu’on ne se laissera plus prendre: on ne fera plus de référendum. Le référendum ne serait pas un mode de consultation accordé aux exigences de la démocratie. Il libérerait les passions et pousserait le peuple à s’approprier la question qu’on lui pose, en l’investissant d’une signification autre que celle qui lui est prêtée par le système médiatico-politique. En gros, on reproche au référendum de politiser la politique, de la délivrer de la gangue gestionnaire et juridique. Par exemple, on ne pardonne pas au peuple d’avoir fait un lien entre la souveraineté britannique et l’immigration massive: ce serait un lien interdit.
Évidemment, la disqualification du référendum s’appuie aussi sur une disqualification du peuple: celui-ci ne serait pas habilité à se prononcer sur une question aussi complexe que celle de son appartenance à un cadre politique ou un autre. La question de l’appartenance de la Grande-Bretagne serait trop complexe pour lui. Le peuple ne serait pas rationnel: ce serait un animal étrange, inquiétant, qu’il faudrait domestiquer en l’empêchant de faire trop de mal. Les démagogues joueraient avec ses craintes. Depuis ce matin, on nous explique que les électeurs du Leave étaient insuffisamment éduqués, qu’ils étaient trop vieux, qu’ils n’étaient pas assez modernes. L’électorat du Brexit serait composé de rebuts indésirables au sens commun intoxiqué. La marche de l’histoire ne saurait s’encombrer d’un tel bois mort.
En gros, on considère que leur vote serait moins légitime que celui des partisans du Remain, qui eux seraient éclairés et emportés par le vent du progrès. On l’a dit et redit: les éduqués et les instruits étaient massivement pour le Remain. Il serait regrettable qu’ils aient à subir les préférences politiques de leurs mauvais concitoyens. Nuançons quand même: on adule la jeunesse sophistiquée parce qu’elle embrasse le rêve européen. Il faudrait quand même se rappeler qu’au vingtième siècle, si nous avions toujours suivi par jeunisme les préférences idéologiques des jeunes générations, la liberté politique serait aujourd’hui en bien mauvais état. On pourrait en dire de même de l’intelligentsia qui n’est pas toujours éclairée. On ne doit ni idéaliser la jeunesse ni la diaboliser.
Que faire pour se débarrasser du peuple: telle est la question? En temps normal, on judiciarise la politique: on passe de la souveraineté populaire au gouvernement des juges. On technocratise aussi la vie politique: il faudrait dissoudre la charge politique des enjeux électoraux pour les transformer en questions strictement techniques. Mais lorsqu’on pose ouvertement la question d’un peuple à un ensemble politique, que faire? Comment faire taire le peuple. La solution prescrite depuis près de 24 h, c’est tout simplement de cesser de le consulter. Cette tentation de déconstruction du peuple s’opère essentiellement au nom du parachèvement de la démocratie, qui ne serait jamais aussi belle que lorsqu’elle parvient à se priver du demos. C’est au nom d’une démocratie évoluée qu’on étouffera le principe premier de la démocratie : la souveraineté populaire.