mardi 10 juillet 2018

Climat, chute de la biodiversité, pollution de l’air, glyphosate : pour Nicolas Hulot, il semble urgent d’attendre (Basta)

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Démissionnera-t-il ? Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire, qualifie de « fantasme médiatique » les conjectures sur son départ du gouvernement. « Je n’ai pas changé d’un iota dans mes convictions, dans ma détermination. Ce qui a changé, c’est ma fonction », se défend t-il. L’ancien animateur de télévision assure avoir obtenu des avancées significatives dans le domaine de l’écologie. Pourtant, ces avancées paraissent bien lentes au vu des défis à relever et de l’urgence de la situation. Qu’en est-il dans les faits ? Un an après son entrée au gouvernement, Basta ! fait le point sur les dossiers traités par son ministère.
C’est une affaire qui est très mal passée dans l’opinion publique. En mai dernier, l’exécutif refuse d’inscrire dans la loi l’interdiction d’utilisation sous trois ans du glyphosate, cet herbicide classé « cancérogène probable » par l’Organisation mondiale de la santé. Emmanuel Macron s’y était pourtant engagé six mois plus tôt. « J’aurais préféré que ce soit dans la loi, je l’ai dit, mais est-ce que l’objectif est remis en cause ? Pas une seconde », défend Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire [1]. Et de poursuivre : « C’est un rendez-vous incomplet, on a encore tout le temps devant nous pour améliorer les choses. (…) Bientôt on aura les étiquettes sans glyphosate… Les industriels vont anticiper. » L’éloge de la lenteur version gouvernementale ?
Pour les ONG, ce renoncement marque « une démission des législateurs et responsables politiques » qui s’en remettent aux engagements volontaires des fabricants et distributeurs de produits alimentaires (notre article). Même tonalité du côté d’un syndicaliste paysan ayant participé aux États généraux de l’alimentation qui devaient préfigurer une loi ambitieuse : « C’est un immense gâchis, confie t-il à Basta !Il n’y a pas de volonté de fixer des objectifs qui impliquent de meilleures rémunérations et protections des paysans. On va nous dire de supprimer tel ou tel pesticide mais il n’y a pas de moyens d’anticipation. » En la matière, le ministère de l’Agriculture ne semble pas très prompt à changer la donne, la France étant « la championne d’Europe des dérogations sur les pesticides » [2].

Préservation de la biodiversité : les contradictions du ministre

Chute de près de 80 % des populations d’insectes en Europe au cours des trois dernières décennies, déclin vertigineux des oiseaux dans les campagnes françaises… Alors que les scientifiques multiplient les alertes, Nicolas Hulot a présenté son plan biodiversité le 4 juillet. « Zéro plastique rejeté en mer » d’ici 2025, le renforcement de la lutte contre le trafic international d’espèces sauvages, ou la sensibilisation à la biodiversité dans les établissements scolaires figurent parmi les objectifs. Le point d’orgue de cette action gouvernementale devrait être la tenue à Marseille, en juin 2020, du septième congrès mondial de la nature, organisé par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
Pourtant, plusieurs décisions récentes ne vont pas dans le sens d’une préservation de la faune et de la flore. Le ministre a notamment fait appel de la décision de justice empêchant l’entrée en service de la centrale thermique de Gardanne qui va aggraver la déforestation et nuire à la biodiversité [3]. La France fait par ailleurs partie des pays qui, à l’échelle européenne, se sont opposés à la suppression de l’huile de palme dans les carburants d’ici 2021. Ces cultures contribuent à l’expropriation des populations et détruisent l’habitat naturel de très nombreuses espèces menacées comme les orangs-outans, les éléphants ou les rhinocéros (lire à ce sujet : Crime environnemental : sur la piste de l’huile de palme). Nicolas Hulot a même donné son aval en mai 2018 à Total pour exploiter sa bioraffinerie à la Mède, dans les Bouches-du-Rhône, avec de l’huile de palme...

Quelques batailles gagnées face aux lobbys

Faut-il voir dans ces reculs la pression des lobbies ? « Ces lobbies, je peux les sentir en permanence sur mes épaules », confiait Nicolas Hulot, trois mois après sa prise de fonction comme ministre. Illustration : le 4 juillet 2017, l’Union européenne adopte une définition floue des perturbateurs endocriniens, ces substances chimiques omniprésentes dans l’environnement et les objets de consommation courante. Or, la majorité qualifiée requise a été obtenue grâce au revirement de la France qui s’opposait pourtant depuis plus d’un an, aux côtés du Danemark et de la Suède, à un texte jugé trop peu protecteur de la santé publique et de l’environnement par les scientifiques et les organisations non gouvernementales.
Sur d’autres dossiers, Nicolas Hulot a eu gain de cause : suspension de l’utilisation dans tous les produits alimentaires du dioxyde de titane sous forme de nanoparticules, séparation de la vente et du conseil des pesticides, extension de l’interdiction des néonicotinoïdes, un objectif de 50 % de produits « de qualité » dans les cantines dont 20 % de bio d’ici 2022... Sur ce dernier point, Nicolas Hulot saura t-il davantage tenir ses promesses que ses prédécesseurs ? Voilà plus de dix ans que les gouvernements successifs promettent 20 % de produits bio à l’école. Pourtant, le volume d’achat en bio ne représente actuellement que 2,9 % pour la restauration collective... Or, comme le rappelle notre article, les aides à l’agriculture biologique ont été fragilisées, ce qui pourrait freiner la dynamique des conversions et installations.

Artificialisation des sols : aéroport non, autoroutes et mégas centres commerciaux oui

Cette première année au gouvernement a été marquée par l’abandon du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Pour nombre d’éditorialistes, cette décision est considérée comme la première victoire politique de Nicolas Hulot depuis son entrée au gouvernement. Notre-Dame-des-Landes, promesse de nouveaux sols bétonnés, est « un cas d’école de ce à quoi il va falloir renoncer », estimait-il dans un livre publié avant d’être ministre. La lutte contre l’artificialisation des sols et l’étalement urbain est d’ailleurs l’un des axes du plan biodiversité, le gouvernement voulant faire en sorte que toute construction sur un terrain naturel soit systématiquement compensée ailleurs. Or, cette notion de « compensation » est très controversée (voir nos différents articles sur le sujet).
Dans les faits, cette lutte contre l’artificialisation des sols a déjà été contredite à plusieurs reprises. Fin janvier, Nicolas Hulot proroge la déclaration d’utilité publique du Grand contournement ouest de Strasbourg, faisant fi des recommandations du Conseil national de protection de la nature. Début mai, le gouvernement fait appel de la décision du tribunal administratif qui retoquait le projet Europacity, un gigantesque centre commercial et de loisirs menaçant de bétonner 700 hectares de terres agricoles dans le Val d’Oise. « On ne peut pas non plus tout arrêter »déclare alors Nicolas Hulot. Le jour même où est annoncé le fameux plan sur la biodiversité, un décret est publié au Journal officiel autorisant le lancement d’une nouvelle autoroute dans l’Eure... [4]

Place de l’énergie nucléaire : un ministre en pleine procrastination

Le 7 novembre 2017, Nicolas Hulot se présente devant les médias pour annoncer qu’il sera « difficile » de tenir l’objectif de réduire de 75 à 50 % la part du nucléaire dans le mix électrique d’ici 2025, selon la loi votée en 2015. Un objectif que le candidat Macron s’était là-aussi engagé à tenir. « Rendre l’écologie crédible, c’est sortir parfois des postures dogmatiques », assène t-il, s’appuyant sur un document de RTE, filiale d’EDF, selon lequel la réduction de la part du nucléaire entraînerait une hausse des émissions de gaz à effet de serre. S’il reporte l’échéance, Nicolas Hulot n’en fixe pas de nouvelle. « La collusion entre l’État et les entreprises est-elle la nouvelle marque de fabrique de ce gouvernement ? », interroge Greenpeace (notre article).
Son « pragmatisme », Nicolas Hulot le fait aussi valoir sur la question de l’enfouissement des déchets radioactifs. Le ministre écologiste est ainsi passé du « non » à l’enfouissement des déchets nucléaires – comme en témoigne la photo ci-dessous, datée d’octobre 2016 – à « la moins mauvaise solution » (voir ici). Lorsque les opposants au projet sont expulsés du bois Lejuc le 22 février, le ministre soutient cette opération à l’Assemblée nationale : « On n’a pas brûlé les étapes à Bure. Rien n’est définitif, rien n’est acté. »

Climat : toujours pas de véritable transition énergétique

Pour donner le change, l’exécutif entend faire de la rénovation énergétique des bâtiments une « priorité nationale », permettant d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Le défi est aussi social, puisque 7 millions de logements sont mal isolés et que 3,8 millions de ménages peinent à payer leur facture ou se privent de chauffage. Selon les associations, le plan de rénovation énergétique des bâtiments présenté par le ministre comporterait cependant des reculs significatifs par rapport à la législation existante [5].
Nicolas Hulot se targue d’avoir obtenu la fermeture des dernières centrales à charbon françaises d’ici à 2022, qui représentent 1,4 % de la production d’électricité française – une promesse déjà faite par François Hollande sous le précédent quinquennat. Le ministre se félicite également d’avoir adopté une loi mettant fin à l’exploration et à l’exploitation d’hydrocarbures d’ici 2040 en France. Or, cette loi sur les hydrocarbures comporte au moins deux exemptions : une dérogation pour le bassin de Lacq en dépit des impacts sanitaires de l’exploitation de gaz soufré (notre enquête) et la possibilité donnée aux industriels d’exploiter du pétrole et du gaz au-delà de 2040 dans le cas où ils ne seraient pas rentrés dans leurs frais... La loi recèle par ailleurs de nombreuses failles (notre article). Ainsi, avant que le texte ne soit définitivement adopté, plusieurs permis d’exploration ont été prolongés, notamment au large de la Guyane. Une région d’Outre-mer où le gouvernement envisage également l’ouverture d’une mine d’or géante.

Si la France plaide à l’échelle internationale en faveur de la réduction drastique des énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon), elle n’a pas supprimé sur son territoire les exonérations fiscales dont bénéficient notamment le transport aérien et routier. Ces subventions indirectes représentent 7,8 milliards d’euros en 2017 [6]. Dans le même temps, le soutien à l’éolien, au solaire, à la géothermie et à la biomasse, baisse légèrement (notre article) [7]. Or, la France reste à la traine en matière d’énergies renouvelables : alors qu’elle s’est engagée à ce que 23 % de sa consommation d’énergie finale soit d’origine renouvelable en 2020 – et 32 % en 2030 – cette part n’atteignait que 14,9 % fin 2015. A cela s’ajoute la décision d’appliquer provisoirement l’accord commercial entre l’Union européenne et le Canada (Ceta), qui va inexorablement se traduire par l’augmentation des flux du commerce international, en particulier par davantage d’extraction des énergies fossiles très polluantes au Canada...

Pollution de l’air : des mesures insuffisantes

Chaque année en France, près de 48 000 décès prématurés sont imputés à la pollution de l’air. En juillet 2017, Nicolas Hulot présente son plan climat dont l’une des mesures phares est l’interdiction de commercialisation de véhicules neufs roulant au diesel ou à l’essence. Mais là où la France s’engage à une interdiction d’ici 2040, la Norvège l’annonce en 2025, l’Allemagne en 2030 et les Pays-Bas en 2035. Il n’est par ailleurs pas question de mesures coercitives à l’échelle nationale : le ministre compte sur l’effet incitatif des nouvelles primes à la conversion pour les véhicules et sur l’effet dissuasif de la hausse des taxes sur le diesel.
Suite à une requête du Conseil d’État, Nicolas Hulot a également transmis fin mars à la Commission européenne les plans pour la qualité de l’air consacrés aux 14 zones les plus polluées de France, de Paris à la vallée de l’Arve dans les Alpes [8]. Des feuilles de route jugées « insuffisantes face à l’urgence sanitaire » par la commission de l’aménagement du territoire et développement durable du Sénat. « Elles se limitent pour la plupart à agréger des actions déjà engagées ou envisagées par les collectivités », estime cette commission.

Une absence de vision écologiste

Les mois à venir demeurent semés d’embûches pour l’écologiste du gouvernement. Projet de loi sur les mobilités, projet de mine d’or en Guyane, programmation pluriannuelle de l’énergie... Autant de sujets sensibles sur lesquels Nicolas Hulot n’aura pas nécessairement l’appui de ses collègues. Le ministre a affirmé qu’il évaluerait cet été son action au sein du gouvernement.
Celui qui était porte-parole de l’appel des solidarités durant la campagne présidentielle saura t-il ériger la lutte contre les inégalités comme l’une de ses priorités ? Pour l’heure, rien ne le laisse présager, puisque Nicolas Hulot monte au créneau pour défendre les réformes du gouvernement. Récemment, le ministre de la Transition écologique et solidaire a publié une tribune défendant la réforme de la SNCF alors que de nombreuses lignes pourraient fermer faute de « rentabilité ». Surtout, cette réforme signe la fin du service public du rail. L’État se prive ainsi d’un puissant levier pour développer un mode de transport pourtant alternatif aux voitures, camions et autocars.
Sophie Chapelle
Photo : source

Notes

[1
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[3
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[4
[6
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[7
5,7 milliards d’euros en 2017, 5,5 milliards en 2018
[8
Ces 14 zones sont Grenoble, la vallée de l’Arve, de la vallée du Rhône, et de Lyon, Marseille-Aix, Montpellier, Nice, Paris, Reims, Saint-Étienne, Strasbourg, Toulon, Toulouse et Fort-de-France. Voir ici