lundi 24 octobre 2016

Médicaments Meurtriers et Crime Organisé : Interview du Professeur Peter Gøtzsche sur la Pharmafia (Les moutons enragés)

Médicaments Meurtriers et Crime Organisé : Interview du Professeur Peter Gøtzsche sur la Pharmafia


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Le Professeur Peter Gøtzsche, Directeur du Nordic Cochrane Centre pour la médecine, est l’auteur du livre « Médicaments Meurtriers et Crime Organisé : comment Big Pharma a corrompu la Santé», paru en anglais en 2013, en espagnol en septembre 2014 et ce 14 novembre 2014 en allemand. Parution en français prévue en 2015 aux Presses Universitaires de Laval (Québec).

Professeur Gøtzsche, depuis plus de trente ans, notre réseau se préoccupe tout spécialement de Bayer. Quelle est l’importance de l’industrie pharmaceutique allemande, par exemple comme lobbyiste ?
Toutes les grosses firmes pharmaceutiques pratiquent un lobbying intensif, également à l’échelon européen.
La firme Bayer doit répondre de nombreux scandales liés à l’industrie pharmaceutique, depuis l’héroïne jusqu’au Lipobay. Quelles expériences avez-vous faites avec cette entreprise ?
Comme toutes les autres grandes entreprises pharmaceutiques, Bayer a participé à la criminalité organisée : par exemple corruption de médecins, ou escroquerie vis-à-vis du programme d’assurance-maladie US Medicaid.
 
Durant la Deuxième guerre mondiale, Bayer a utilisé comme cobayes des détenus de camps de concentration. Une lettre datant de l’époque prouve que Bayer a acheté 150 femmes à Auschwitz pour 170 marks chacune. Bayer avait écrit au commandant du camp : « Les expériences ont été effectuées. Toutes les femmes sont mortes. Nous vous recontacterons rapidement par un prochain message. » Les entreprises allemandes ont par exemple injecté des bactéries typhiques à des détenus des camps puis expérimenté sur eux divers médicaments.
Pourquoi comparez-vous l’industrie pharmaceutique au crime organisé ?
Parce que j’ai découvert que le système commercial des dix premières firmes pharmaceutiques inclut la criminalité organisée.
Dans les années 80 les médicaments de Bayer ont infecté des milliers d’hémophiles. Des documents internes prouvent que la direction de la firme était au courant des risques, mais a néanmoins continué à vendre ses produits. Est-ce un exemple de pratique criminelle ?
Dans cette affaire Bayer n’était pas le seul. Beaucoup de firmes pharmaceutiques ont vendu des produits sanguins contaminés.
Bayer dépense 10 milliards d’euros par an pour la publicité et la commercialisation. Cela inclut les dons de médicaments aux hôpitaux, les formations continues pour médecins, les visiteurs médicaux, les dons à des groupes de lobbying, etc. Mais la firme se refuse à révéler la ventilation de cette somme. Devrait-on contraindre les industriels à publier le détail de ces dépenses ?
 Oui, bien sûr. Mais il faudrait aller encore plus loin et interdire d’une manière générale la publicité pour les médicaments. Somme toute nous avons fini par réglementer la publicité en faveur du tabac, et le marketing pharmaceutique est tout aussi dangereux.
http://lesmoutonsenrages.fr/wp-content/uploads/2016/10/gal_9290.jpgPourquoi les firmes réussissent-elles toujours à imposer sur le marché des produits inutiles, voire dangereux ?
Falsifier les résultats des tests médicamenteux et dissimuler les dangers des médicaments sont des pratiques courantes. En outre, partout nous nous heurtons à l’argent de l’industrie pharmaceutique, qui achète tous ceux qui ont une influence quelconque dans le domaine de la santé. L’industrie réussit à corrompre des personnages importants, et à tous les niveaux, jusqu’au Ministère de la Santé.
Mais le plus dangereux, c’est le marketing pharmaceutique. Les mensonges vont souvent jusqu’à prétendre l’exact contraire de la vérité.
A-t-on estimé le nombre de décès liés aux effets secondaires ?
À partir d’enquêtes menées dans diverses parties du monde, on dispose maintenant de résultats solides. Aux USA, par exemple, on estime qu’environ 200 000 patients et patientes meurent chaque année suite aux effets secondaires des médicaments. Dans la moitié des cas environs, les médicaments avaient été prescrits de façon régulière. L’autre moitié est la conséquence de surdosages, ou bien le médecin n’avait pas prêté attention aux interactions possibles avec d’autres médicaments. Il est toutefois difficile d’incriminer les médecins : presque tous les médicaments comportent 20 précautions d’emploi ou contre-indications, voire davantage. Il est impossible de les connaître toutes.
Quelle est à votre avis la proportion de médicaments utiles parmi ceux qui sont présents sur le marché ?
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Nous pourrions sans grande difficulté supprimer 95% des dépenses liées aux médicaments, et alors nous aurions même une population en meilleure santé. Rien qu’en achetant le médicament le moins cher ayant les mêmes effets, nous réduirions les dépenses de moitié.
Dans bien des cas, il serait tout simplement mieux de ne prescrire aucun médicament. Tous ont des effets secondaires indésirables, dont la somme est responsable d’un nombre effrayant de décès. De même, nous ne devrions prescrire que très peu de médicaments psychotropes, car ils sont en général dangereux dès que la prise excède quelques semaines.
Les pilules contraceptives de la génération Yasmin présentent un risque d’embolie plus élevé que celles des générations précédentes. Rien qu’aux USA, Bayer a dû payer près de 2 milliards de dollars à des femmes abîmés. Pourquoi ces pilules ne sont-elles toujours pas interdites ?
Un de mes collègues danois a publié très tôt deux études prouvant que les pilules de type Yaz ou Yasmin présentent un risque plus élevé de formation de caillots. Il a été la cible d’attaques agressives de la part de médecins stipendiés par Bayer, qui a en outre financé des études contestant l’accroissement des risques.
Bayer est l’un des plus gros marchands de médicaments en vente libre au monde. Quel est le plus gros problème en ce domaine ?
La plupart ne servent à rien, sauf à soutirer de l’argent aux clients.
Que pensez-vous des tentatives, répétées régulièrement, de faire prendre tous les jours de l’aspirine même aux gens en bonne santé pour prévenir les maladies cardiaques et certains cancers ?
Il n’y a rien à objecter, somme toute nous voulons tous vivre longtemps. Le revers de la médaille est cependant que très peu profiteraient d’une telle prophylaxie, alors qu’elle nuirait à beaucoup. Ce n’est donc pas une bonne idée de traiter préventivement toute la population. D’une manière générale, le surtraitement de gens en bonne santé constitue l’un des principaux problèmes de santé actuels et parallèlement l’un des bizness les plus lucratifs pour l’industrie pharmaceutique.
Bayer et le CHU de Cologne ont conclu en 2008 un vaste contrat de collaboration. Nous avons vainement essayé d’avoir un aperçu de son contenu. Nous accordez-vous que ce genre de partenariats à contenus secrets conduisent à orienter la recherche selon des critères purement économiques ?
Je suis un adversaire résolu de ce type de partenariats. L’expérience montre que les firmes en retirent la plupart du temps des bénéfices et revendiquent les résultats pour elles-mêmes. Les contribuables règlent la note en payant les médicaments beaucoup plus cher.
En outre : est-il acceptable de collaborer avec une branche qui a souvent une conduite criminelle et qui accepte de faire mourir de nombreux patients par désir de profit ? Pour moi, c’est non. Les études cliniques doivent être menées de façon complètement indépendante des firmes. Et il ne doit pas y avoir de partenariat secret dans le domaine de la santé, c’est fondamental. Vous devriez exiger un droit de regard devant les tribunaux ou vous adresser à un médiateur ou au personnel politique.
Des études financées par l’argent public parviennent souvent à des résultats différents de ceux des enquêtes menées par les industriels. Comment cela se fait-il ?
Cela n’a aucun sens de laisser une entreprise qui peut gagner des milliards d’euros par le biais d’études complaisantes être le plus souvent la seule à recevoir les données brutes des études.
Dans notre système, les entreprises pharmaceutiques sont les seuls juges. C’est tout de même bizarre, car dans d’autres domaines nous nous y refusons. On trouverait par exemple ridicule de dire à un juge : « J’ai fait ma propre enquête et voilà les résultats. » Mais c’est justement ce système que nous avons accepté dans le domaine de la santé. Les industriels font faire les études eux-mêmes et les manipulent souvent de façon scandaleuse. C’est pourquoi on ne peut se fier aux publications émanant des entreprises, même dans des revues spécialisées de grand renom.
Selon vous, le système est bourré de conflits d’intérêt. Les firmes pharmaceutiques rémunèrent des médecins, des hauts fonctionnaires pantouflent dans l’industrie, et inversement. Comment changer cela ?
Partout on se heurte à l’argent des industriels. C’est pourquoi je propose d’interdire purement et simplement la publicité pour les produits pharmaceutiques. Les bons médicaments s’imposeront toujours, nous n’avons pas besoin de réclame pour ça.
Interdire la publicité empêcherait que les visiteurs médicaux ne corrompent les médecins. Les rédacteurs des revues médicales n’auraient plus aussi peur de publier des articles qui ne servent pas les intérêts des industriels. Une telle réforme libérerait la presse médicale de l’emprise de « Big Pharma » (les Grandes Compagnies ?).
Avez-vous d’autres demandes de réglementation de l’industrie pharmaceutique ?
Les industriels conservent par devers eux les données brutes de leurs études. Nous devrions plutôt soumettre les nouveaux médicaments à des enquêtes effectuées par des instances publiques. Les fabricants pourraient payer les tests, mais n’auraient rien d’autre à faire avec les études elles-mêmes. Et les médecins ne devraient accepter aucune libéralité des industriels. Actuellement beaucoup de médecins sont malheureusement prêts à se donner pour co-auteurs d’études, rédigées en réalité par les firmes, et sans pouvoir accéder à leurs données brutes. Or ces études ne peuvent être réalisées sans la collaboration des médecins et de leurs malades. C’est donc un cas de trahison de l’intégrité scientifique et d’abus de confiance envers les patients. Les médecins et les groupes d’entraide de malades doivent tout simplement refuser l’argent d’industriels aussi corrompus.
Dans votre livre, vous dites que ceux qui dévoilent la conduite criminelle des industriels de la pharmacie sont aussitôt traités en parias. Avez-vous subi des rétorsions après la parution de ce livre?
Non, au contraire, le livre a été encensé. Des industriels je n’ai bien sûr pas eu de retours directs. Mais il y a eu quelques mensonges purs et simples de la part des groupes de lobbying et de leurs partenaires stipendiés au sein du corps médical.

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