mardi 11 septembre 2018

« Gestes propres » : quand les industriels du plastique culpabilisent les citoyens (basta)

PAR 
Un paquet de cigarettes jeté par « Paul Heffard ». Un sachet plastique jeté par « Léa Lamont ». Depuis le métro parisien jusqu’aux plages de l’hexagone, il a été difficile d’échapper à la campagne de sensibilisation sur les déchets sauvages organisée comme chaque année par Gestes Propres. Gestes Propres ? Une initiative de « l’association Progrès et Environnement, ONG créée en 1971 ».
À l’heure où les ravages des déchets plastiques dans les océans et sur toute la planète font presque quotidiennement la une de l’actualité, comment ne pas se féliciter de voir une association écologiste mettre ainsi les Français face à leurs responsabilités ? Sauf que Progrès et Environnement, présidée par un ancien cadre de Danone, est en réalité une association contrôlée par les industriels, et que la campagne Gestes propres est financée par des entreprises comme Coca-Cola, Danone, Haribo, Heineken, Nestlé ou Total... Autrement dit les entreprises mêmes qui fabriquent ou utilisent les emballages plastiques à la source des pollutions [1].
Gestes Propres est aussi étroitement liée à Citeo (ex Eco-emballages), une entité privée créée dans les années 1990 pour collecter et gérer les contributions financières des entreprises productrices ou utilisatrices d’emballages à la collecte, au tri et au recyclage de ces derniers. Citeo, c’est ce fameux logo « point vert » apposé sur les emballages et suggérant au consommateur non averti que celui-ci est recyclable, alors qu’il signifie simplement que l’entreprise concernée a bien versé sa cotisation. Ces cotisations contribuent à financer des campagnes telles que Gestes Propres, rejetant la responsabilité des déchets sur les consommateurs. Elles servent aussi à faire du lobbying à Paris et à Bruxelles [2].
Déresponsabilisation des industriels
Durant l’été, le gouvernement français a mis l’accent, dans ses discours publics, sur les responsabilités individuelles de chacun en matière environnementale. « Il faut que chacun se tourne vers sa propre responsabilité », avait ainsi déclaré Nicolas Hulot avant sa démission. Le même argument a été opposé, suite a son départ, à ceux qui critiquaient l’absence de mesures fortes et ambitieuses de la part du gouvernement sur les dossiers écologiques. Ces discours se situent dans la droite ligne de celui porté par les industriels sur la question des déchets : au lieu de remettre en cause le principe même de la production massive de plastique et d’emballages, l’accent porte uniquement sur les comportements individuels des citoyens-consommateurs.
Il en va de même pour le recyclage du plastique, tel que l’envisagent des multinationales comme Danone, Suez ou Veolia : tout tourne autour du consommateur sommé de mettre sa bouteille dans la bonne poubelle, sans que soit questionné le besoin d’une telle production massive de plastique. D’autant que le recyclage du plastique est encore extrêmement limité et s’effectue dans des conditions très éloignées de l’image écologique que cherchent à en donner les industriels.
Cette stratégie de lobbying n’est pas spécifique à la France. Confrontés au risque de voir adopter des mesures radicales qui remettraient en cause leurs modèles commerciaux établis, les industriels du plastique ont créé ou financé des associations de façade apparemment « écolos » - une pratique souvent appelée « astroturfing » – chargées de porter la bonne parole au citoyen sur les déchets sauvages, et surtout d’empêcher des solutions plus radicales.
Lire à ce sujet l’enquête de l’ONG bruxelloise Corporate Europe Observatory : Comment les lobbies des emballages se cachent derrière des associations anti-déchets pour éviter des solutions plus radicales.
Olivier Petitjean


Notes

[1
Pour comprendre pourquoi Total est concernée par les emballages plastiques, lire cet articlede l’Observatoire des multinationales.
[2
Citeo déclare ainsi entre 100 000 et 200 000 euros de dépenses de lobbying à Paris auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique pour le second semestre 2017, et entre 200 000 et 300 000 à Bruxelles pour 2017.